A la pointe de l’efficacité environnementale, le lycée Gergovie interroge l’impact des grands projets dans le bâtiment

Si la réussite technique et l’exigence environnementale du nouveau lycée clermontois sont reconnues par tous, se posent les questions des filières et des prix des matériaux biosourcés, mais aussi de l’essaimage de tels projets.


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Ressenti de l’auteur

Voici un dossier éditorial que j’avais démarré à l’été 2021 avec une première visite de chantier. Sur le site du futur lycée Gergovie (auparavant appelé lycée Saint-Jean puis « Nouveau Lycée de l’Agglomération Clermontoise »), les anciens abattoirs fermés depuis longtemps avaient fait place aux premières fondations de béton puis, surtout, à l’architecture de bois – et de bois-paille – mise en avant dans le projet.

En effet, il s’agit du plus grand lycée de France qui répond aux normes environnementales les plus exigeantes en la matière : E4C2, E4 pour « bâtiment à énergie positive » et C2 pour « bas carbone », mesurés autant sur la construction que sur la durée de vie. De nombreux autres aspects environnementaux ont été pris en compte, comme le cycle de l’eau, la biodiversité, et bien sûr le confort de vie. En outre, la présence d’Eiffage dans le groupement choisi pour mener à bien ce projet m’a semblé intéressant : comment un grand acteur national de la construction, habitué de l’acier et du béton, allait aborder un tel projet – et surtout, capitaliser dessus.

J’avais déjà approché le cabinet d’architecture CRR, partenaire d’Eiffage dans le groupement, lors d’une interview avec un de ses associés, Xavier Andiano. C’est grâce à eux que j’ai pu suivre une petite partie du chantier, surtout dans ses derniers temps. Mon objectif était ici de recueillir les points de vue de différents acteurs dans le groupement mais aussi en-dehors. Vous verrez dans les entretiens ci-dessous et dans les articles liés (un entretien plus transverse avec Jean-Pierre Rambourdin du cabinet CRR et une visite de l’atelier nomade d’assemblage des murs bois-paille) que les avis convergent positivement sur la qualité environnementale du bâtiment – même si l’on n’a évidemment pas encore de recul sur son utilisation puisqu’il est ouvert depuis septembre.

En revanche, les questions qui se posent en creux, sans avoir de réponse non plus à ce stade, concernent l’impact à long terme de ce type de grands projets. D’une part, il serait sans doute difficile – mais pas impossible – de monter dans un délai et un budget contraints de tels bâtiments sans le concours de grands groupes, capables de mobiliser des moyens internes conséquents et d’activer rapidement un réseau de sous-traitants. D’autre part, comme souvent quand une grande entreprise arrive sur un marché nouveau, il peut y avoir de vraies perturbations dans ce dernier : si les ossatures bois-paille deviennent rapidement la norme, qu’en sera-t-il du « marché » de la paille, aujourd’hui de nature agricole et peu industrialisé ? Les prix vont-ils grimper en flèche et poser des problèmes à d’autres consommateurs ? Les filières, notamment dans le bois, pourront-elles s’adapter suffisamment vite à un engouement pour ce type de construction ?

Cela revient également à se demander si le gigantisme est toujours nécessaire. Je suis sans doute un peu caricatural en utilisant ce terme pour le lycée Gergovie, qui est certes très grand (il accueille plus de 1000 élèves), mais d’une manière général il y a une course au « toujours plus grand » dans certains types de projets, bâtimentaires ou industriels, et qui pose question. Dans les commandes publiques, notamment de collectivités territoriales, le phénomène de « l’élu bâtisseur », qui veut laisser sa marque dans le paysage par une réalisation d’ampleur et très visible, a probablement joué pour le lycée Gergovie – au prix d’un réel surcoût quand le premier concours a été abandonné, puis d’un jeu de billard avec la ville de Clermont dans lequel un internat, qui aurait pourtant été utile, a disparu.

Enfin, ces projets phare, fortement mis en avant – à juste titre – par les structures partenaires, feront-ils florès ? Autrement dit : un grand lycée Gergovie, c’est bien, mais plein de petits lycées sur le même modèle, c’est encore mieux. Cela revient à questionner les modes de capitalisation de connaissance autour de ce chantier, et la capacité des acteurs – en particulier Eiffage et ses nombreuses filiales – à généraliser ce mode de construction et à internaliser une vraie sensibilité environnementale. On parle souvent de changer le paradigme des grandes entreprises pour qu’elles convergent sur une volonté écologique sincère : je pense que le lycée Gergovie illustre bien ce sujet.

Damien

Lire l’entretien complémentaire : Pour Jean-Pierre Rambourdin, le lycée Gergovie marque une étape dans les bâtiments écologiquement vertueux
Voir le reportage complémentaire : Visite au sein d’un atelier nomade et éphémère de murs en bois-paille

Les principaux points à retenir

Chère lectrice, cher lecteur, pas de « points à retenir » aujourd’hui … puisque vous les trouverez en tête de chaque chapitre ci-dessous. Je vous invite donc à lire le dossier avec trois niveaux d’entrées, selon vos centres d’intérêt :

  • Le sommaire dans l’accordéon qui suit, pour accéder directement aux chapitres
  • Le petit texte introductif par chapitre, résumant le profil de l’intervenant et son propos
  • Le détail de l’interview, juste après le texte introductif, dans un accordéon

Information sur notre prochain événement

Le contexte

Un nouveau lycée devait être construit sur Clermont, et le choix a été fait d’un établissement de grande taille regroupant les élèves des lycées professionnels Marie Curie et Camille Claudel. Pour ce faire, la région Auvergne avait initié un premier concours, annulé puis relancé avec d’autres critères par Laurent Wauquiez lorsqu’il a accédé à la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes en 2016. Dans ce nouveau cahier des charges, allégé du gymnase et de l’internat initialement prévu, la Région posait une exigence environnementale forte avec l’objectif d’un bâtiment “E4”, c’est à dire à énergie positive (produisant, sur l’année, plus d’énergie qu’il n’en consommait).

Le concours, sous forme d’un “marché global de performance”, était assez inhabituel : ici, l’architecte allait travailler côte-à-côte avec le constructeur et d’autres partenaires techniques au sein du groupement (alors que, d’habitude, l’architecte a plus un rôle de coordination). Cela a permis de livrer le lycée dans un délai contraint, et s’est heureusement bien passé compte tenu des bonnes relations antérieures entre les membres du groupement. Ont ainsi été choisis le cabinet CRR Architectures et Eiffage Construction Auvergne pour mener le chantier. Ils ont été assistés de nombreuses autres structures dont le bureau d’étude environnemental EODD ou encore la société Savare, spécialisée dans la construction bois (que nous avons pu rencontrer).

Livré dans les temps au printemps 2022, ouvert en septembre de la même année, le lycée Gergovie accueille aujourd’hui 1100 élèves. Il possède une surface de 16 500 mètres carrés au sol, et 11 500 de murs en ossature bois – dont plus de 7000 en bois-paille, un des principaux points forts du projet. Sa construction a coûté 40 millions d’euros. Elle s’inscrit dans le projet de transformation du quartier Saint-Jean, initié par la ville de Clermont-Ferrand et pilotée par la SPL Clermont-Auvergne (en miroir d’une autre transformation voisine, celle du Brézet).

Voir la présentation du projet architectural Gergovie sur le site de CRR Architectures

Dans ce dossier éditorial, vous trouverez deux reportages photo, un entretien détaillé avec Jean-Pierre Rambourdin du cabinet CRR, et plusieurs entretiens plus courts avec des acteurs engagés dans le projet, mais aussi des observateurs périphériques.

Bonne lecture ! (cliquez sur les accordéons en noir pour dérouler les interviews)

Les enrobés clairs autour du lycée permettent de moins absorber la chaleur issue de la lumière naturelle. S’ils ne sont pas poreux, plusieurs espaces de pavés enherbés ou de terre permettent l’absorption de l’eau dans le sol / Crédit photo : EODD (DR)

Visite de chantier

Commençons par un petit flash-back, avec un tour dans le lycée quelques mois avant son ouverture. Avec l’aide de Sébastien Thoral, chef de chantier pour Eiffage Construction Auvergne, nous visitons quelques espaces représentatifs du site en construction. C’est l’occasion de faire le point sur les principaux aspects environnementaux du projet, de l’isolation à l’infiltration en passant par la biodiversité, la ventilation et bien sûr le confort de vie.

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Les membres du groupement

S’il n’a pas été hélas possible de voir tous les acteurs impliqués dans le projet, j’ai pu recueillir les témoignages de plusieurs partenaires-clé. Je vous propose également, en complément, un reportage dans l’atelier d’assemblage des murs bois-paille près de Vic-le-Comte.

Thierry Julien (Eiffage Construction Auvergne)

Directeur de la filiale d’Eiffage, Thierry Julien représente le groupe de construction mais aussi de génie civil et d’énergie au sein du groupement pour le lycée Gergovie. Avec sa vision d’ensemble, il nous détaille l’ambition de “montée en compétences” globale pour ses équipes mais aussi les filiales d’Eiffage et les structures partenaires, grâce au chantier Gergovie : méthodologie d’apprentissage et de capitalisation, échanges sur le terrain, familiarisation des intervenants avec les nouvelles normes environnementales, ou encore renforcement des filières d’approvisionnement locales.

Interview de Thierry Julien

Comment résumeriez-vous le positionnement d’Eiffage dans ce projet ?

Le groupe Eiffage est constitué de quatre branches regroupant 8 métiers : Eiffage Construction (le bâtiment, l’immobilier et l’aménagement), Eiffage Infrastructure (la route, le génie civil et le métal), Eiffage Energie Systèmes (génie électrique et énergétique), et Eiffage Concession (les concessions). Tous ces métiers sont présents sur le territoire auvergnat avec 800 collaborateurs. Eiffage Construction Auvergne, filiale que je dirige, intervient sur la construction comme sur la promotion immobilière.

Le cœur de notre métier est de mener des chantiers “tous corps d’état”, clé en main, avec une approche transversale. Nous intervenons souvent dès la conception d’un projet en pilotant une équipe pluridisciplinaire (architectes, bureau d’études, … qui sont tous des partenaires). Ce fut le cas pour le Lycée de Gergovie que nous avons réalisé dans le cadre d’un marché global de performance : celui-ci nous engage sur l’exploitation-maintenance et sur la garantie de la performance.

Quelle est, selon vous, l’importance du volet environnemental de ce type de projets ?

Je suis très attaché à cette dimension car le secteur du BTP à travers son activité émet beaucoup de gaz à effet de serre. L’acte de construire doit et peut être beaucoup plus vertueux sur ce point. Réaliser des bâtiments « bas carbone » a tout son sens, c’est une nécessité et une source de motivation incroyable pour nos équipes.

Le groupe Eiffage laisse une grande liberté d’action à ses filiales locales pour répondre à ce type de projets et encourage ses équipes à innover et oser. Le lycée Gergovie s’inscrivait pleinement dans cette démarche.

C’est-à-dire ?

En août 2018, quand nous avons candidaté auprès de la Région Auvergne Rhône Alpes, le label E4C2 (performance énergétique et bas carbone maximale) n’était pas encore bien appréhendé par tous les acteurs de la chaîne de construction. Atteindre ce niveau de performance énergétique et bas carbone en même temps est extrêmement complexe pour un projet de cette envergure.

L’ensemble de notre équipe s’est donc beaucoup enrichi de ces nouvelles compétences au fil de la conception et de la réalisation du projet. Nous avons beaucoup appris et avons su relever ce challenge osé et très ambitieux avec notamment notre Architecte, le cabinet CRR. Nous avons été même au-delà de la performance contractuelle attendue sur le bas carbone en atteignant le niveau C2, le plus exigeant.

Comment partagez-vous ces expériences ?

Le lycée Gergovie est vraiment une opération phare pour l’ensemble du groupe Eiffage. Il a permis de capitaliser un savoir faire exceptionnel au sein de ses équipes qui sera partagé avec toutes les filiales du groupe. Nous-mêmes nous étions inspirés avant notre projet du retour d’expérience d’autres filiales comme celles qui ont œuvrées pour construire la tour Hypérion, à Bordeaux [plus haute tour de logements en ossature bois d’Europe, NDLR].

La capitalisation se fait avant tout par des échanges et collaboration entre les équipes, par le déploiement d’outils, de process, de techniques au sein d’autres filiales. L’innovation est favorisée aussi au plus près des équipes par la mise en place de concours interne.

Cependant, le gros de ce partage d’expérience passe avant tout par le terrain. Les visites de nos chantiers sont essentielles pour véhiculer et démontrer nos savoirs faire innovants aussi bien en interne qu’auprès de nos clients.

Et quels sont les progrès techniques que vous mettez en avant ?

Se recentrer sur nos fondamentaux en privilégiant une construction vertueuse pour l’environnement aussi bien pour l’étape de la construction que pour celle de son exploitation et ce sur le cycle de vie du bâtiment soit sur 50 ans.

Ainsi, travailler en circuit court, favoriser une économie circulaire, utiliser des matériaux biosourcés, concevoir un bâtiment bioclimatique favorisant de très faibles consommations énergétiques sont les buts recherchés. Il faut savoir bouleverser nos habitudes et repères traditionnels pour y parvenir comme utiliser de la paille pour l’isolation thermique des murs de façades !.

J’aimerais aussi souligner le travail à grande échelle de gestion des eaux de pluie – récupération des eaux grises et infiltration à la parcelle. Sans oublier le travail pour favoriser la création « d’îlots de fraicheur”, avec des espaces verts intégrés et prenant en compte les coefficients de biodiversité, ou encore des enrobés écologiques utilisant des liants en résines végétales.

Comment avez-vous envisagé la question des filières locales ?

Nous sommes implantés à Clermont-Fd depuis plus de 50 ans et nous sommes très attachés à nos partenaires sous-traitants ou fournisseurs locaux. C’est pour nous une priorité qui est aujourd’hui encore renforcée par cette volonté de travailler encore plus en circuit court.

Pour nos approvisionnements en bois nécessaires à la construction de ce chantier, c’est intéressant de souligner la décision de travailler avec des acteurs du Massif Central. Elle nous a permis de passer à travers une vraie crise d’approvisionnement au niveau européen. Le marché du bois local étant plus coûteux que celui des pays scandinaves, par exemple, il s’est avéré moins en tension.

A noter d’ailleurs que si la filière bois existe bien, elle a besoin de se structurer pour faire face au marché de la construction bois en plein essor. Aider à fédérer les « petits » acteurs locaux pour qu’ils participent pleinement au développement de cette filière est un vrai enjeu auquel nous contribuons.

Le réemploi est-il un sujet pour vous ?

Quelques opérations au niveau du groupe y ont fait appel, et des ressourceries ont pu être mises en place dans ce cadre. Cependant, la réglementation doit encore évoluer – il y a aussi un aspect culturel et même psychologique qui freine le réemploi.

Par exemple, utiliser et retraiter des gravats de démolition pour des remblais se fait, mais pas encore pour fabriquer un béton – ou bien de façon marginale. Néanmoins, ça commence à venir !

Au final, que retiendrez-vous personnellement du projet Lycée de Gergovie ?

C’était un enrichissement collectif très intéressant et passionnant. Peu de gens se rendent compte que nous avons la chance d’avoir sur notre territoire grâce à l’impulsion de la Région un bâtiment aux performances énergétique et environnementales exceptionnelles, et qui est une référence européenne conçu et construit avant tout par les entreprises du territoire.

Les équipes d’Eiffage Construction Auvergne ont vraiment pris beaucoup de plaisir à mener ce chantier qui fait sens avec toutes les problématiques environnementales d’aujourd’hui. Pour preuve, ce chantier a beaucoup attiré les jeunes générations, et tout le monde a mis du cœur à l’ouvrage pour relever ce magnifique challenge.

Jean-Pierre Rambourdin (cabinet CRR Architectures)

Jean-Pierre est un des associés fondateurs du cabinet CRR qui est l’architecte au sein du groupement pour le lycée Gergovie. Habitué du travail avec Eiffage Construction notamment, il souligne l’importance d’un esprit d’équipe partagé pour la réussite de marchés de performance globale. Il revient également sur le besoin de changer de paradigme autant sur les matériaux biosourcés, dont il détaille l’utilité, que sur la temporalité des chantiers.

Lire l’entretien (article séparé) : Pour Jean-Pierre Rambourdin, le lycée Gergovie marque une étape dans les bâtiments écologiquement vertueux

Aurore Rossat (bureau d’étude environnemental EODD)

Deux interviews pour le bureau d’étude EODD qui a suivi et participé à l’orientation du projet Gergovie dès le début. Nous commençons avec Aurore Rossat, responsable des activités “construction durable”, en charge des études, des choix des solutions techniques  et de la coordination des acteurs. Elle insiste sur l’importance d’intervenir très en amont pour définir les choix environnementaux – comme l’orientation du bâtiment – mais aussi sur l’adaptation nécessaire au fil du chantier, à mesure que des études plus précises peuvent être réalisées. Elle évoque la recherche, pas toujours évidente ! des bons matériaux bénéficiant de certifications, et l’impact de la réglementation RE2020 qui était prise en compte dès le lancement du chantier en 2018.

Interview d’Aurore Rossat

Quel est le rôle du bureau d’étude environnemental ?

Nous travaillons sur les sujets de construction durable, de gestion des terres polluées, de déchets ou encore de biodiversité. Nous pouvons aussi préparer les demandes d’autorisations pour certaines activités comme les implantations industrielles.

Personnellement, mon sujet est la construction durable – ce qui regroupe toutes les thématiques dites HQE [Haute Qualité Environnementale] : réduction de l’impact du bâti sur l’environnement, confort et qualité de vie des occupants, mais aussi raisonnement en coût global – le rapport entre la construction et la maintenance, en particulier sur plusieurs dizaines d’années de projections.

Nous surveillons aussi le bon déroulement du chantier : la limitation des nuisances environnementales, et la bonne réalisation des prestations prévues par les différents intervenants. Et, une fois le bâtiment livré, nous pouvons interpréter les mesures réalisées pour les comparer aux prévisions – par exemple sur la consommation énergétique.

Comment avez-vous abordé le chantier du lycée Gergovie ?

C’est un programme très ambitieux porté par la Région Auvergne Rhone Alpes, avec le label E4C2 dans la ligne de mire. Notre cabinet, EODD, a eu une position pivot pendant le concours : si le projet a été esquissé par l’architecte, nous l’avons alimenté avec des conseils pour orienter la conception sur la base d’études initiales et de retours d’expériences.

Par la suite, une fois que les “termes” du chantier avaient été bien définis, nous avons engagé des études plus précises pour affiner le projet. En effet, nos engagements – au sein du groupement – sont contractuels : cela veut dire qu’ils peuvent entraîner des pénalités s’ils ne sont pas tenus. A l’inverse, c’est aussi une opportunité de valorisation pour nous puisque la performance devient un enjeu central.

Le chantier a abordé de nombreuses thématiques écologiques…

Oui, il était très transversal. Nous avons travaillé sur des choix techniques concernant la régulation énergétique – notamment avec notre partenaire Ingérop – mais aussi sur les matériaux, les revêtements, les protections solaires, etc.

A mon avis, il est essentiel que des bâtiments publics d’envergure comme le lycée Gergovie mettent la barre haut, afin de “tirer” l’ensemble du secteur dans la bonne direction. C’est le premier lycée français certifié E4C2 ! Plus précisément, ce label n’était pas exigé par le programme, mais l’ensemble des membres du groupement s’est investi pour le porter jusqu’au bout , pour attester de l’ambition environnementale du projet.

Quels enseignements en avez-vous tiré ?

Principalement, c’est pour EODD une référence sur la conception de murs en ossature bois/paillegrâce à l’expertise du bureau d’étude Sylva Conseil, mais nous avons aussi approfondi notre expertise technique sur les chaufferies biomasse, et la question de la perméabilité à l’eau des revêtements extérieurs. Surtout, nous avons traité tous ces sujets ensemble, ce qui est rare ! 

En fait, le chantier Gergovie aura été une très bonne préparation à la RE2020. C’est une référence par rapport à laquelle nous pouvons évaluer et “positionner le curseur” pour des futurs projets. D’autant plus qu’il y a, dans cette réglementation, des seuils d’impact carbone de plus en plus contraignants – pour 2022, 2025, 2028… et qu’on aura travaillé sur le seuil le plus élevé pour Gergovie. Cela aura été une grosse marche de franchie pour nous, et nous sommes très fiers d’avoir pu l’atteindre.

Quels sont, selon vous, les apports de la RE2020 dans ce type de projets ?

Il était nécessaire d’intégrer l’impact carbone des matériaux et de la construction en générale, et de ne plus se limiter à la seule performance énergétique. Il y a aussi l’approche en cycle de vie qui est un vrai progrès, et la nécessité d’être exhaustif dans le périmètre des analyses – en considérant toutes les petites composantes d’un bâtiment. C’est plus lourd à mener, cela augmente le bilan, mais on gagne en crédibilité et en efficacité.

En revanche, la complexité globale s’en trouve accrue. Par exemple, il faut suivre le bilan carbone des différents matériaux mis en œuvre de la conception à la livraison du bâtiment, avec des fiches techniques “officielles”. Le souci est le délai d’obtention de ces fiches pour des matériaux innovants. L’apport, je dirais même l’investissement, d’un partenaire comme Eiffage a été déterminant pour choisir les bons matériaux et obtenir des fiches dans les temps.

Et comment ces apprentissages sont-ils capitalisés ?

Premièrement, nous nous basons sur des retours d’expérience d’autres projets, réalisés par EODD : cela permet de nous inspirer et bien démarrer un nouveau chantier. D’ailleurs, dans le cas du lycée Gergovie, on a vu que le projet avait relativement peu évolué dans son déroulement : cela montre qu’il avait été bien calibré dès le début.

Dans le cas du lycée Gergovie, je me suis notamment basé sur l’expérience du lycée Vaugelas à Chambéry, commandé par la Région et réalisé par le cabinet CRR avec Eiffage Construction Savoie – une configuration finalement proche de celle de Clermont. Il y a eu beaucoup de points communs entre les chantiers, et cela nous a permis, entre acteurs, de mieux se comprendre.

Plus largement, nous avons un système de centralisation des retours d’expérience en interne, chez EODD. Nous appliquons des méthodes de capitalisation par sujet, comme sur la paille, les objectifs énergétiques, etc. Cela peut aussi se faire de manière partagée avec les membres d’un groupement.

Il y a de plus en plus de bâtiments qui se présentent comme “vertueux”. Tous sont-ils suivis par un bureau d’étude environnemental ?

La majorité des projets, encadrés seulement par la réglementation (permis de construire, plan local d’urbanisme, réglementation thermique) ne font pas l’objet de vérifications très lourdes sur la performance environnementale. Au niveau du permis de construire, cette performance est attestée mais pas forcément vérifiable.

Par ailleurs, il y a une vraie question de méthodologie : comment vérifier la qualité de ces études, la réalité des ambitions ? Un encadrement plus exigeant existe au niveau des ZAC (zones d’aménagement concerté), ou quand l’ambition environnementale est portée par les maîtres d’ouvrages, notamment publics.

Je pense que les bureaux d’étude mais aussi les bureaux de contrôle pourraient jouer un rôle plus important. Il est nécessaire de mettre des garde-fous. Dans cette optique, les certifications et labels sont gage de qualité.

Et, au final, n’oublions pas le travail sur les “fonctionnalités” et le confort de vie d’un bâtiment. Le personnel et les occupants doivent rester la préoccupation centrale dans la construction. Il ne faut pas les oublier au profit exclusif de la technique ou des objectifs chiffrés. Nous appliquons une stratégie multi-critères qui intègre la place des utilisateurs.

Christophe Lacombe (bureau d’étude environnemental EODD)

Pour cette seconde intervention de la part d’EODD, Christophe Lacombe – son directeur général – a l’avantage (et le privilège, soyons un peu chauvins) d’être Clermontois d’origine et de bien connaître le marché local. Il nous exprime sa vision du fonctionnement au sein d’un marché global de performance, parle de la résilience climatique de bâtiments tels que des lycées – conçus pour 50 ans minimum – et revient sur “l’effet d’entraînement” sur la place clermontoise. Enfin, pour lui, la question de la maintenance est un point clé de la performance réelle de bâtiments passifs … et il insiste sur l’importance des hommes derrière la technique.

Interview de Christophe Lacombe

Avec le recul, que pensez-vous du type de marché choisi pour le lycée Gergovie ?

La Région a souhaité utiliser la procédure du “marché global de performance”. Cette procédure, innovante pour ce Maître d’Ouvrage, a permis d’associer, dès le concours, de nombreuses compétences et expertises : celles des concepteurs, des architectes et des bureaux d’études, des constructeurs, mais aussi du mainteneur. Ce afin de proposer et de sécuriser très tôt un projet répondant aux attentes du Maitre d’Ouvrage.

Compte tenu des ambitions environnementales et énergétiques particulièrement élevées , d’une part, et des contraintes de planning très tendues, d’autre part, ce mode de dévolution s’est révélé particulièrement bien adapté au contexte.

Cette approche a notamment permis de fiabiliser techniquement et économiquement les modes constructifs innovants (bois / paille) et les différents choix de conception. L’objectif était bien de prendre et tenir l’engagement performanciel attendu par le Maitre d’Ouvrage

Cette ambition environnementale se traduit notamment par des objectifs énergétiques. Comment s’assurer qu’ils sont réalistes dans ce type de projet ?

La clé est de travailler très en amont en intégrant ces objectifs, notamment dès les premières esquisses architecturales. Puis, de les décliner et de les affiner à chaque étape de la conception et de la réalisation, tant du point de vue de l’enveloppe thermique que du choix et de l’optimisation des systèmes techniques. C’est un travail d’une part collaboratif entre les architectes et les différents bureaux d’études, d’autre part itératif, avec un niveau de détail supplémentaire à chaque étape du projet.

Cette approche s’appuie également sur l’anticipation des usages et des modes d’exploitation de l’ouvrage et fait appel à des modèles numériques de simulations thermiques dynamiques, qu’EODD ingénieurs conseils utilise justement pour anticiper, évaluer, optimiser et consolider les différents choix au regard des objectifs énergétiques du projets. Ces modèles numériques permettent ainsi de projeter quelles seront les conditions de confort et de consommations énergétiques du futur ouvrage, dans les conditions d’utilisations prévues et en fonction des conditions climatiques du site.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Afin d’appréhender les conditions de confort thermique en période chaude pour le lycée Gergovie, nous avons procédé à une première série de modélisations avec des données dites conventionnelles, puis nous avons testé la robustesse de la réponse thermique de l’ouvrage dans des scenarii plus extrêmes.

En effet, la recherche de performance énergétique durable couplée aux enjeux de confort d’été impose une réflexion en termes de résilience climatique de ce que nous concevons et construisons, sous peine de produire des bâtiments rapidement obsolètes. Lorsque nous concevons et construisons un lycée, nous nous projetons au minimum sur 50 ans. Il est donc indispensable d’anticiper la résilience thermique de l’ouvrage à la lumière du réchauffement climatique estimé sur cette période.

Avez-vous identifié d’autres facteurs qui pourraient nuire à cette résilience climatique ?

Oui : plus un bâtiment est énergétiquement et thermiquement performant, plus le facteur humain est prépondérant dans l’atteinte et le maintien de la performance. Ainsi, s’il était coutume de dire qu’un degré de plus sur la consigne de chauffage générait 7% de surconsommation pour un bâtiment « classique », ce même degré d’écart peut peser de 15% à 20% sur les consommations d’un bâtiment très performant.

De même, la bonne utilisation des protections solaires, mais aussi des ouvrants, de la ventilation, ou encore de l’éclairage, par les usagers a une incidence majeure dans le maintien ou non des conditions de confort thermique et dans la maîtrise des consommations énergétiques.

L’anticipation de la mise en exploitation est donc primordiale pour assurer l’atteinte des performances attendues. Ce passage de relais doit impérativement s’accompagner d’un transfert des bonnes pratiques, pour les gestionnaires comme pour les utilisateurs. Il y a toujours des femmes et des hommes derrière la technique.

Vous connaissez bien le marché clermontois. Le lycée Gergovie aura-t-il eu un effet d’entraînement ?

Un bâtiment de cette taille, affichant ce niveau d’innovation et de performances environnementale et énergétiques, a toujours un effet d’entraînement sur son écosystème proche.

Pour le lycée Gergovie, cet effet ne s’est pas fait attendre : ainsi le projet de la halle des sports Edith Tavert, sur lequel EODD intervient en tant qu’assistant à maître d’ouvrage, et qui sera livré en 2023 par la ville de Clermont-Ferrand sur la parcelle voisine, s’inscrit également dans le même niveau d’exemplarité environnementale et énergétique (E4C2). Il fait aussi largement appel aux solutions constructives locales et biosourcées (bois/paille).

A plus longue échéance, il y a fort à penser que ces deux projets environnementalement emblématiques vont poser les jalons des futures réalisations et guider durablement les ambitions et choix constructifs des futures opérations qui viendrons écrire le renouveau du quartier Saint-Jean, en ayant notamment fait la démonstration qu’il est possible de construire autrement, tout en maîtrisant les coûts et les délais.

Visite de l’atelier nomade d’assemblage bois-paille

Comment assemble-t-on un mur bois-paille ? Avec une masse, ou en sautant à pieds joints sur les bottes. Pour autant, ce processus très manuel est en réalité mi-industriel, mi-artisanal (un qualificatif revendiqué par le responsable de l’atelier, Armand Dubois) : c’est ainsi qu’il a pu être monté avec une grande flexibilité sur l’atelier nomade des Martres-de-Veyre, près de Vic-le-Comte. Ce site a, durant un an jusqu’en septembre 2021, fourni en ossature bois-paille le chantier du lycée Gergovie. La visite accompagnée par Armand nous permet de mieux comprendre le process mais aussi les avantages et les enjeux de ce type de construction.

Voir le reportage (article séparé) : Visite au sein d’un atelier nomade et éphémère de murs en bois-paille

On voit sur cette photo les panneaux de murs en bois-paille entourés des membranes thermiques (marquées Savare, du nom de la filiale d’Eiffage spécialisée dans la construction bois). Ces panneaux ont été assemblés dans un atelier monté pour l’occasion, près de Vic-le-Comte / Crédit photo : EODD (DR)

Les acteurs publics

Autour du groupement proprement dit, des collectivités et sociétés publiques travaillent sur une vision plus large : celle de la mutation du quartier Saint-Jean, un secteur relativement délaissé de la ville mais dont la transformation urbanistique et écologique est censée débuter grâce au lycée Gergovie.  (Note : la Région n’a hélas pas répondu à mes sollicitations)

Marie-Anne Olivier (SPL Clermont Auvergne)

La directrice des projets à la SPL (Société Publique Locale) Clermont-Auvergne détaille le “mandat” que la Ville de Clermont-Ferrand lui a donné pour la transformation du quartier Saint-Jean, s’étendant du boulevard éponyme aux voies ferrées. S’il s’agit d’une mutation urbanistique majeure mais aussi lourde à mener, elle reste confiante dans l’opportunité que cela représente pour la Métropole, avec un financement et une reconnaissance nationaux effectifs. Nous évoquons ensemble les questions de mobilité, de qualité globale d’aménagement, et de lien nécessaire avec le Brézet.

Interview avec Marie-Anne Olivier

Quel est le rôle de la Société Publique Locale (SPL) dans les projets urbanistiques ?

La SPL Clermont Auvergne pilote le grand projet de requalification urbaine du quartier Saint-Jean en qualité de mandataire, agissant au nom et pour le compte de la Ville de Clermont-Ferrand. Plus spécifiquement, elle pilote les études et travaux d’aménagement. Avec l’appui de nombreux professionnels experts dans le domaine de l’urbanisme, elle pose un cadre de cohérence globale entre aménagement et constructions.

Nous sommes en quelque sorte un « chef d’orchestre » du processus de renouvellement du quartier visant trois grands enjeux : qualité de vie, résilience environnementale et inclusion sociale.

Nous sommes donc garants de la méthode employée, la fabrique de la ville ne pouvant être appréhendée comme une simple accumulation, ou juxtaposition d’objets architecturaux ou de fonctions urbaines. Notre but, c’est d’aider à faire émerger des quartiers cohérents et intégrés à la ville.

Comment voyez-vous le projet d’aménagement du quartier Saint-Jean ?

Saint-Jean a été pendant longtemps un « quartier servant », relégué derrière les voies ferrées. A la fois quartier habité et zone de développement économique, il s’est développé au fil du temps selon une logique très fonctionnelle, sans réelles aménités.

Avec l’extension urbaine de la ville vers la Limagne ou le long des autoroutes, Saint-Jean se trouve aujourd’hui au barycentre de Clermont – géographique comme économique. Entre la gare SNCF et le Brézet et ses quelques 11 000 emplois !

Or la ville a aujourd’hui trouvé ses limites. Elle ne peut plus s’étendre sur ses périphéries. Ce quartier a donc à la fois l’opportunité et le devoir de se transformer.

Vous avez suivi depuis longtemps le projet de lycée Gergovie…

La fermeture puis la démolition des abattoirs municipaux en 2002 a laissé place à une vaste emprise foncière disponible dans le quartier, offrant l’opportunité d’accueillir de nouveaux programmes au cœur de la Ville. Lorsque la Ville de Clermont –Ferrand et la Région Auvergne, à l’époque, ont décidé de se saisir de cette opportunité pour implanter un nouveau lycée, elles ont de fait enclenché un processus de transformation du quartier, dont le lycée constitue la première pierre.

Ainsi, tout naturellement, la Ville a mobilisé son aménageur, la SPL Clermont-Auvergne, créée en 2016, pour porter un projet d’aménagement sur les 40 hectares du quartier Saint-Jean.

Une collaboration s’est mise en place avec les services de la Région Auvergne Rhône-Alpes pour travailler concomitamment sur le projet de construction du lycée et le projet d’aménagement du quartier.

Que pensez-vous des choix finalement retenus pour le gymnase et l’internat ?

En acceptant de devenir maître d’ouvrage du gymnase initialement prévu dans l’enceinte du lycée, la Ville a choisi d’en faire un véritable équipement d’envergure métropolitaine avec ses quelques 1 500 places en tribune. Le fait qu’il soit positionné à proximité du lycée mais hors les murs permet non seulement de répondre aux besoins des élèves à proximité immédiate mais aussi d’ouvrir l’équipement sur la ville. On peut aussi apprécier une écriture à la fois cohérente avec celle du lycée mais aussi différenciante, enrichissant la façade urbaine sur le boulevard Saint-Jean.

Reste la question de l’internat. J’ai effectivement pu regretter que celui-ci ne soit finalement pas construit dans l’enceinte du lycée, la Région ayant préféré envisager la transformation du lycée Marie Curie. D’un point de vue urbain ce choix posait question, le boulevard Saint-Jean étant pour l’heure peu adapté aux déplacements cycles et piétons.

En revanche, alors que nous prenons chaque jour à peu plus la mesure de la nécessité de maîtriser notre empreinte carbone, on ne peut que se satisfaire qu’il soit envisagé de reconvertir l’ancien lycée Marie Curie en internat plutôt que de le laisser inoccupé ou de le démolir.

Avec la présence du boulevard Saint-Jean le long du lycée, la mobilité est un vrai sujet. Comment va-t-elle se résoudre ?

Effectivement l’histoire se finira bien puisque la mise en œuvre du projet Inspire va permettre une transformation majeure du boulevard Saint-Jean appelé demain à accueillir dans de bonnes conditions d’agrément et de sécurité l’ensemble des modes de déplacements.

Cet axe aujourd’hui exclusivement routier deviendra un véritable boulevard urbain avec non seulement des voies de circulation automobile mais aussi un site propre bus, des pistes cyclables, des trottoirs confortables et des arbres. Chaque usager pourra y trouver sa place. Tout est maintenant question de coordination des actions publiques.

Finalement la répartition des programmes bâtis dans le quartier contribue activement au changement d’image de ce morceau de ville. Ici le lycée, là le gymnase, un peu plus loin l’internat… et un espace public repensé pour créer du lien : le boulevard Saint-Jean.

L’impact urbain aurait probablement été moindre si le lycée, le gymnase et l’internat avaient été regroupés dans l’enceinte du lycée comme envisagé dans le projet initial porté par la Région Auvergne. En revanche la réussite n’est possible aujourd’hui que parce que trois acteurs publics se sont engagés ensemble dans cette transformation : la Région (maître d’ouvrage du lycée et de l’internat), la Ville (maître d’ouvrage du gymnase) et la Métropole et le Syndicat Mixte des Transports en Commun (maîtres d’ouvrage du boulevard dans la cadre du projet Inspire).

Justement, pouvez-vous nous donner un aperçu de l’aménagement des secteurs Saint-Jean et Brézet, aux alentours directs du lycée Gergovie ?

Saint-Jean, ce sont 40 hectares à transformer. C’est complexe, long et couteux. Mais Clermont-Ferrand, à l’image d’autres grandes villes poursuit sa mue. La ville s’adapte, se réinvente. C’est le sens de l’histoire.

La première phase opérationnelle porte sur quelques 14 hectares, sis entre le boulevard Saint-Jean et la rue du Charolais. Une ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) va être créée pour mener cette transformation. Le lycée Gergovie et le gymnase, dénommé Complexe Sportif Edith Tavert, occupent le cœur du système.

En parallèle, la Métropole s’est engagée, avec l’appui de l’Etat qui a retenu le projet clermontois, dans la mise en place d’une Grande Opération d’Urbanisme sur Saint-Jean / Le Brézet – soit 200 hectares ! Tout l’enjeu réside dans la définition d’un projet partenarial d’aménagement permettant de fédérer acteurs publics et privés pour transformer progressivement l’espace urbain et l’adapter aux exigences de la ville contemporaine.

C’est aussi, à l’échelle des 21 communes qui composent le territoire métropolitain, tout l’enjeu du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal en cours d’élaboration.

Finalement ce qu’il faut retenir à mon sens c’est qu’avec ou sans action publique, la ville se transforme au fil des projets immobiliers – notamment ceux d’initiative privée. Mais pour que cette transformation produise de la qualité de vie, de la qualité d’usages et de la résilience environnementale, les collectivités ont le devoir non seulement d’accompagner, mais aussi d’impulser cette transformation.

Grégory Bernard (ville de Clermont-Ferrand)

Conseiller métropolitain délégué à l’urbanisme (entre autres), Grégory porte – politiquement parlant – le projet de transformation du quartier Saint-Jean dans lequel s’inscrit le lycée Gergovie. Il évoque dans son interview la nécessité de faire “la ville sur la ville” à la fois pour maîtriser l’artificialisation des terres mais aussi pour transformer l’habitabilité de secteurs entiers. C’est ainsi qu’il mise sur la nature en ville et les mobilités douces, mais aussi sur la multipolarité au niveau du territoire. Enfin, il revient sur l’historique des deux concours relatifs au lycée Gergovie, et sur l’apport de la ville de Clermont à travers le label Ecocités et la prise en charge du gymnase en cours de construction.

Interview avec Grégory Bernard

Comment définirais-tu l’approche métropolitaine dans laquelle s’inscrit le lycée Gergovie ?

Le principe est d’arrêter de s’étaler pour développer la ville. Comment ? En déployant la nature en ville de manière équilibrée avec l’habitat, la mobilité, l’économie… dans les faits, c’est très compliqué ! Le projet de réaménagement du quartier Saint-Jean, dont le lycée Gergovie est une des premières “briques”, en est représentatif.

Saint-Jean, c’est un secteur de 40 hectares entre le Brézet et le centre-ville de Clermont. Pour moi, c’est un terrain de jeu magnifique, en grande partie une friche industrielle entre la voie ferrée, l’avenue Edouard Michelin et le boulevard Saint-Jean. Je pilote sa transformation urbanistique, et c’est un des projets majeurs pour l’avenir de Clermont.

Il faut le voir en parallèle de la “requalification” du Brézet. Ces deux chantiers sont différents par nature et dans leur gouvernance, mais ils se rejoignent autour d’un projet partenarial d’aménagement urbain. Et ils sont accompagnés par l’Etat en tant que “grande opération d’urbanisme”.

Quand la Métropole a-t-elle commencé à travailler sur le quartier Saint-Jean ?

Nous voulions initialement nous inspirer des opérations de grande envergure comme l’île de Nantes, ou le quartier Confluence à Lyon. A Saint-Jean, il y avait beaucoup de friches, et les anciens abattoirs de la ville. Vers 2010, la réflexion urbanistique a débuté : nous avons obtenu le label Ecocités, “laboratoire de la ville de demain”, avec un financement national à la clé. 

L’idée était déjà de trouver un remède à l’étalement urbain, dans le cadre du Grand Clermont. Le rôle de l’agence d’urbanisme et notamment de son directeur de l’époque, Rachid Kander, y fut déterminant. Nous étions parmi les douze premiers Ecocités de France ! 

Finalement, le rôle de la Métropole était celui d’assemblier urbain : la ville a assuré la propriété, et la cohérence globale, du foncier. Elle a aussi obtenu ou assuré les financements nécessaires. Et elle porte la vision urbanistique d’ensemble…

Sur le projet du lycée Saint-Jean, quel a été son apport ?

Il faut souligner que le financement Ecocités a permis à la Région de livrer un lycée E4C2. L’exigence environnementale, mais aussi la mise en place d’un second concours, ont engendré des surcoûts importants. Je trouve que la Région tire un peu trop la couverture à elle, et sous-estime notre apport ! Sans parler de notre travail de remembrement qui a conduit à céder le terrain gratuitement.

Quel est l’historique du projet de lycée Gergovie ?

Il y avait eu un premier concours sur le “Nouveau Lycée de l’Agglomération Clermontoise [NLAC, le nom initial du projet de lycée Gergovie, NDLR], lancé par René Souchon à la Région Auvergne. Il portait sur un lycée de 1100 élèves, incluant un espace sportif et un internat de 300 places, le tout sur deux hectares.

Ce premier concours, qui avait été attribué à un acteur auvergnat de la construction, a été remis en cause par Laurent Wauquiez lors de la fusion des régions, en 2016. A mon avis, juste pour le principe d’imprimer sa marque – ce que je peux comprendre, même si les indemnités de rupture du premier contrat étaient significatives.

Conséquence : un surcoût, un nouveau concours, et le besoin de faire des économies. Cela a entraîné, hélas, deux décisions que je trouve dramatiques : d’une part, la suppression de l’internat. C’est très dommageable pour un lycée professionnel, avec des filières uniques sur l’académie comme un CAP de coiffure – donc des étudiants potentiellement venus de loin ! 

D’autre part, le transfert du gymnase à la ville, alors qu’il était absolument nécessaire sur site. Personnellement, je suis très favorable à des équipements mutualisés – un gymnase peut accueillir des lycéens en journée, des clubs associatifs le soir, des compétitions le week-end… mais on ne peut pas vraiment parler d’économie, ici.

Tout cela s’est donc terminé par une négociation globale entre Laurent Wauquiez et Olivier Bianchi, sans doute incluant d’autres dossiers comme la scène nationale, le FRAC ou la bibliothèque de l’Hôtel-Dieu… Au final, la Région affiche une économie sur le projet (avec l’aide des 6 millions d’euros du label Ecocités), la ville mettra 16 millions sur le gymnase. Et il manque toujours un internat, ce qui déséquilibre le projet du quartier. 

Peux-tu nous donner un aperçu des futurs alentours du lycée Gergovie ?

Déjà, il y aura beaucoup d’espaces verts publics, accessibles directement aux lycéens. Ce ne sera pas forcément un grand parc dans un premier temps, mais beaucoup de parcelles de nature en ville. Nous voulons aussi créer une polarité mêlant transports en commun, schéma cyclable et connexion facilitée avec le Brézet : il y aura un “ring” piéton et cycliste à cet endroit, et le boulevard Saint-Jean deviendra un “boulevard urbain”, similaire à l’avenue de la République aujourd’hui.

Dans ce cadre, le site du lycée Gergovie est une locomotive, le point de démarrage de la reconversion d’ensemble – en tous cas sur la base de l’investissement public. D’abord par le bâtiment principal qui est aujourd’hui fonctionnel, et demain par le gymnase qui sera aussi E4C2. Enfin, par des logements, notamment privés – il y a un projet de “tour à énergie positive” à l’emplacement actuel du Gormen’s. Le tout avec un cahier des charges écologique et social ambitieux.

Comment vois-tu la place du quartier Saint-Jean dans la ville de demain ?

Ce sera un standard de la ville durable, une transformation globale d’une “ville reconstruite sur la ville” – initiée en même temps à Cataroux, ou à Saint-Jacques. Le concours d’urbanisme que nous avions lancé en 2018 sur Saint-Jean a sélectionné le projet du cabinet d’architectes urbanistes Reichen et Robert. Ils ont proposé une approche très poussée de renaturation, avec un parc linéaire et une voie verte le long des rails, un plus grand parc au cœur du quartier, et la permanence du Parcc Oasis qui pourrait évoluer en sentier pédagogique sur la biodiversité.

Je suis convaincu que la centralité de la nature en ville créera l’aménité de ce quartier. Cela en changera l’image : on pourra dire “je veux vivre à Saint-Jean” ! Et la valeur économique en sera augmentée, pour les habitants mais aussi pour les activités présentes – notamment la maintenance ferroviaire d’excellence, les ateliers ACC. Nous incluons la dimension productive dans cette vision.

Au final, la clé reste le foncier. Or, la ville est aujourd’hui propriétaire de deux tiers du sol. C’est suffisant pour faire levier : les propriétaires privés sont naturellement poussés à interroger leur modèle. Ce qui était un quartier péri-urbain, en déshérence et sous-évalué, sera remis sur la carte.

Sur le lycée Vaugelas à Chambéry, dont se sont inspirés les membres du groupement du lycée Gergovie, on voit clairement l’ossature bois qui porte l’ensemble du bâtiment / Crédit photo : EODD (DR)

Les observateurs tiers

Enfin, j’ai pu interroger trois acteurs locaux indépendants, dont les activités professionnelles sont proches des sujets architecturaux, énergétiques et environnementaux. Si leur regard est forcément plus nuancé que les discours des parties prenantes directes, ils reconnaissent néanmoins la qualité de la réalisation, tout en étant vigilants sur les impacts économiques à long terme.

Rémi Laporte (architecte)

Quel est l’impact réel d’un “marché global de performance”, comme ce qui a été choisi par la Région pour le lycée Gergovie ? C’est la question posée par Rémi Laporte, qui souligne le rôle relativement minimisé de l’architecte dans ce cas – et donc le risque d’une perte de qualité. Néanmoins, cela n’est pas arrivé avec le lycée Gergovie, qu’il reconnaît être de très bonne facture environnementale. Rémi revient également sur le changement de paradigme du marché de la paille, d’un “déchet de culture du blé” à un vrai matériau de construction. Il alerte enfin sur le greenwashing existant dans la construction autour du biosourcé, et sur la course au gigantisme de certains projets.

Interview avec Rémi Laporte

Que pensez-vous de la procédure qui a abouti à la construction du lycée Gergovie ?

C’est une procédure dite de “marché global de performance”. La Région a mandaté une entreprise de construction – ici, Eiffage – qui a elle-même mandaté un architecte – le cabinet CRR. Dans le cadre de cette procédure, l’architecte doit soumettre son projet aux arbitrages de l’entreprise et à ses objectifs de rentabilité, ce qui peut en limiter les qualités.

D’habitude, l’architecte est indépendant de l’entreprise. Il peut ainsi vérifier les prestations de celle-ci et faire valoir l’intérêt général en cas d’arbitrage, comme sa déontologie l’y engage. Ici, la collectivité a pu disposer plus vite du lycée, mais au risque d’une perte de qualité.

En revanche, il faut souligner l’exigence écologique dès le départ posée par le donneur d’ordres, notamment sur les matériaux. Ce qui était assez inhabituel pour Eiffage, car ils avaient surtout l’expérience et l’outillage pour le béton. Le lycée Gergovie est donc un projet vitrine pour la Région, avec un budget plus conséquent à la clé, mais aussi pour l’entreprise.

Comment analysez-vous l’usage des matériaux biosourcés ?

Il faut s’intéresser aux questions de filières, au rapport matériau/territoire. La paille a cet avantage : dans la Limagne, les circuits courts sont tout à fait possibles. Mais attention toutefois, car cela peut se chevaucher avec d’autres usages – pour l’élevage notamment – sans parler des aléas climatiques.

Ce doit être un “choix de société” que de développer le matériau paille. Quand elle constituait un déchet de culture inexploité, ce n’était pas gênant. Si elle est de plus en plus sollicitée, notamment pour la construction, la question se pose autrement.

Cependant, les ressources, même renouvelables, ne sont jamais infinies. De plus, On ne peut pas passer du jour au lendemain d’un matériau industriel et chimique à un matériau biosourcé : il faut faire évoluer les filières, les pratiques, et même les paradigmes. Sans parler des questions réglementaires, des calculs thermiques, des essais en laboratoires, du financement de l’ensemble…

Attention enfin au greenwashing, très présent parmi certains acteurs de la construction. Dire qu’on fait du biosourcé parce que la construction classique a mauvaise presse, c’est une solution de facilité. Continuer le même modèle de croissance illimitée en changeant simplement de matériau ne répondra pas aux défis écologiques.

Le lycée Gergovie pose-t-il un problème de taille ?

C’est difficile de généraliser sur ce point, qui a été débattu. Mais l’effet “élu bâtisseur”, qui veut inscrire sa mandature dans le territoire par un édifice d’ampleur, a forcément joué.

Je pense que la question porte davantage sur la pérennisation des “bonnes pratiques” issues de ce chantier expérimental. Comment vont-elles se diffuser ? Il y a une certaine difficulté de capitaliser à partir de l’expérience de chantiers innovants dans la construction, faute de beaucoup de partage entre les entreprises.

Et, bien sûr, ne pas oublier que l’architecture ne se limite pas à la construction d’un bâtiment et aux performances de ses matériaux. Il faut aussi penser aux usagers, se demander si, par leurs formes, les espaces seront agréables à vivre, et si ils seront porteurs d’un sens partagé par une communauté, dans un territoire donné.

Les constructions anciennes que nous admirons sont celles où l’utilisation d’un matériau dépasse un simple rôle technique, où elle est subordonnée à des enjeux plus fondamentaux. La qualité d’un grand équipement public se mesure à cette échelle.

Marie Forêt (consultante en biodiversité)

Marie avait travaillé sur le lancement du label Bois du Massif Central. Ce dernier n’a pas forcément été utilisé dans le cadre du projet Gergovie (mais, d’après Armand Dubois de Savare, les fournisseurs devaient apporter la preuve de l’origine du bois, 100% français et 80% du Massif Central, vérifié par une société tierce). Mais Marie reste vigilante sur cette question du sourcing, comme sur le calcul de l’empreinte carbone du bois, dépendante du transport mais aussi des étapes de transformation. Enfin, elle est sensible à l’utilisation d’un bâtiment exemplaire comme vecteur pédagogique, dans le cas d’un lycée.

Interview de Marie Forêt

Quel est ton retour global sur le chantier du lycée Gergovie ?

Je trouve cela très bien d’avoir à Clermont un bâtiment d’une telle ampleur avec des matériaux originaux et biosourcés, notamment la paille et le bois. C’est vertueux, et cela constitue un bel exemple.

Néanmoins, tu es vigilante sur la question du bois…

Il y a plusieurs questions à se poser quand on veut bien utiliser le matériau bois. D’abord, d’où vient-il ? Quel a été le travail de sourcing des entreprises ? Y a-t-il une garantie de la démarche durable de transformation, ou de l’origine du bois ? J’irais même jusqu’à dire : peut-on se contenter d’une main sur le cœur et d’une simple facture ?

On ne peut pas se contenter d’un calcul sur le carbone stocké. La question de la filière d’approvisionnement et du lieu de transformation est capitale. Par exemple, quel est l’impact carbone du transport de ce matériau ? 

Pour y répondre, les certifications et la traçabilité des bois sont une bonne garantie. Il faut même aller plus loin, et utiliser au mieux les ressources proches. On peut ainsi raisonner une construction en fonction des produits que les entreprises locales peuvent fournir à partir des forêts locales. Les faire monter en gamme constituerait une belle mission de service public !

Un souhait pour l’utilisation de ce lycée ?

J’espère voir se prolonger la “vertu” écologique du bâtiment dans sa manière de fonctionner, et notamment dans la pédagogie en direction des élèves, la sensibilisation aux enjeux environnementaux.

Sofiane Batnini (thermicien, militant associatif)

Membre de l’association Alternatiba 63 – qui scrute avec attention et vigilance les projets menés sur la Métropole – et thermicien de formation, Sofiane est très sensible aux questions de biodiversité. Il avait travaillé avec l’association Parcc Oasis, initialement située à la pointe nord de la parcelle du lycée, et revient sur la “question végétale” – autant ceux qui ont été rasés sur le site que l’économie de la paille en Limagne. S’il reconnaît la qualité environnementale de la réalisation du lycée, il questionne néanmoins la taille de tels bâtiments et espère qu’une telle exigence sera de mise pour de plus petits marchés.

Interview de Sofiane Batnini

Quelle est ton opinion d’ensemble sur le chantier du lycée Gergovie ?

En tant que thermicien et avec un regard extérieur, je trouve que le travail réalisé sur le matériau paille est très intéressant – c’est même une grande avancée par rapport à la construction conventionnelle. Le reste est moins original.

Par exemple, le béton reste important dans les volumes de matériaux employés. Pourquoi toujours tant de béton ? On parle de sécurité anti-incendie, par exemple… je trouve que c’est un raccourci un peu facile. On sait construire en pierres, en terre – sauf quand elle est polluée, comme c’était le cas sur le site du lycée Gergovie. Mais le cadre réglementaire ne permet pas encore de se passer du béton, et personne n’a vraiment envie de se forcer à réfléchir autrement.

Plus largement, je pense qu’il faut se ré-intéresser à des “manières de construire” que l’on maîtrisait avant : elles sont durables, éprouvées, et font appel à des matériaux biosourcés. Tant qu’on ne le fait pas, les filières de la pierre ou de la terre comme matériaux de construction continueront à être mises à mal par les acteurs du béton.

Tu es également vigilant sur la question de la paille…

En effet : je trouve que ce matériau se développe dans le cadre d’une hyper-mécanisation, à cause des dimensions et des volumes nécessaires. Avant 2010, on était dans une logique plus artisanale, avec des petits acteurs. Aujourd’hui, il faut des bottes adaptées, et on met en place des ateliers semi-industriels. Ce n’est pas très résilient.

De plus, si des grands acteurs comme Eiffage se lancent à fond dans le matériau paille, ils risquent de déstabiliser le marché et de faire monter les prix. Cela peut les multiplier par deux ou trois… et comment réagiront les petits constructeurs, dans ce cas ?

Les producteurs, aussi, seront impactés. D’autant plus que le changement climatique raccourcit progressivement les épis de blé – on l’observe depuis une dizaine d’années.

Que penses-tu de la dimension du chantier Gergovie ?

C’est un projet énorme, qui a entraîné la concentration de deux établissements pré-existants. Il rassemble désormais 1000 élèves sur le site de Saint-Jean. Mais avait-on besoin de faire si grand ? A-t-on envisagé de réhabiliter les établissements existants ? Je ne sais pas si on a vraiment écouté les utilisateurs en amont du projet.

Par ailleurs, il faut veiller à ne pas “en rester là” : si Eiffage se félicite de cette réussite, mais continue à couler du béton ailleurs, avec des financements de la Région, ça ne changera pas grand-chose. Plus globalement, je pense qu’il faudrait éviter de trop faire appel à ces énormes structures. On pourrait envisager des plus petits projets, et adapter les marchés publics en fonction.

Comment était le site avant les travaux ?

C’était certes une friche, mais elle était très riche en biodiversité, avec de nombreux robiniers, des clématites et des orties qui poussaient librement depuis 20 ans, malgré la pollution industrielle. Ce n’était pas du tout un “site lunaire” comme on a pu le lire.

J’ai conscience des enjeux de la construction, mais on peut se demander s’il faut toujours tout raser : ne peut-on pas davantage s’accorder avec l’existant, bâti ou naturel ? Attention à la démesure de certains de ces “grands projets urbanistiques”.

Le bois, omniprésent dans le lycée Gergovie, combiné avec l’éclairage naturelle et les grands volumes des patios et des couloirs d’accès aux salles / Crédit photo : EODD (DR)

Conclusion : l’effet ciseau (à bois)

Si je retiens une chose de ce beau projet, c’est qu’il illustre à la fois l’intérêt des matériaux biosourcés dans la construction de grands bâtiments (publics ou privés), mais aussi la nécessité urgente de structurer les filières d’approvisionnements et de garantir les ressources : avec de moins en moins de foncier disponible, avec une raréfaction des matériaux de construction « industriels » comme le métal ou le béton, sans parler de la nécessité de réduire l’impact carbone, il faut faire appel au bois, à la paille, à la terre. Mais ces matériaux naturels ne sont pas inépuisables non plus – on l’a vu, d’une certaine façon, avec la pénurie de sable. Et leurs cycles de renouvellement prennent du temps.

Le secteur de la construction risque donc, à moyen terme, de se retrouver coincé par un effet ciseau entre ces deux tendances. Une solution pourrait être simplement … de moins construire, ou de construire autrement. C’est, en micro, le principe de « restructuration » de bâtiment évoqué par Jean-Pierre Rambourdin, ou celui de « ville dans la ville » cher à Grégory Bernard (ou à Rachid Kander que j’avais interviewé aux débuts de Tikographie, déjà). Il impliquerait, dans ce cas, de renoncer à des projets tels que ce lycée Gergovie pour se tourner vers de la transformation d’existant, moins visible, moins marquant mais sans doute plus efficace en termes de matériaux. A moins bien sûr que des solutions techniques et innovantes ne viennent changer la donne, ce qui reste possible. Mais n’excluons pas l’alternative de sobriété si elle peut s’avérer efficace.

Pour aller plus loin :
Le dossier de presse conjoint CRR-Eiffage sur le lycée Gergovie (initialement appelé NLAC)
Le détail du projet urbain Saint-Jean dans un document édité par la ville de Clermont-Ferrand

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Visites effectuées en juin et septembre 2021 puis juillet 2022 ; propos recueillis en août et septembre 2022, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par chaque intervenant. Merci beaucoup à Xavier Andiano, Camille Fayet et Jérôme Kienlen de CRR Architecture, à Rachid Kander d’Assemblia, et à Sébastien Thoral et Armand Dubois du groupe Eiffage pour m’avoir facilité la réalisation de ce dossier. Crédit photo de Une : Sylvain Jouve (DR)