Attention à l’overdose de culture

La culture et ses déclinaisons, petites ou grandes, sont nécessaires à nos vies et à nos territoires. Mais se focaliser sur ce sujet, notamment par les grands projets européens, et au détriment des enjeux plus « terrain » comme le social et l’écologie, ne sont-ils pas une fuite en avant ?

Je vais mettre les pieds dans le plat, mais je m’inquiète des méga-projets culturels sur notre territoire. Par « méga-projets », je ne parle pas tant des grandes infrastructures réalisées ou en cours (ni de bassines), mais plutôt des initiatives transverses comme le projet de Capitale Européenne de la Culture.

Plus largement, je m’inquiète d’une sur-focalisation sur la Culture, avec un grand C, comme marqueur ultime de développement du territoire.

Les grands projets culturels, quand « tout le reste va bien »

D’un côté, c’est vrai : pour faire simple, quand on n’a plus que la culture (arts, spectacles, littérature, etc.) comme sujet de préoccupation, c’est qu’en principe le reste va bien. C’est donc la cerise sur la pyramide de Maslow.

D’un autre côté, non, tout ne va pas bien. Les problèmes économiques sont nombreux, mais ce sont surtout les sujets sociaux et maintenant environnementaux qui sont largement sous-estimés par beaucoup de collectivités et d’acteurs transverses – heureusement pas tous, mais je n’ai pas l’impression que les principaux les prennent à bras le corps.

J’aimerais voir la même dynamique globale, les mêmes moyens, la même ampleur de communication mise dans le développement de la résilience territoriale, dans l’imagination collective et la mise en place d’un nouveau modèle de société et d’économie adapté aux limites planétaires et aux crises à venir, que dans la Capitale Européenne de la Culture.

Mais cette sur-focalisation n’est hélas pas qu’une problématique d’acteurs publics. Beaucoup de chefs d’entreprise, et certains acteurs associatifs (sans doute moins car la société civile est davantage reliée au terrain et aux réalités) semblent se concentrer sur la culture comme LE sujet à traiter.

En juin, le congrès national des DCF [Dirigeants Commerciaux de France], à Clermont, a eu pour thème « Culture et développement ». La soirée annuelle French Tech Clermont Auvergne (le 17 novembre) s’intitule « Economie et culture : des mondes en convergence ». Et la Capitale Culturelle Européenne, après quelques changements de stratégie, est érigé comme le projet territorial principal.

La culture comme échappatoire à l’état de nature

Pour être clair : la culture est absolument nécessaire à la société, et elle doit prendre des formes très diverses, au plus près de ses publics. Les projets transverses comme la Capitale Culturelle, ou les événements thématiques comme ceux que je viens de citer, sont de bonnes choses sur le fond.

Le problème, il me semble, est de se focaliser dessus en oubliant les autres enjeux sociétaux, bien plus existentiels. Au premier chef, la crise écologique. « En oubliant », ou « pour oublier », parce qu’il est dur d’être confronter à la conséquence de nos actes, en l’occurrence la dégradation rapide des écosystèmes. Parler culture, c’est quelque part se réfugier dans les sphères intellectuelles, artistiques, finalement le plus loin possible de la nature. Nature, culture, ne sont ils pas depuis Rousseau (entre autres) le point de départ et le point d’arrivée de tout humain qui se respecte ?

Je ne dis pas non plus que les gens qui organisent ou qui participent à ces initiatives ignorent ou sous-estiment la crise écologique. Je sais d’ailleurs que ce n’est pas le cas pour nombre d’entre eux, et que, par ailleurs, ils s’engagent dans des projets en réponse à cette crise avec de la volonté.

Enfin, j’ai conscience que la dimension culturelle est indispensable à la transition écologique. Par les œuvres d’art, mais surtout par le travail sur les imaginaires, par l’invention collective d’un avenir souhaitable ou plausible, en tous cas par la prise en compte de la culture qui nous relie et qui fait partie intégrante de notre identité.

Seulement, j’aimerais plus de grands événements et de grands projets territoriaux sur notre adaptation au monde de demain, écologiquement et socialement parlant. Le sujet à court et moyen terme (et pas pour 2050, bien avant), c’est ça, me semble-t-il.

En 2028, année de la fameuse Capitale Culturelle, je ne suis pas du tout sûr que la bonne tenue des manifestations culturelles soient notre souci principal.

Damien

Lire l’entretien : L’art de transcender l’existant par les imaginaires, selon Rosalie Lakatos

Crédit photo: projet Massif Central Capitale Européenne de la Culture 2028