Dans l’œil des photographes 3/3 : Vincent, sur les traces du Vivant

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Vincent Amaridon sur les bords de l'Allier
Pour terminer notre exploration de l’univers de photographes éco-sensibles, approchons-nous encore un peu plus du monde sauvage. Autour de Billom, Vincent Amaridon réalise lui aussi des portraits, mais plutôt de grands-ducs que d’entrepreneurs.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Et voici le troisième et dernier portrait de la série. Si je connaissais Félix et Grégoire en tant qu’adhérents (comme Tikographie) du Damier, la structure qui accompagne en Auvergne les entreprises créatives et culturelles, j’ai découvert le travail de Vincent par ses photos.

Quand on s’intéresse aux acteurs de la protection de l’environnement dans le Puy-de-Dôme et qu’on suit leur activité sur les réseaux sociaux, on tombe forcément de temps à autre sur ses magnifiques clichés d’oiseaux en plein vol, de silhouettes animales ou végétales se détachant dans le paysage.

Ça m’a donné envie de le rencontrer.

Et de clôturer avec lui cette série qui vous aura proposé en trois temps, dans cette période où on en a tant besoin, un peu de beauté et de poésie.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Vincent Amaridon a commencé par travailler en bureau d’études d’hydrogéologie, puis dans le montage d’un contrat de rivière. Mais progressivement il se dirige vers l’éducation à l’environnement d’une part et vers la photo de nature d’autre part. En 2021, il réunit ses diverses compétences dans une activité d’indépendant, sous l’appellation Pose Sauvage.
  • Côté sensibilisation, il propose des sorties d’observation de la nature ou des ateliers d’initiation à la photo de nature, la photo étant dans ce cas un prétexte pour éduquer le regard et amener différents publics à découvrir et comprendre le Vivant.
  • Côté travail photographique, il pratique l’affût dans son environnement proche, autour de Billom, piste la vie sauvage dans les zones de lisière ou les moments crépusculaires, et s’intéresse actuellement au grand-duc et au castor. Il traduit cette vie en grande partie nocturne par des silhouettes, des traces furtives, des animaux en mouvement, des jeux de lumière. Et il se tourne aussi vers les traces de l’humain en mode Urbex, dans des friches et lieux à l’abandon.

Ce n’est pas un hasard si Vincent Amaridon me donne rendez-vous à l’entrée de l’Ecopole du Val d’Allier, tout près du pont de Cournon. « La rivière me tient à cœur ; je traîne beaucoup mon appareil photo sur ces rives. Car je viens de là : mon premier métier a été chargé de mission en milieu aquatique, d’abord dans un bureau d’études en hydrogéologie à Dijon. Ensuite, j’en ai eu marre de la science… ou plus exactement, j’ai voulu avoir une autre approche plus didactique. J’avais envie de porter à la connaissance du public ce qu’on travaillait dans les bureaux d’études. »

Vincent se forme alors au CPIE, cherche des postes de médiateur environnemental, travaille entre autres pour la réserve naturelle nationale des Sagnes à La Godivelle. Mais le travail est trop saisonnier pour remplir son emploi du temps et il retourne à la rivière : à Sauxillanges, comme technicien pour la mise en place d’un contrat de rivière. En 2018, parce que la réglementation change et qu’il n’a pas le bon diplôme, il doit sortir de la rivière… pour s’intéresser au monde de la nuit : il est embauché à l’association Chauve-Souris Auvergne où il reste trois ans.

« La rivière me tient à cœur. »

Ce nouvel univers le fascine, mais il ne se sent pas à l’aise dans ce poste où on travaille surtout la nuit, en décalage avec la vie sociale, et où on se déplace dans toute l’Auvergne. C’est cependant l’époque fructueuse où il commence à semer « les premières pierres photographiques » et à penser à se mettre à son compte, en mettant à profit ses compétences multiples.

Sur l’association Chauve-Souris Auvergne, lire aussi le reportage : « Les chauves-souris espèces à protéger… y compris des idées reçues »

Comment la photo vient

La photo, dans tout ça, s’impose progressivement, d’abord en autodidacte. « En fait elle a été là très tôt. Au début, elle a eu dans mes activités professionnelles un rôle scientifique, pour identifier et documenter les plantes, les paysages, des phases de chantier… C’était aussi un refuge : la photo et être dehors, rencontrer les êtres qui peuplent un endroit, avec aussi un côté méditatif », raconte-t-il.

« L’eau et la lumière me portent. »

La photographie animalière est arrivée plus tard pour des raisons matérielles : elle nécessite des équipements qui coûtent cher, et Vincent prend son temps. « Ce n’est pas forcément plus complexe, c’est différent », souligne-t-il. D’ailleurs il se dit fasciné par les plantes aussi : « Elles maîtrisent la lumière beaucoup mieux que moi », relève-t-il en tendant la main vers des renouées du Japon dont les grandes feuilles d’un vert lumineux commencent à se parer de couleurs automnales. Quand beaucoup y voient une désagréable plante exotique envahissante, Vincent hausse les épaules : « Nous sommes entourés d’espèces invasives », constate-t-il, se penchant vers la rive pour me montrer des coquilles d’un petit mollusque qui a colonisé l’Allier.

Il s’est intéressé aussi aux insectes, à la géologie, à « tout ce qui est facile à appréhender ». Son œil de photographe s’affine. Il se forme grâce à des stages et à des rencontres marquantes. « L’eau et la lumière me portent », dit-il. Petit à petit, avec un même boîtier, il s’équipe d’objectifs de plus en plus performants, pour capter des animaux à plus grande distance, sans les déranger.

Vincent Amaridon avec renouée du Japon
Vincent est fasciné par les plantes. « Elles maîtrisent la lumière beaucoup mieux que moi », me dit-il devant cette renouée du Japon.

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Éduquer le regard

Et voilà comment l’ex-technicien rivière en est arrivé, en prenant son temps, à créer Pose Sauvage, en 2021. Il mène cette activité indépendante principalement aux alentours de Billom, son port d’attache, et y développe plusieurs facettes : l’éducation à l’environnement, la formation et l’initiation à la photo de nature, et la photographie. Et de plus en plus aussi la vidéo, pour répondre aux goûts de l’époque.

« La photo est un prétexte, pour sensibiliser des personnes qui ne s’intéressent pas spécifiquement à l’environnement. »

Vincent peut emmener à la découverte de l’écrevisse à patte blanche des élus ayant à prendre des décisions sur une zone Natura 2000. Animer des séances d’école du dehors pour des classes d’enfants. Guider des balades botaniques. Initier des gens d’horizons divers à la prise de vue.

« Dans ce cas, la photo est un prétexte, pour sensibiliser des personnes qui ne s’intéressent pas spécifiquement à l’environnement. Je peux même proposer des balades photo avec smartphone. C’est une éducation au regard, pour apprendre à prêter attention au Vivant », dit-il. Pour tous les publics, il propose la découverte de sites naturels en croisant des approches scientifiques, ludiques, artistiques.

Renard roux
« Comment rendre visible la part du monde sauvage qu’on ne voit pas, alors que 60 % des espèces vivent la nuit ? » Vincent Amaridon partage cette préoccupation avec les participants à ses ateliers photos. Et il y répond par son propre travail, où surgit par exemple ici la silhouette furtive d’un renard roux au crépuscule.

Nature et culture

Déjà quand il était technicien rivière, il pouvait relier son travail avec la mise en valeur patrimoniale du label « Pays d’art et d’histoire ». Aujourd’hui encore il apprécie de faire se rejoindre nature et culture, en abordant le monde sauvage également par l’histoire, les représentations, la symbolique. Et ainsi, explique-t-il, « toucher différentes formes d’intelligence ».

Exemple d’ateliers où il guide son public de photographes amateurs vers un regard plus acéré sur le Vivant : il cite un projet en Haute-Loire sur le thème du tacon, autrement dit des jeunes saumons, avec en clôture une exposition collective. Le défi des participants : comment montrer ou évoquer un animal aquatique aussi furtif ?

« En travaillant sur les imaginaires, les perceptions, les croyances, mais aussi les textures, les couleurs… »

Ce qui revient à se demander plus largement, dit Vincent : « Comment rendre visible la part du monde sauvage qu’on ne voit pas, alors que 60 % des espèces vivent la nuit, qu’une part importante de la biodiversité n’est même pas connue et qu’on ne sait plus regarder ce qui peut l’être ? » Les ateliers de Pose Sauvage répondent à ces défis, dit le photographe, « en travaillant sur les imaginaires, les perceptions, les croyances, mais aussi les textures, les couleurs… ce qui conduit à travailler sur les habitats, et donc à apprendre à connaître la vie du poisson, son fonctionnement, ses habitudes, ses besoins… »

Pour en savoir plus sur la vie et les enjeux des saumons de l’Allier, lire aussi le reportage : « Où en sont les saumons de l’Allier ? »

« Diversité linguistique et diversité biologique »

Pour cette 53ème Rencontre Tikographie, nous sortons de notre cadre traditionnel et explorons le lien entre culture et nature à travers le langage.

Mardi 4 novembre (17h-19h) à la librairie des Volcans à Clermont – tous publics, gratuit et en accès libre

Se faire accepter

Cette activité de partage a aussi l’avantage de lui laisser du temps pour des travaux personnels. Par la photographie animalière surtout, ils sont entrés dans une nouvelle dimension. Actuellement, le hibou grand-duc partage son attention avec le castor. Avant eux, c’était la chouette chevêche d’Athéna.

« À la fin, il se laisse photographier… »

« Ce sont des rencontres, presque de hasard, explique-t-il. Je m’intéresse d’abord à ce qui est proche de chez moi. On est en affût pour un animal qu’on ne verra finalement pas venir, mais pendant ce temps, on en entend un autre. À partir de là, on enquête, on essaie de comprendre : en ce moment, le hibou chante pour marquer son territoire ; ensuite, ce sera la période de l’accouplement, etc. Pour l’approcher, il faut alors monter un poste d’écoute. Petit à petit, il faut se faire accepter. Et à la fin, il se laisse photographier… » Et l’histoire ne s’arrête pas à la première séance de pose du rapace : « Après, il y a un attachement, une envie d’avoir des nouvelles… », ajoute le photographe.

Grand Duc par Vincent Amaridon
« Je t’ai vu mais je t’autorise à faire mon portrait », semble dire le grand-duc, avec ce clin d’œil, à l’objectif de Vincent.

Pour ce travail de longue patience, mais un peu aussi, selon lui, de voyeur, Vincent s’intéresse aux marges : les seuils, les lisières, le crépuscule. Ces endroits et ces moments de calme où la vie sauvage se révèle en silhouettes, en mouvements à peine devinés, en frémissements et passages furtifs que le photographe essaie de rendre, quitte à y mettre des flous, des formes presque abstraites ou à peine décelables, mais traduisant la poésie du Vivant. Comme ce cerf galopant à la suite d’une biche, dont il a su capter l’élan : une photo dont il est particulièrement fier. « Je l’ai saisi en suivant son mouvement comme on le fait pour des sportifs en course, avec l’arrière-plan bougé. C’est puissant. »

« Ça fait du bien ! »

Quand je lui demande pourquoi il s’intéresse particulièrement au grand-duc, il doit réfléchir un peu. Il relève que c’est un des rares superprédateurs qui subsistent dans notre région. Qu’il s’agit d’une espèce méconnue et entourée de croyances. Et il finit par trouver son point commun avec le castor : « Alors qu’on est confronté partout à la disparition de la biodiversité, ceux-là reviennent, se réinstallent et se portent bien. Ça fait du bien ! »

Rouge-gorge
Vincent s’intéresse aussi aux animaux qui se sont adaptés à la présence humaine, comme ici le rouge-gorge familier de nos jardins.

Les traces qu’on laisse

Des lisières de la nature à celles de la vie humaine, il n’y a qu’un pas que Vincent franchit de plus en plus. D’abord en s’intéressant aussi à la faune et à la flore qui se sont adaptées à notre présence et aux espèces plus communes, ne serait-ce que pour éviter de déranger celles qu’on sait fragiles et en danger.

Toujours attentif à ce lien fructueux entre culture et monde sauvage, il expose ses clichés aussi naturalistes qu’artistiques – par exemple récemment dans le cadre des 50 ans de la réserve de La Godivelle – et répond à des sollicitations de parcs naturels, d’instances de protection de la nature pour valoriser des espèces ou des paysages ; mais il peut également répondre à des commandes ayant trait à l’activité humaine : « J’ai envie d’ouvrir mon regard à des artistes ou des artisans dont le message correspond à mes valeurs », explique-t-il.

urbex Vincent Amaridon
De l’observation de la vie sauvage à l’exploration des friches laissées par l’humain… avec parfois des surprises qui rappellent le lien entre les deux. – Photo de Vincent Amaridon

Il s’est mis à explorer aussi les marges de nos villes et de nos activités : friches industrielles, thermales, touristiques, anciennes stations de ski ou centres aérés à l’abandon… « On est servi en Auvergne ! » constate-t-il. Il s’aventure à les explorer en mode Urbex et à y saisir les traces de vie et d’activité passées.

Il finit par considérer tout ce qu’il vient de m’exposer et par conclure : « Finalement, le fil conducteur de mon travail, ce sont les traces qu’on laisse après soi, qu’on soit humains ou animaux. C’est ce que j’essaie de rendre visible. »

Pour prendre contact, découvrir les propositions d’animation et le travail photographique de Vincent, c’est sur le site Pose Sauvage
Lire aussi les deux premiers portraits de la série :
« Dans l’œil des photographes 1/3 : Félix, bon mollet, bon œil »
et « Dans l’œil des photographes 2/3 : Grégoire, artiste engagé »

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé lundi 27 octobre 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf évidemment les photos du photographe. À la une : Vincent Amaridon, sur les bords de l’Allier

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