Dans l’œil des photographes 2/3 : Grégoire, artiste engagé

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Grégoire Delanos au balcon du chalet
Deuxième volet de notre série de portraits de photographes éco-sensibles. Grégoire Delanos réalise à Clermont des photos pour des structures écoresponsables. Parallèlement, il mène une recherche artistique et s’engage en militant. Et entremêle parfois ces différentes casquettes.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Après le cycliste, l’artiste expérimental. Où l’on découvre avec Grégoire que la photographie peut être un processus beaucoup plus vivant qu’on l’imagine.

C’est là que le commun des lecteurs (et des rédactrices) commence à se sentir très humble avec ses selfies au smartphone ou même avec son bel appareil autofocus pour illustrer ses reportages.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Côté prestations professionnelles, Grégoire Delanos réalise tout type de photos dans le cadre de son studio La Hutte, pourvu que le projet, l’entreprise ou l’association commanditaire soit (au moins un peu) engagé en termes de réduction d’impact écologique. Il propose notamment à ses clients un calcul de l’impact carbone de leur production d’images, porte d’entrée pour évoquer ces sujets avec eux.
  • Parallèlement, il mène un travail de recherche artistique qui s’intéresse d’abord au processus de création des images, dans lequel il s’efforce de faire intervenir le Vivant de très diverses manières. Il vient de s’installer pour deux mois en résidence au jardin Lecoq à Clermont, où le Vivant sera naturellement présent dans son travail, mais peut-être pas la photographie.
  • Grégoire est aussi engagé dans les luttes militantes de Greenpeace et dans l’animation du tiers-lieu La Base, qui accueille les collectifs et initiatives engagées sur les questions sociales et environnementales. Ces activités se traduisent elles-mêmes, parfois, en projets artistiques, comme la série « Le Cri » qu’il mène au fil de l’eau en soutien à la Lutte des Sucs en Haute-Loire.

Commençons par quelques éléments biographiques : « Quand j’étais gosse, j’ai vécu en divers endroits du Massif central, en ruralité profonde ou dans des petites villes. J’ai été habitué très tôt au contact avec les milieux naturels et ça m’a sensibilisé à la protection de l’environnement », dit Grégoire Delanos, alors que nous échangeons dans un endroit très insolite de Clermont : le petit chalet du jardin Lecoq, où il entame une résidence artistique. Un endroit environné de verdure, en plein centre-ville, parmi les merles et les écureuils qu’il a commencé à observer. Un endroit qui, on va le comprendre, lui correspond bien.

Donc, après la Creuse, la Haute-Loire, le Cantal – et un peu aussi la Bretagne, précise-t-il – Grégoire entame des études d’architecture, bifurque vers un BTS photo à Toulouse, travaille deux ans dans un studio photo, puis se lance en indépendant en 2021 pour mettre son activité en accord avec ses valeurs. Il « tâtonne » une année, puis crée en 2022 La Hutte, studio photo engagé, parallèlement à son travail artistique qu’il poursuit sous son propre nom.

Grégoire dans le bureau du chalet
Des cartes, des livres, des cahiers pour prendre des notes, un ordinateur et plein de petit matériel… Dans sa résidence au jardin Lecoq, Grégoire commence par réfléchir, observer, se documenter.

Une identité claire

« Je voulais deux entités différentes, pour deux manières de travailler, deux finalités et deux réseaux », détaille-t-il. Avec La Hutte, l’intention est de travailler avec des associations, entreprises ou collectivités plutôt engagées sur les thématiques environnementales. Ce qu’il jauge à sa manière : « Parfois la barrière entre ce que j’accepte ou pas est assez floue ; je peux faire des compromis, mais j’essaie d’éviter ceux qui sont dans le greenwashing et je mets une barrière sur les projets qui contribuent au réchauffement climatique. »

« Je voulais deux entités différentes, pour deux manières de travailler, deux finalités et deux réseaux. »

La Hutte a donc un positionnement fort – « Ça crée une identité claire de savoir ce que tu fais et pourquoi tu le fais », dit-il. Entre beaucoup d’autres commandes, il se fait plaisir, dit-il, sur les campagnes de C-Vélo qui lui laissent quasiment carte blanche. Il ne manque pas les occasions d’aller à la rencontre du monde agricole, entrepreneurial ou associatif et de « raconter des histoires par les images ». Et il se fait inviter pour illustrer le beau livre « Les Immortelles – Paroles Paysannes » de ses amis Pierrick Laurent et Léa Rossignol. Qu’il invite à son tour à collaborer à La Hutte.

Car cette marque lui permet d’afficher une approche faisant la part belle au travail collectif chaque fois que le projet le permet, et de « faire travailler les copains », sur des shootings importants ou des projets particuliers : photographes, vidéastes, pilote de drones, mais aussi spécialistes de la déco, de la cuisine ou du maquillage…

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Une porte d’entrée

Côté photographie, l’engagement de Grégoire ne change rien à sa façon de tirer le portrait d’un professionnel ou d’un collectif de travail, de capter un événement ou une activité, de créer des visuels pour une campagne, une affiche ou même un « rapport annuel de société à mission », cite-t-il.

Ses valeurs transparaissent surtout dans sa relation à ses clients, avec un positionnement qui le démarque. Notamment, il propose de les accompagner pour quantifier l’impact de la production d’images. « À part pour les shootings au long cours, avec beaucoup de monde ou de déplacements, cet impact reste en général anecdotique dans leur activité, mais c’est une porte d’entrée pour aborder le sujet et pour promouvoir des manières de faire plus écologiques. Lorsqu’ils ont une politique RSE, ils sont aussi intéressés pour l’intégrer au calcul de leur empreinte carbone », dit-il.

« Le train est très compétitif par rapport à des indemnités kilométriques. »

Le premier poste d’émissions dans ce calcul, sans surprise, concerne les déplacements, surtout pour les projets en zone rurale. « Je privilégie les transports en commun, le covoiturage, la location de véhicule électrique en autopartage ; en dernier, j’utilise ma voiture diesel », énonce Grégoire, qui précise faire parfois plusieurs devis pour donner au client le choix du mode de déplacement, en fonction de son budget, du temps dont il dispose, de ses propres engagements. Ces devis peuvent d’ailleurs comporter des surprises quant aux coûts, pas toujours en défaveur de la solution la plus écologique  : « Le train est très compétitif par rapport à des indemnités kilométriques. La location en autopartage peut l’être aussi mais seulement au-delà de 100 km. »

Grégoire se défend d’être totalement vertueux (qui peut l’être ?). Mais il calcule son empreinte carbone professionnelle systématiquement – y compris pour les usages du numérique ou le stockage des photos en cloud – et il privilégie autant que possible la seconde main et la réparation de son matériel, et autres gestes pour se conformer à ses engagements.

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Du Vivant dans le procédé

La Hutte donc, pour les prestations professionnelles : c’est le côté pile de Grégoire. Et côté face ? « Dans mon travail artistique, je parle beaucoup de liens, entre les humains, et aussi avec les non-humains, et je m’interroge sur la façon dont on s’attache à un territoire », dit-il. Il revendique un processus de recherche dont le cheminement est au moins aussi important, sinon plus, que le résultat. « Ce sont des projets où je prends le temps de réfléchir, avant de me lancer dans le travail de création. Je suis dans la recherche de techniques pour traduire comment le Vivant prend part à des procédés de création d’image. Parce que j’ai réalisé que je veux parler du respect du Vivant mais que je l’utilise comme instrument, ce qui n’est pas très satisfaisant. »

« Ce sont des projets où je prends le temps de réfléchir. »

À la lisière entre commande professionnelle et travail de recherche créative, la série « Recherche sans filtre » illustre cette exploration. Il a eu la possibilité en 2023 de s’immerger dans treize projets de recherche de Sorbonne Université, très divers, liés à la thématique « nature et environnement ». La contrainte qu’il s’est fixée était d’intégrer des outils, matériaux et techniques de chaque équipe de recherche observée dans ses propres procédés de création et de développement des photographies.

Projet Sorbonne Université Grégoire Delanos
Une des photos du projet « Recherche sans filtre » de Grégoire Delanos. En l’occurrence, la recherche illustrée ici porte sur la perception sensorielle des dytiques, insectes aquatiques d’eau douce. Grégoire la traduit par une mise en lumière de leur milieu de vie – zone humide avec des matières organiques en dégradation – qu’il traite en trichromie gold/rouge/noir. Autrement dit : une traduction poétique de la façon dont les dytiques voient le monde.

Pour Grégoire, l’intérêt se situe d’abord dans l’expérimentation de ces protocoles de création où il veut inviter des formes de vie à prendre une part active. Le résultat n’importe pas toujours. Et de fait, le travail peut faire surgir des œuvres périssables, même ne pas aller à son terme.

Travailler sur l’incontrôlé

Prenons l’exemple de « Seeds of Anthropocene », réalisé au cours de diverses résidences en 2022-23, dont la dernière à l’Hôtel Fontfreyde. Le protocole qu’il a expérimenté était le suivant : prenez une grande toile de jute et faites germer des graines de cresson sur toute sa surface ; une fois les petites pousses bien développées et accrochées à la toile, tendez celle-ci à la verticale dans une pièce noire et projetez-y durant plusieurs jours une photo. Sur les parties les plus claires de la photo, donc les plus lumineuses en projection, les pousses auront activé leur processus de photosynthèse et développé différentes nuances de vert, alors que dans les parties sombres, elles sont restées quasiment blanches. En quelque sorte, c’est la végétation qui s’est chargée, très lentement, de « révéler » l’image sur la toile.

seeds of Anthropocène
Dans « Seeds of Anthropocene », Grégoire expérimentait la révélation de l’image par le processus de photosynthèse, en projetant une photo pendant plusieurs jours sur une toile couverte de petites pousses de cresson. – Photo Grégoire Delanos

« Je fais de la photographie qui déborde », résume-t-il en évoquant d’autres séries, où la photo est toujours présente, mais dans des processus qui l’emmènent à mille lieues de ce que vous faites quotidiennement avec votre smartphone. « Jusqu’à présent je suis beaucoup passé par la photo parce que c’est ce que je connais le mieux », dit-il ; mais dans son travail personnel, il se voit plus généralement comme un artiste plasticien, ouvert à d’autres formes d’expression. Et il laisse entendre que sa résidence au jardin Lecoq, même s’il est trop tôt pour en cerner déjà tous les contours, ne passera peut-être pas par l’objectif.

« Je fais de la photographie qui déborde. »

« Je voudrais faire un travail précis et scientifique de connaissance des végétaux et animaux présents, pour créer des liens avec les gens. Dans ce lieu ultra-contrôlé qu’est le parc botanique urbain, j’ai envie de travailler sur ce qui n’est pas contrôlé », évoque-t-il. Comprendre ce qui se passe dans le Vivant une fois les grilles du parc refermées ; faire appel à des naturalistes ; travailler aussi avec la LPO pour réaliser des inventaires de jour et de nuit… ce sont les pistes de recherche qui émergent de ses premières explorations et de ses lectures. Mais qui sait où elles le mèneront ?

L’art de militer

Son travail de création déborde parfois aussi vers une troisième facette de ses activités, côté bénévole : l’engagement militant lié aux urgences environnementales. Membre du groupe local de Greenpeace, et animateur actif de La Base, Grégoire gomme parfois les frontières entre l’art et la lutte.

Pour découvrir le tiers-lieu La Base, où Grégoire participe à l’animation et à la gouvernance du projet, lire aussi l’article : « La Base redonne du souffle aux militants de l’écologie »
Le Cri série de Grégoire Delanos
Une des photos de la série au long cours « Le Cri », dans laquelle Grégoire Delanos poursuit un travail artistique et militant sur la lutte des Sucs.

Par exemple dans le combat contre la construction d’une voie rapide en Haute-Loire, la lutte des Sucs, où 190 ha d’espaces naturels et agricoles sont en voie d’artificialisation. Grégoire s’est impliqué dans les manifestations, mais aussi par un travail artistique. La série au long cours « Le Cri » a consisté à documenter le patrimoine naturel voué à la destruction, ainsi que les étapes de la lutte, en photographie argentique ; puis il a laissé des éléments naturels – terre, graines, mousses, thé de plantes sauvages, bactéries lactiques… – altérer la pellicule avant de procéder à son développement. Ce qui a pour résultat de marquer les paysages, scènes et détails par des tâches, coulures ou grignotages d’une mélancolie traduisant assez exactement la notion de solastalgie.

De son engagement dans la lutte des Sucs, il parle avec des mots dont on devine qu’ils pourraient qualifier tous ses projets professionnels, personnels et militants : « J’y vais parfois en militant, parfois en artiste, parfois les deux. J’ai besoin de mettre mon corps à l’épreuve dans ces projets, d’être physiquement dans la lutte pour en restituer quelque chose artistiquement. Cela me permet de vivre avec la conscience tranquille… Avec ce que je sais faire, je fais tout ce que je peux. »

> Pour prendre contact ou découvrir le travail de Grégoire en tant que photographe professionnel, c’est sur le site du studio La Hutte
> Pour découvrir son travail de création personnel, c’est sur
www.gregoiredelanos.com
Lire aussi le premier portrait de la série : « Dans l’œil des photographes 1/3 : Félix, bon mollet, bon œil »
Et à venir vendredi prochain, un troisième et dernier étonnant photographe.

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé mercredi 22 octobre 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf évidemment les photos du photographe. À la une : Grégoire dans le lieu de sa résidence artistique en cours : le chalet du jardin Lecoq.

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