Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Chose promise (dans mon précédent article), chose due. En partenariat avec le réseau Eclaira, qui publie aujourd’hui un numéro de son Bulletin sur le thème de l’économie circulaire dans la filière bois, voici un article sur le même sujet. Le but est de pouvoir apporter chacun un complément de documentation à nos lecteurs respectifs.
Pour autant, le sujet n’est pas forcé. L’initiative de Bois des territoires du Massif central est d’une belle richesse et cela faisait longtemps qu’elle figurait sur ma liste de sujets à traiter. C’était l’occasion ou jamais.
Une fois de plus, on constate que quand les parties prenantes diverses d’un même territoire – fusse à l’échelle large des 22 départements du Massif central – se mettent à travailler ensemble, on arrive à avancer et à être pertinent sur divers enjeux en même temps : relocalisation, mise en valeur des savoir-faire, développement économique, exploitation raisonnée des ressources, réduction des distances et donc des gaz à effet de serre…
Et en plus, c’est souvent pour construire des écoles, des gymnases et autres lieux de vie. Tout bénef’.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Fondée en 2017 par les communes forestières, l’association Bois des territoires du Massif central avait pour but premier de créer une certification garantissant une traçabilité au bois de construction produit localement. Car ces matériaux partaient beaucoup à l’export. Et en tant que maîtres d’ouvrage pour des chantiers de bâtiments publics, ils n’avaient aucun moyen d’exiger des matériaux locaux.
- La certification Bois des territoires du Massif central est aujourd’hui attribuée à des bois produits et transformés localement, par des entreprises – scieries et 2e transformation – elles-mêmes locales, auditées et certifiées. Le cahier des charges de la certification inclut aussi des exigences de qualité, ce qui permet aux marchés publics d’inclure des critères « qualité BTMC ou équivalent ». Les bâtiments construits avec ces matériaux sont eux-mêmes certifiés et reçoivent une petite plaque avec QR code pour retrouver sur une appli les éléments de traçabilité.
- Aujourd’hui 48 entreprises, inégalement réparties sur le Massif central, sont certifiées et une centaine de bâtiments sont labellisés. L’association, qui regroupe tous les acteurs de la filière, a pour rôle d’accompagner les entreprises dans les démarches de certification et de développer le réseau, avec l’objectif d’être en capacité de répondre à toute la demande. De leur côté, les fédérations régionales des communes forestières accompagnent les communes dans la rédaction de leurs appels d’offre.
Article réalisé en partenariat avec le réseau Eclaira. En complément, retrouvez d’autres articles sur la filière bois et l’économie circulaire dans le Bulletin Eclaira n°32 de juin 2025, consultable ici (à paraître ce jour). Et un article sur « L’économie circulaire dans la filière bois : un enjeu majeur pour un avenir durable » paru sur la plateforme en ligne. |
Avant, il y avait les communes qui produisaient du bois dans le Massif central et souvent le vendaient à l’étranger, voire au bout de la planète. Et les communes (éventuellement les mêmes) qui faisaient construire des bâtiments avec de belles charpentes en lamellé-collé ou autres pièces de bois souvent importé de l’étranger, voire du bout du monde. Absurde, non ? Mais c’était avant. Aujourd’hui, elles peuvent s’appuyer sur la certification Bois des Territoires du Massif central. Car vers 2017, les communes forestières ont pris l’initiative d’organiser les choses.
En réalité, l’équation est un peu plus complexe. Car le bois local ne répondait pas aux meilleurs standards de qualité ; certains savoir-faire de la filière se perdaient. Et surtout, la réglementation des marchés publics n’autorise pas les maîtres d’ouvrage du secteur public à exiger une provenance locale comme critère de sélection. Il fallait donc passer par un autre critère, qui s’avère être celui de la qualité.

Emboîtant le pas aux collectivités des Alpes, pionnières en la matière, les élus ont d’abord créé une Association pour la valorisation du bois des territoires du Massif central, réunissant les différents acteurs concernés. Celle-ci créait l’année suivante la certification – qu’on appelle communément BTMC.
Abondance
Pour comprendre les enjeux de cette initiative, il faut dresser un rapide portrait de la forêt locale. Elle couvre 36 % des 22 départements qui constituent le Massif central. Mais tout n’est pas exploité, a fortiori pour le bois de construction : il faut tenir compte des endroits inaccessibles, des forêts jeunes issues de la récente déprise agricole, des forêts non gérées. Les surfaces boisées sont divisées en une multitude de confettis de propriétés privées. La forêt publique, appartenant aux collectivités ou autres entités et gérée par l’Office national des Forêts, est minoritaire : 13 % dans le Puy-de-Dôme.

Ce n’est pas le bois qui manque, ni même le bois exploité. Mais la mondialisation étant passée par le Massif central et par la filière bois, les entreprises de transformation pour le bois de construction pouvaient faire défaut ou s’approvisionner ailleurs, trouvant sur des marchés plus lointains du bois éventuellement moins cher, de qualité plus régulière. Et surtout, non traçable.
Le circuit du bois était – et est encore en grande partie – d’autant plus opaque que le bois de construction passe au minimum par deux entreprises avant de parvenir sur le chantier final : le sciage, puis la transformation en produit fini : ossature, charpente, bardage, lamellé-collé, parquet, porte, fenêtre… Difficile dans ces conditions, pour la mairie ou le département qui lance un appel d’offres pour la construction d’un collège, une salle des fêtes ou un gymnase d’être assuré que le bois de la charpente n’a pas fait le tour de la planète. La certification le permet.
Qualité certifiée
Pascal Jolivel, coordinateur de l’association, dont il est l’un des trois salariés, explique les principes permettant à du bois de construction de l’obtenir : « Il s’agit d’abord de garantir sa traçabilité, de pouvoir dire qu’il provient de forêts du Massif central et que ses étapes de transformation ont toutes été réalisées dans le Massif central. Mais on y ajoute des exigences de qualité : le bois doit être labellisé PEFC ou FSC, indiquant sa provenance de forêts gérées durablement ; il doit être tracé par un marquage CE, obligatoirement séché, séparé à 100 % des autres bois sur toute la chaîne de transformation. »

Ces exigences permettent de glisser dans le cahier des charges des marchés publics des mentions telles que « certification BTMC ou équivalent », ce qui revient à un critère de qualité et non d’origine géographique, et permet à des bois estampillés de certifications cousines (telles que Bois des Alpes ou Bois des Pyrénées) de candidater.
Pour que les lots de bois utilisés obtiennent la certification, il faut que chacune des entreprises par lesquelles il a été transformé aient elles-mêmes été certifiées, après audit par un organisme indépendant. Audit qui sera ensuite à renouveler chaque année.
« Plutôt que de casser une chaîne d’approvisionnement, nous allons par exemple engager ses fournisseurs à entrer dans la certification. »
Le rôle de l’association est avant tout de promouvoir cette marque locale et de la développer pour que l’offre soit suffisante au regard de la demande. « Nous accompagnons les entreprises qui souhaitent être certifiées : on les conseille sur les mesures à mettre en place pour se conformer au référentiel et nous les aidons aussi à trouver les fournisseurs ou les débouchés pour que le bois puisse être reconnu BTMC. Plutôt que de casser une chaîne d’approvisionnement, nous allons par exemple engager ses fournisseurs à entrer dans la certification. Et si ce n’est pas possible, nous le mettrons en relation avec d’autres entreprises pouvant répondre à cette exigence », explique Pascal.
Petites distances
Aujourd’hui, détaille-t-il, 48 entreprises sont certifiées, « dont 13 en 2024, ce qui dénote une accélération. Et une quinzaine sont en cours de certification. » Si l’association n’a pas pour objectif de faire certifier tout le bois de construction extrait des forêts locales, toutes les scieries et autres transformateurs du territoire, elle vise à développer suffisamment cette filière de qualité pour pouvoir répondre à tous les appels d’offres et pour développer les constructions de qualité. « Presque tous les produits sont trouvables, en dehors de certains bois très techniques ou de certaines activités de transformation très concentrées. Mais la filière BTMC ne produit pas encore suffisamment pour couvrir les marchés. Par exemple nous avons une seule menuiserie, et pas d’isolant en fibre de bois. »

Certains secteurs du Massif central sont par ailleurs mieux lotis que d’autres. Peu de comparaison possible entre le département de la Loire qui regroupe à lui seul 11 entreprises certifiées, et la région Nouvelle Aquitaine, dont les « franges » du Massif central n’en comptent que trois. « Mais la certification autorise le bois à circuler d’un bout à l’autre du Massif, ce qui est tout de même mieux qu’un bois transformé en Chine. En moyenne, il a été calculé que la distance parcourue par les bois BTMC est de 50 km entre la première et la deuxième transformation ; de 250 km entre la première transformation et le bois final », précise Pascal.
« En moyenne, il a été calculé que la distance parcourue par les bois BTMC est de 50 km entre la première et la deuxième transformation. »
L’association a perfectionné le système : aujourd’hui une petite plaque munie d’un QR code peut être apposée sur un bâtiment, renvoyant à l’application BoisLocal (partagée avec Bois des Pyrénées et bientôt d’autres bois locaux) qui garde en mémoire toutes les caractéristiques du bois utilisé : essences, volume, traçabilité de sa provenance et de son parcours, et même éventuellement des photos du chantier « parce qu’une fois le bâtiment terminé, le bois peut être en grande partie invisible et ça peut être décevant », souligne le coordinateur.

Tous concernés
Huit ans après la création de la certification, son utilisation a dépassé la centaine de bâtiments, pour une moyenne de 100 m³ de bois par édifice, parmi lesquels on trouve de plus en plus de rénovations et extensions. « Ce sont à 90 ou 95 % des bâtiments publics, mais on a aussi un peu de privé, et nous aimerions sensibiliser les grosses entreprises de la région qui ont des projets de construction », relève Pascal Jolivel. Exemples visibles dans le Puy-de-Dôme : le centre de formation du SDIS 63, construit à Crouël en paille et ossature bois, le centre culturel et sportif de Puy-Guillaume, ou encore les écoles de Maringues et de Billom.
« Ce sont à 90 ou 95 % des bâtiments publics. »
Ce succès est favorisé par la structure de l’association porteuse de la certification, qui rassemble toutes les parties concernées. Les adhérents sont répartis en quatre collèges : les élus, qui participent via les associations de communes forestières des quatre régions ; les entreprises à tous les stades de la filière ; les prescripteurs qui peuvent être des architectes ou des bureaux d’études ; et les partenaires, où l’on trouve l’ONF, les labels de gestion durable des forêts, l’animateur de la filière Fibois, et autres organismes contribuant à entretenir la dynamique.

Chacun, dans l’histoire, a sa partition à jouer et son intérêt à participer à ce déploiement. Les Communes forestières font un gros travail auprès des collectivités maîtres d’ouvrage pour qu’elles inscrivent cette exigence dans les marchés publics et leurs chargés de mission peuvent les accompagner là-dessus. Qu’elles soient propriétaires de forêts ou maîtres d’ouvrage de bâtiment, elles ne peuvent pas être insensibles aux retombées économiques territoriales, à la préservation des savoir-faire et de l’environnement.
Une filière à compléter
Les entreprises sont aussi des parties prenantes motivées : 45 des 48 certifiées sont adhérentes. Elles participent à une dynamique qui les aide à valoriser leurs produits. Celles de la Loire l’ont bien compris, le nombre d’entreprises certifiées permettant d’y créer une filière encore plus localisée et solidaire. Pascal Jolivel souligne la collaboration précieuse pour tester et rendre pertinents des outils d’accompagnement créés par l’équipe, comme les fiches mémo pour rédiger le mémoire technique à fournir dans les marchés publics.

« Notre but aujourd’hui est d’accompagner les petites entreprises à accéder à la certification, car les audits coûtent cher, explique le coordinateur. La solution peut passer par des audits groupés d’entreprises géographiquement proches : cela permet de partager les coûts, les compétences et le temps passé sur les dossiers. »
Développer ce réseau dans les zones moins couvertes fait aussi partie de la feuille de route. La petite équipe opérationnelle s’y emploie en se répartissant les rôles et les zones géographiques. Quentin Tournadre, chargé de mission aux côtés de Pascal, s’applique notamment à « recruter » des entreprises en Nouvelle-Aquitaine et en Bourgogne, qui « ne se sentent pas toujours appartenir au Massif central autant que l’Auvergne ou l’Occitanie », et couvre aussi la région Aura. En plus de la coordination, Pascal Jolivel est référent pour l’Occitanie. Et Amélie Troncy, alternante, « assure un super travail de gestion administrative », précise le coordinateur.
Réduire l’impact environnemental
Les deux autres collèges jouent un rôle plus discret mais tout aussi important dans la dynamique et dans la logique de coopération territoriale : celui des alliés précieux, et celui des prescripteurs, même si ces derniers sont encore peu nombreux. Seulement trois bureaux d’études et (depuis très récemment) un seul architecte, « car aujourd’hui nous ne leur offrons rien qui corresponde à leur besoin et qui pourrait les motiver à adhérer, mais on y travaille », précise Pascal Jolivel. L’association pourrait leur apporter des données techniques intéressantes, des données sur les savoir-faire locaux, une mise en valeur de leurs bâtiments. Pour autant, les architectes sensibles à la qualité des bois certifiés existent mais, ajoute Pascal, « on retrouve toujours les mêmes sur les réalisations. »
L’association Bois des territoires du Massif central, ce sont aussi des initiatives pour animer la marque de certification et le réseau créé autour d’elle. Notamment pour mettre en valeur les bénéfices environnementaux d’une filière relocalisée.

Depuis l’an dernier, elle propose aux entreprises certifiées un appui pour calculer leur bilan carbone. « L’entreprise de notre président Francis Maliges a été la première à le réaliser et il en résulte que pour l’améliorer, elle doit augmenter la part du bois local dans sa production », explique le coordinateur.
Il mentionne un rapprochement récent de BTMC et de son homologue des Pyrénées avec l’ONG WWF, afin de travailler ensemble sur le calcul d’impact d’un bâtiment sur la biodiversité. « En décembre 2023, WWF avait publié un tableau comparatif des différents labels et certifications du bois. Cela mettait en avant le fait que nos certifications territoriales ne prenaient pas en considération l’amont forestier, car ce qui se passe avant l’étape de la scierie n’est pas audité. À la suite de cette publication, nous avons pris contact avec l’ONG pour réfléchir avec eux à cette question. Nous en sommes à construire les indicateurs. À terme, cette donnée pourra être ajoutée à celles de l’application BoisLocal. »
Plus utile sera la chute
L’équipe s’intéresse par ailleurs à la valorisation de ce qui ne l’est pas encore ou pas assez. Par exemple les gros volumes de chutes provenant d’entreprises spécialisées dans des bois techniques. « Elles nous ont sollicités pour voir comment éviter de les passer en bois-énergie, en les valorisant davantage. Nous nous rapprochons actuellement de professions comme les designers ou l’ébénisterie pour essayer d’imaginer des utilisations. »
« L’idée est notamment de pouvoir rassurer les assureurs afin d’encourager le développement du réemploi. »
Les administrateurs ont missionné l’équipe sur un autre chantier, encore en cours lui aussi : travailler sur le réemploi. Il s’agit de bois provenant de chantiers de déconstruction, ou récupérés sur des huisseries lorsqu’elles sont remplacées. « La mise en place d’un label permettrait de certifier leur provenance d’un bâtiment du territoire, leur qualité et celle de la déconstruction. Nous travaillons notamment avec la ressourcerie Metabatik sur ce sujet. L’idée est notamment de pouvoir rassurer les assureurs afin d’encourager le développement du réemploi », poursuit Pascal. Dans ce domaine, l’association avance déjà vers la circularité, comme il le souligne : « On pourrait imaginer qu’à la déconstruction d’un bâtiment en bois certifié BTMC, son bois soit réemployé, avec une traçabilité qui le suive et une fiche sur BoisLocal qui donne l’historique de ses différentes vies. »
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le lundi 2 juin 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf mention contraire. À la une, photo Certification BTMC : le centre de formation du SDIS sur le site de Crouël, réalisé en bois certifié BTMC.
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