Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
J’ai eu le plaisir de connaître Christopher à Epicentre Factory, feu le grand tiers-lieu du centre-ville clermontois. De fil en aiguille, nous nous sommes recroisés et avons parlé de son engagement dans les cercles Laudato Si qu’il m’a présentés.
En parallèle, Jean-Paul est membre de One Planet, le collectif interne à Michelin réunissant les collaborateurs soucieux de l’environnement et de la société. Nous nous sommes rencontrés dans ce cadre et avons très vite sympathisé.
Aujourd’hui, je me suis dit qu’un entretien un peu inhabituel – abordant la religion et la spiritualité – était intéressant compte tenu de l’actualité récente et de la nomination du nouveau pape. Un angle différent sur l’engagement écologique qui va du mondial au local et qui montre que ces questions se posent vraiment dans toutes les communautés.
Damien
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Le pape François propose dans son encyclique Laudato Si, parue en 2015, une « écologie intégrale » fondée sur l’interdépendance entre l’homme, la nature, Dieu et soi-même. Il y dénonce les dérives du « paradigme technocratique », l’anthropocentrisme, et invite à une conversion personnelle, spirituelle et collective pour répondre à la crise écologique.
- Laudato Si a permis un dialogue inédit entre croyants et non-croyants autour de l’écologie. Des mouvements comme Green Faith montrent également que l’écologie devient un terrain d’unité et d’action entre religions et au-delà, appelant à vivre la foi comme levier de transformation écologique et sociale. Toutefois, l’adhésion au sein de l’Église reste inégale, freinée notamment par d’autres crises internes (abus, place des femmes, etc.) et la diversité des cultures ecclésiales.
- Sur Clermont, les cercles Laudato Si sensibilisent à l’écologie par des ateliers, projections, marches et discussions. Ils permettent également de pratiquer la prière collectivement et d’échanger sur les sujets autour de l’écologie intégrale. Pour leurs animateurs, c’est un
Accès direct aux questions
Les « cercles Laudato Si », que vous représentez sur Clermont, sont issus d’une célèbre encyclique du pape François. Que contient-elle ?
Christopher Schoch : cette encyclique est sortie le 24 mai 2015. Le Pape François l’avait écrite avec comme intention de toucher tous les membres de l’Église catholique et, au-delà, toutes les personnes de bonne volonté – comme il le dit dans l’introduction. Et donc tout de suite, il y a eu un public très large qui s’est saisi de ce livre.
Jean-Paul Vauquelin : ce qui est assez original et qui est souvent reconnu dans les milieux écologiques, c’est qu’il y a d’abord un diagnostic de la situation objective [de la planète], qui s’appuie sur les acquis scientifiques. Soit une synthèse très complète. Le deuxième chapitre, en gros, c’est l’évangile et la Création [l’environnement naturel, NDLR]: comment est-ce que l’Église envisage sa relation à la Création ? Ensuite, il y a un chapitre sur les racines humaines de la crise écologique.
L’encyclique Laudato Si identifie-t-elle des causes plus précises à la crise environnementale ?
Christopher : c’est là où François parle du « paradigme technocratique ». Cela met en cause ce qui est au fondement de la culture moderne. Il s’agit d’une représentation de la réalité qui est tellement imprégnée dans nos systèmes éducatifs que l’on la prend pour la réalité !
Il y a plusieurs éléments dans ce paradigme : une croyance selon laquelle « on n’arrête pas le progrès », celle affirmant que l’homme est voué à un développement sans cesse, donc tout ce qui n’est pas développé doit l’être. Enfin, que la croissance permanente – le pouvoir d’achat – fait que l’on vit dans le meilleur des mondes. Y figure aussi l’anthropocentrisme, qui nous fait voir la nature comme une ressource à exploiter.
Jean-Paul : pour moi, c’est la punchline de ce texte : « tout est lié ». Et François le répète incessamment. Ça a été très marquant, ce point-là. En effet, il est complètement dans une logique systémique : Laudato Si établit un lien très fort entre ma relation aux plus pauvres de mes frères et la relation aux plus pauvres de la Création. Et, quelque part, cela participe du même mouvement.

Qu’entend-on par les « plus pauvres de la Création » ?
Jean-Paul : ce sont ceux qui sont moins forts que moi, ceux qui n’ont pas la capacité de me détruire ou ceux que je peux détruire par mon attitude. Et, ce faisant, il affirme que notre regard posé sur l’autre est notre regard posé sur la nature comme étant extérieur à nous, est, en fait, le même regard.
Christopher : c’est le principe de l’écologie intégrale qui est au centre de l’encyclique. On parle aussi de « conversion intégrale », plus simplement. Ce texte nous amène à changer de regard sur quatre niveaux : la relation à la nature bien sûr, mais aussi la relation aux autres humains – et il met ainsi en cause tous les modèles nationalistes qui opposent l’intérêt commun de toute l’humanité et nos intérêts nationaux particuliers.
« [Ce texte] met en cause profondément notre culture individualiste. »
Il y a aussi la relation à Dieu qui change, affirmant que Dieu n’est pas le lointain arbitre qui regarde de très loin ce qui se passe sur Terre, mais présent et omniprésent dans tout le monde du vivant, y compris dans le plus fragile. Et le quatrième degré, c’est la relation à soi-même. Parce que si on se voit comme essentiellement quelqu’un de productif, qui réussit tout, indifférent aux impacts de nos activités, ça ne va pas. Et donc ça met en cause profondément notre culture individualiste.
François était-il le premier pape à s’intéresser à l’écologie ?
Christopher : ce texte ne représente pas une rupture dans l’Église, mais une ultime phase d’évolution de sa doctrine sociale. Dans l’encyclique, François cite pratiquement tous ses prédécesseurs, dont chacun a déjà ouvert une réflexion sur le respect de la nature, qui interroge toute la dynamique du développement moderne. C’est quand même le pape Jean-Paul II qui était le premier à employer le terme de conversion écologique !
« Il y a une très forte exhortation au niveau éthique. »
Jean-Paul : une encyclique n’a pas vocation à être un programme politique. Elle cherche à interpeller et à toucher les cœurs. Le mouvement Laudato Si, qu’anime Christopher dans la région, fait partie de ces initiatives qui ont émergé. Et il y en a d’autres ! Un petit peu comme Rerum Novarum [encyclique du pape Léon XIII publiée en 1891] sur le monde du travail, qui a suscité la formation de syndicats comme le CFTC : c’est l’idée de faire émerger du terrain des initiatives qui prennent sens dans l’encyclique, dans cet appel. mais qui peuvent être multiples.
Christopher : il n’y a pas de programme politique mais il y a une très forte exhortation au niveau éthique. Et François tient responsables les leaders politiques et aussi les dirigeants des entreprises à respecter ce code. Selon lui, il faut que l’Église utilise sa voix prophétique. Et donc, qu’il ne faut pas hésiter à dénoncer ce qui n’est pas acceptable sur ce plan éthique.

Quelles ont été les réactions à Laudato Si au sein de l’Église catholique ?
Jean-Paul : il y a des gens comme nous qui ont trouvé vraiment une source d’inspiration et qui se sont mobilisés. D’autres, et c’est quand même la majorité, ne se sont pas sentis particulièrement interpellés par tout ça.
En réalité, ça a surtout créé un pont, me semble-t-il, entre des chrétiens et des non-chrétiens. Comme c’est une encyclique qui a touché des écologistes, cela a atteint une portée politique considérable ! Typiquement, la semaine dernière, j’étais à Paris, et j’ai assisté par chance à une conférence qui disait dont le titre était : « les spiritualités, un nouvel élan pour l’écologie ». On pourrait dire l’inverse : « l’écologie, un nouvel élan pour la spiritualité ».
« [Laudato Si] a surtout créé un pont, me semble-t-il, entre des chrétiens et des non-chrétiens. »
Cela veut dire qu’il y avait vraiment un dialogue entre les spiritualités, et avec des gens athées, mais qui considéraient la dimension spirituelle au niveau du sens et de l’intériorité comme une dimension essentielle de la transformation extérieure qu’on veut vivre. Et, en fait, je trouve que l’écologie devient un espèce de lien, de vecteur, qui permet de casser des barrières.
Mais l’Église est souvent critiquée pour sa position restrictive des femmes ou de certaines minorités. Comment une encyclique sur « l’écologie intégrale » est-elle compatible avec cela ?
Christopher : le pape François a vraiment brisé les tabous en nommant plusieurs femmes à la tête des fameux ministères de l’Église. Et les femmes sont très présentes dans le mouvement Laudato Si, elles y sont même majoritaires, de très loin ! A commencer par Anne Doutriaux, la coordinatrice pour la France et notre porte-parole.
Jean-Paul : l’Église catholique est une organisation mondiale. Et il y a une grande variété en son sein. Entre l’Église africaine, l’Église Européenne, l’Église Américaine … on a de vraies différences d’approche. Le Vatican essaye de faire une synthèse.
Le pape François a eu une approche assez pragmatique sur ces sujets. Par exemple sur l’autorisation de bénir des couples homosexuels. Il a écrit un texte dans une logique, on va dire, pastorale, c’est-à-dire de proximité avec les gens. Selon lui, il n’y a pas d’obstacle à bénir un couple homosexuel. Evidemment, ça ne remet pas en cause la doctrine qui est de dire qu’une famille est constituée d’un homme et d’une femme. Mais, pour deux personnes du même sexe qui s’aiment, on peut les bénir.
« L’Église catholique est une organisation mondiale. (…) Le Vatican essaye de faire une synthèse. »
Et bien les évêques africains se sont levés contre ça. Et l’évêque de Rome ne peut pas à lui seul complètement modifier la société si les autres ne sont pas d’accord. Donc il s’adapte aussi à ce qui est possible. Et du point de vue de la place des femmes, c’est un peu pareil.
Christopher : la situation est complexe, il y a des conflits, tout le monde ne dit pas oui tout de suite. Mais je pense que la volonté du pape est que chacun ait sa place, du moment où il la respecte. Et ça, c’est important parce que ça c’est la condition fondamentale à une culture de dialogue. François a voulu avancer dans cette culture-là.

On reproche aussi beaucoup à l’Église d’avoir couvert des scandales sexuels très graves…
Jean-Paul : je l’ai vécu comme un drame personnel. Il y a ici une trahison incroyable, et ça n’arrête pas. On passe de scandale en scandale, et tu te demandes quand est-ce que ça va prendre fin… Mais, en même temps, je trouve qu’il y a eu une forme de courage des évêques français – d’ailleurs un peu plus courageux que d’autres – pour aller au bout d’une étude qui soulève la boue vraiment jusqu’au fond. Bien qu’on ne soit pas arrivé au bout de ce mea culpa.
Est-ce que ces événements-là ont été des freins à la réception de Laudato Si ? Quelque part, objectivement, forcément. Enfin, je ne vois pas comment ça n’a pas pu être le cas. Maintenant, je n’en vois pas non plus de signes.
Christopher : le pape François s’est montré, dès le début de sa papauté, intransigeant par rapport au cléricalisme. Et il dit que le fond de ces abus sexuels, c’est ce cléricalisme. Autrement dit, la racine, c’est de donner un pouvoir trop large et sans mettre en place des règles de jeu et surtout un système de régulation.
D’autres mouvements participent-ils du rapprochement entre spiritualité et écologie, que ce soit auprès d’autres religions ou même dans un esprit laïque ?
Jean-Paul : je m’intéresse à un autre mouvement qui s’appelle Green Faith, qui est inter-religieux, et même « inter-non-religieux ». Pour le coup, il se positionne plutôt sur l’angle militant. C’est-à-dire que les membres participent à des manifestations par exemple de Greenpeace contre TotalEnergies au nom de leur foi.
Et dans cette fameuse conférence où j’étais à Paris, il y avait une représentante musulmane de Greenpeace qui a partagé que, en effet, sa foi de musulman l’avait motivée. Et qu’en plus, à travers l’écologie, il y avait une espèce de tronc commun ou de lieu commun de partage important entre des juifs, des musulmans, des chrétiens, des hindouistes, etc. C’est donc un lieu d’unité entre croyants et non croyants tout autant qu’un lieu de dialogue.
Quelle est votre opinion du nouveau pape, Léon XIV, au regard de cette dimension écologique ?
Jean-Paul : moi, je suis ravi de ce choix ! Entre guillemets, j’aurais voté pour lui. Pour deux raisons : d’abord, il s’inscrit dans la continuité de François, dans la continuité de la doctrine sociale de l’Église également. Léon c’est à la fois le successeur de François d’Assise (historiquement, c’est le « frère Léon ») mais aussi de Léon XIII qui a écrit la première encyclique sociale.
Ensuite, de par son approche, il y a une chose qui me plaît beaucoup, c’est cette attention sur l’unité, et l’unité qui passe par le dialogue. Et peut-être c’est aussi une différence de tempérament avec François, qui était un homme qui pouvait « trancher dans le lard », et parfois faire mal, provoquer des réactions. Léon, visiblement, est davantage un homme de dialogue – ce qui ne veut dire que François ne l’était pas ! Mais, pour Léon, c’est une autre forme de dialogue.

François avait mis en avant ce que, dans le jargon de l’Église, on appelle la synodalité : la capacité à travailler et à décider ensemble, ce qu’on pourrait traduire par collégialité et donc à sortir du cléricalisme où c’est le chef qui décide. Et visiblement, Léon XIV a la pratique de cela. En tant qu’Augustinien, visiblement, ça fait partie de ses traditions, de son ordre. Et donc c’est quelque chose qui me donne beaucoup d’espoir, parce que c’est quelque chose qui me paraît nécessaire aujourd’hui. dans l’Eglise et dans le monde.
« [Léon XIV] représente vraiment, à mon avis, un espoir pour le dialogue multilatéral. »
Christopher : je voulais juste ajouter le fait qu’il est Américain mais qu’il a vécu davantage en dehors des Etats-Unis. C’est un homme qui maîtrise quatre langues. Il représente vraiment, à mon avis, un espoir pour le dialogue multilatéral. Et je pense que ça va être une force pour nous.
Enfin, pour revenir sur le Puy-de-Dôme, comment se sont mis en place les « cercles Laudato Si » ?
Christopher : à la suite de ma formation Laudato Si, on nous a demandé de concevoir et réaliser un projet de sensibilisation, d’implication des autres. J’y ai invité des personnes que je pensais un peu ouvertes à la question écologique, et on a organisé la projection du film « La lettre », dans lequel le pape François engage un dialogue sur les causes de la dégradation climatique et de la biodiversité. Le film a touché un bon nombre de paroissiens, et tout est parti de là.
On a ensuite fait une sorte d’état des lieux, en se servant des données du GIEC pour montrer aux gens qu’il y avait un problème objectif. En disant : « ben voilà, les sources d’émissions de gaz à effet de serre, c’est la nourriture, le déplacement, etc. En gros, notre mode de vie actuel. Que peut-on faire pour changer ? » Durant cette première année dont le thème était “Vivre autrement”, nous avons organisé deux ateliers participatifs.

Enfin, en 2024-2025, nous travaillons sur le lien entre écologie et foi. Parce que beaucoup de gens se demandent si l’on peut être à la fois chrétien et actif dans l’écologie.On a organisé un atelier qui posait la question directement. On a aussi participé à la soirée « 1001 fresques ». Puis on a fait la projection d’un film qui aborde de front cette relation entre foi chrétienne et écologie, “Le Ciel et la Terre”, documentaire réalisé par Alexia Veriter, et qui a suscité de vifs échanges.
Par la suite, on a amené une vingtaine de personnes dans une ferme qui pratiquait l’agroécologie à 90%. Cela nous a fait vivre tous les défis qu’il faut relever pour aller dans ce sens-là, et nous a interrogés sur notre responsabilité pour les soutenir. Enfin, tout récemment, on vient de réaliser une « Marche du temps profond », qui permet de revivre en marchant les 4,5 milliards d’années d’histoire de la planète, mais en y intégrant l’optique spirituelle.
Comment pratiquez-vous l’écologie à titre personnel… et spirituel ?
Jean-Paul : par la prière ! Je pense que ce que je dis là, c’est valable pour tous les militants. Il faut trouver les ressources intérieures. La prière, pour moi en tout cas, ça m’aide à me détacher du résultat. Ça m’aide à considérer que ce que je fais, je le fais et puis Dieu fait le reste. Et que si quelque chose s’ouvre, c’est une invitation à avancer. Mais aussi, si rien ne s’ouvre, c’est à la grâce de Dieu. Ce n’est pas entre mes mains.
« Je sens que tout est en mouvement. »
Christopher : je souscrit à 100% à ce que vient de dire Jean-Paul ! Nous prions beaucoup aussi dans nos rencontres, c’est fondamental. Et puis je dois dire que le départ du pape François, dans un premier temps, a créé un vide. Mais, depuis l’arrivée de Léon XIV, ce vide se remplit. Il y a une multiplication de petites initiatives qui commencent à converger, des articles, des personnes qui sont visibles… C’était tout à fait inattendu. Je sens que tout est en mouvement.
Jean-Paul : ça va au-delà, ou en-deçà, de l’optimisme. Dans le langage chrétien, on parle d’espérance.
Entretien réalisé par Damien Caillard le 2 juin 2025. À la une : Christopher Schoch et Jean-Paul Vauquelin avec le recueil papier de l’encyclique Laudato Si (photo Damien Caillard pour Tikographie)
Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif
Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.
Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :
La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail
Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?
Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.