L’éclairage public est-il indispensable toute la nuit ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Les trois intervenants de la rencontre sur l'extinction nocturne de l'éclairage public

Sommaire

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Les intervenants

  • Magali Germain, chargée de communication de la Ligue pour la protection des oiseaux Auvergne (LPO)
  • Eric Grenet, maire de Pérignat-lès-Sarliève et vice-président de Clermont Auvergne Métropole en charge du Développement durable et de la Transition énergétique et écologique
  • Daniel Rousset, responsable Auvergne de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN)

Le podcast

Vous pouvez accéder à un enregistrement “nettoyé” – pour une meilleure écoute – de la Rencontre ici :

La synthèse : Oiseaux de nuit sous les étoiles

On éclaire les rues depuis Louis XIV, nous apprend Daniel Rousset. Et encore bien plus depuis l’avènement de l’électricité, au point de parvenir en ce XXIe siècle à une consommation nationale équivalente à une centrale nucléaire et demie. Mais depuis une décennie, les illuminations se restreignent. Aujourd’hui, environ treize mille communes éteignent l’éclairage public en milieu de nuit. Dont trois cents dans le Puy-de-Dôme.

Il y a de nombreuses raisons à le faire. Et pas seulement la hausse récente du prix de l’énergie, qui a cependant aidé des villes à prendre cette décision.

Effets divers

Environ 30% de vertébrés et 60% d’invertébrés sont des espèces nocturnes, qui se heurtent à la problématique de l’éclairage public de diverses façons. Magali Germain explique : « certaines espèces subissent la pollution lumineuse de manière directe, comme les chouettes qui vont être aveuglées. Mais cette pollution agit aussi de manière indirecte sur les oiseaux migrateurs qui s’orientent avec les étoiles. La projection de lumière dans l’environnement perturbe d’autres espèces soit en les faisant fuir et en agissant comme des barrières infranchissables, soit en les attirant comme des pièges. »

“Cette pollution agit aussi de manière indirecte sur les oiseaux migrateurs qui s’orientent avec les étoiles.”

Magali Germain

Ce n’est pas tout, égrène-t-elle : les lumières favorisent les prédateurs qui les tolèrent, ont des effets sur le cycle biologique des animaux, sur la photosynthèse des plantes, la pollinisation.

Magali Germain, de la LPO
Magali Germain, chargée de communication de la Ligue pour la protection des oiseaux, a énuméré les nombreuses nuisances de l’éclairage nocturne sur la faune et même sur les plantes. – Photo Marie-Pierre Demarty

Daniel Rousset ajoute les effets sur les humains : perturbation du cycle circadien et donc du sommeil, car « nous sommes des êtres diurnes ». Il décrit : « On dort moins bien en présence de lumière et cela peut entraîner des pathologies sans qu’on s’en rende compte. » Il cite les dépressions, l’échec scolaire, voire des cancers. Et avance ce chiffre : « un quart de la population en France se plaint de lumière intrusive. »

Il fera finalement allusion à cette autre nuisance qui l’a personnellement poussé à s’engager à l’ANPCEN : la difficulté à observer le ciel pour les passionnés d’astronomie, ajoutant que cela « n’est pas grave parce que les étoiles seront toujours là »… à la différence des insectes dont « la pollution lumineuse est une des grandes causes de disparition », complète Magali Germain.

Nuit orange

Pour localiser la problématique, Eric Grenet indique que l’éclairage public de la Métropole clermontoise est doté de 48 500 points lumineux, dont 24 % en led.

Une bonne nouvelle ? « Les leds ne sont pas recyclables et jusqu’à présent, elles avaient une température de couleur proche du bleu, qui perturbe particulièrement les insectes car ceux-ci ne voient pas comme nous : ils perçoivent surtout les ultraviolets et le bleu. » Préférer, donc, les lampes au sodium orangées, ou les nouvelles leds qui commencent à émerger dans les mêmes tonalités mais « sont peu préconisées », déplore Daniel Rousset.

« Un quart de la population en France se plaint de lumière intrusive. »

Daniel Rousset

La question est aussi celle des impacts financiers pour les communes – donc pour les contribuables – sans parler de l’énergie consommée. Remplacer des lampes classiques par des leds permet de moins consommer, mais coûte plus cher à installer qu’éteindre la lumière une partie de la nuit. Les premières communes à avoir franchi le pas, nous apprend Eric Grenet, l’ont fait « quand la dotation de l’État a commencé à diminuer, en vertu du principe de l’usage du bon denier ».

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

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Motivation renforcée encore lors de l’envolée des coûts de l’énergie en 2022 : « les derniers appels d’offres de fourniture d’énergie ne nous ont pas permis d’obtenir, comme auparavant, un prix fixe sur trois ans. Aujourd’hui, le tarif est conditionné chaque mois au cours des prix de l’énergie. » Le vice-président de la Métropole précise encore que le nombre de communes de l’agglomération à pratiquer l’extinction est alors passé de dix à dix-neuf, permettant d’économiser un million d’euros. Les deux communes restantes que sont Durtol et Gerzat, nous apprend-il, « ont travaillé sur d’autres aspects » comme la réduction des points lumineux ou la modulation de l’intensité.

Eric Grenet
Eric Grenet, maire de Pérignat-lès-Sarliève et vice-président de Clermont Auvergne Métropole, a expliqué comment la Métropole avance sur le sujet. – Photo Marie-Pierre Demarty

Sécurité ou ressenti de sécurité ?

Reste la question du sentiment de sécurité qu’apporte l’éclairage public. « C’est plus un ressenti qu’une réalité, parce que nous ne sommes pas faits pour vivre dans le noir donc il nous dérange », souligne Magali Germain. Daniel Rousset indique que les premières études, réalisées par les assureurs, montrent que l’éclairage favorise plutôt les actes délictueux. « Un malandrin a besoin de lumière », explique-t-il, soulignant que les assureurs, qui exigent souvent des dispositifs de sécurité sur les biens, « n’imposent pas d’éclairage ». De même pour la sécurité routière : « Qu’un rond-point soit éclairé ou non ne change rien à la sécurité. A l’Anpcen, nous préconisons plutôt des plots réfléchissants ou des bandes blanches, qui n’ont pas d’impact et ne demandent pas d’entretien. »

« Nous avons eu plutôt des gens qui demandent pourquoi ça n’a pas été fait plus tôt. »

Eric Grenet

Mais voilà : « la lumière rassure », disent nos intervenants. Il y a donc potentiellement un sujet d’acceptabilité de l’extinction. Eric Grenet le relativise en prenant pour exemple sa commune de Pérignat-lès-Sarliève : « Le choix a été d’éteindre de 23 heures à 5 heures. C’est très vite entré dans les mœurs et aux élections suivantes, ce n’était plus un sujet. Il faut juste informer les nouveaux arrivants. » Et à l’échelle de la Métropole, un bilan récent a conclu qu’il fallait plutôt travailler sur des points précis pour répondre à des « écueils d’inquiétude ». « Nous avons eu plutôt des gens qui demandent pourquoi ça n’a pas été fait plus tôt », conclut Eric Grenet.

Les éclairages privés aussi

Les communes et intercommunalités, certes font des efforts. Mais qui ne touchent pas les éclairages privés. Lesquels font pourtant l’objet de lois de plus en plus drastiques sur le sujet, malheureusement pas assez appliquées : la moitié des entreprises ne respectent pas l’obligation d’extinction, apprend-on. « Mais à partir du 1er janvier 2024, le pouvoir de police sur ce point va basculer aux communes ou aux intercommunalités, ce qui nous permettra d’avoir plus de force pour le faire respecter », indique Eric Grenet. Complété par Daniel Rousset qui indique que ce délit est passible d’une amende de 1500 euros.

Daniel Rousset, ANPCEN
Daniel Rousset, représentant en Auvergne de l’ANPCEN, a détaillé les effets de la pollution lumineuse sur la santé humaine. – Photo Marie-Pierre Demarty

Citons pour finir les bonnes pratiques évoquées par les intervenants : éteindre le plus possible certes, mais aussi diffuser la lumière vers le sol plutôt que vers le ciel, préférer les teintes chaudes, les intensités « justes et raisonnables », éviter l’éclairage à moins de 500 mètres de couloirs de biodiversité telles que les haies, avoir des éclairages modulables qui permettent les « frappes chirurgicales » sur tel secteur ou tel segment de rue, comme c’est possible à Clermont, ville pionnière en la matière.

Et travailler au développement de trames noires permettant à grande échelle, sur le modèle des trames vertes ou bleues, la circulation de la faune sur son territoire ou dans ses couloirs de migration. Enfin, comme une évidence : se concerter et sensibiliser, pour que, comme Eric Grenet en rêve, « l’obscurité devienne rassurante. »

Synthèse par Marie-Pierre Demarty

La rencontre sur l'extinction nocturne de l'éclairage public
Pendant la rencontre sur l’extinction nocturne de l’éclairage public. – Photo Marie-Pierre Demarty

Les vidéos diffusées

interview sur l’expérience d’une petite commune rurale

Avec Tony Bernard, maire de Châteldon

interview sur l’action de territoires d’énergies puy-de-dôme

Avec Sébastien Picot, directeur général de la SEMELEC

Autres ressources

Graphique d’évolution de l’éclairage public en France

Fourni par l’ANPCEN

Progression de l’éclairage public depuis 1960 (source : ANPCEN). Bleu = puissance électrique dédiée à l’éclairage public ; rouge = nombre de points lumineux ; vert = pollution lumineuse = orange = perception par les insectes

Les crédits

Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour son accueil et le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle.

Merci à nos invités, aux participants et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.

Pour cette Rencontre spécifique ont œuvré :

  • Damien à la préparation éditoriale et à l’animation;
  • Patrick à la prise de son;
  • Roxana à la préparation de l’espace événementiel;
  • Marie-Pierre aux photos et au compte-rendu.
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