Tout changer, c’est impératif… et faisable

Les urgences environnementales ne vont pas se résoudre en quelques mesurettes. Il s’agit de modifier en profondeur nos modes de vie et de relations sociales, économiques, politiques… C’est ce que nous disent les acteurs auvergnats de la question écologique, rencontrés pour le livre « Si on le fait pas, qui le fera ? » Quelques exemples de leurs propos, dans ce dernier rendez-vous de notre chronique « Bonnes feuilles ».


Retrouvez jusqu’à l’été 2023 nos articles « Bonnes feuilles » proposant quelques extraits de notre livre, thématisés et mis en perspective par un des auteurs – La liste des articles est accessible ici.

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« Votre monde ne tient pas debout / Changez tout », chantait Michel Jonasz il y a déjà longtemps. Aujourd’hui, l’injonction devient tangible, globale, impérieuse. Face à l’ampleur et à la complexité des dégradations, les mesurettes, les colmatages, les solutions simples ne suffiront pas. Certains de nos interlocuteurs rencontrés pour le livre « Si on ne le fait pas, qui le fera ? » en ont bien pris conscience et s’appliquent à transmettre ce message. Ou bien l’appliquent déjà, à leur échelle.

Pour eux, nous sommes à l’heure de bouleversements radicaux dans nos modes de vie, notre organisation tant sociale qu’économique et jusqu’à nos façons de penser.

Patrick Oliva : la vision optimiste

Pour l’initiateur d’Orbi’Mob, le modèle est effectivement à changer en matière de mobilité – c’est-à-dire du sujet auquel il s’attèle. Il se déclare optimiste, avec une certaine foi dans les solutions techniques, mais aussi en admettant que d’autres révolutions sont nécessaires dans nos façons de vivre et nos modes de fonctionnement.

« Cela suppose que les décideurs publics et privés fassent évoluer leurs logiciels de fonctionnement. »

Patrick Oliva

« Rendre la transformation possible et désirable requiert de jouer simultanément sur deux registres : corriger les défauts, réels, du système actuel (gaz à effet de serre, etc.) et apporter diverses améliorations, concrètes, dans le quotidien des personnes : qualité de service jour et nuit et sept jours sur sept, bilan économique favorable, emplois relocalisés, etc. C’est sur ce socle positif que nos concitoyens adhèreront au principe d’une transformation relativement rapide et accepteront quelques éventuelles contraintes qui se présenteront, techniques ou autres.

Cela suppose aussi que les décideurs publics et privés fassent évoluer leurs logiciels de fonctionnement : il leur faudra investir dans un nombre beaucoup plus large de solutions techniques, avec diverses filières énergétiques pour différentes motorisations, des outils numériques… ; faire coexister plusieurs modèles opératoires (ouverture plus grande à la concurrence, services à la demande…) ; changer les principes de la fiscalité, etc. Cela suppose un travail beaucoup plus étroit entre la société civile et les organes de gouvernement national et local. »

Emmanuel Bonnet : composer avec la catastrophe

Enseignant-chercheur à l’ESC Clermont Business school, théoricien (avec ses co-auteurs Diego Landivar et Alexandre Monnin) de la redirection écologique, Emmanuel Bonnet est plus inquiet sur la façon dont les organisations abordent aujourd’hui la question des urgences environnementales. Une prise de conscience semble encore nécessaire.

« Ces organisations [entreprises ou collectivités] confrontées à l’anthropocène sont dans un vide stratégique. Ce qu’elles font par défaut est de l’ordre de la tactique : « Il y a un problème ? J’apporte une solution ». C’est une question de moyens, donc de ressources et, de manière ultime, de développement qui nécessitera des investissements. Cette vision managériale est l’histoire du vingtième siècle !

« Le changement climatique, ce n’est pas un problème à résoudre, c’est une catastrophe irréversible. »

Emmanuel Bonnet

Cette approche n’est ni bonne ni mauvaise, ma posture n’est pas moraliste mais descriptive : de fait, cette approche est limitée. Elle ne questionne pas les finalités ni le changement de paradigme. Le changement climatique, ce n’est pas un problème à résoudre, c’est une catastrophe irréversible avec laquelle il va falloir apprendre à composer. Aujourd’hui la tendance la plus rassurante est de prolonger ce modèle tactique qui nous plonge encore plus dans le vide stratégique. Au contraire, il s’agit de s’affranchir de ces clichés qui nous protègent de la confrontation à un monde totalement intolérable. »

Vincent André : faire participer tout le monde

Changer l’entreprise, c’est commencer par changer l’organisation interne. Vincent André, cofondateur de la marque clermontoise Picture Organic Clothing, n’a pas eu à changer les choses ; la jeune entreprise a été fondée dès l’origine sur des valeurs et des modèles d’organisation adaptés à une nouvelle ère. Loin du classique modèle pyramidal, la marque de vêtements outdoor éco-responsable n’a pas cherché seulement des solutions techniques. L’organisation des équipes est aussi lancée sur une trajectoire différente.

« L’idée c’est d’essayer des choses avec les équipes, si ça ne marche pas, ce n’est pas bien grave. L’objectif, c’est que l’ensemble des équipes se sentent ultra concernées ! Pour nous [les trois fondateurs], c’est facile, c’est notre métier passion avec Julien et Jérémy. Le plus compliqué est d’avoir un objectif perso qui corresponde à celui des autres ; et dans notre cas, nous sommes déjà trois à avoir des idées et envies. Ensuite, il faut fédérer autour de ça pour que ça fonctionne.

« L’objectif, c’est que l’ensemble des équipes se sentent ultra concernées ! »

Vincent André

Nous avons quatre-vingt-sept collègues à ce jour. Tout le monde peut participer. On a certes des services et des responsables, comme dans toute entreprise, mais tout le monde a une voix et chaque voix compte, quelle que soit la décision. Quand on démarre un projet, si une team est impactée par une décision, toute la team sera à la réunion. Chacun pourra proposer des idées, mettre le doigt sur des problèmes ou des craintes, apporter des solutions. Notre objectif est de faire avancer les choses, mais en faisant participer tout le monde. »

Philippe Métais : tout changer pour survivre

Partir de zéro comme Picture, c’est finalement assez simple. Mais quand on est une vieille entreprise nationale fondée sur un système très cloisonné et sur la distribution d’un gaz fossile, la redirection est un impératif, mais c’est toute la culture interne qu’il faut faire basculer. Philippe Métais, membre de l’équipe qui pilote l’innovation dans cette grande maison, a échangé avec nous sur la façon dont GRDF menait sa révolution interne.

« Sa révolution ? Passer au plus vite (échéance visée : l’année 2050) de la distribution d’un méthane fossile importé, à un gaz produit localement à partir de déchets, en petites unités pouvant alimenter une économie circulaire plus vertueuse en termes d’écologie. Avec une organisation décentralisée, nécessitant un pilotage beaucoup plus fin et beaucoup plus agile. Pour cette ex-entreprise d’État très centralisée, au fonctionnement pyramidal, la révolution est aussi culturelle.

« Il y a un dossier ‘‘conduite du changement’’ en interne, explique Philippe Métais. C’est une révolution pour nous parce qu’on va jusqu’à révolutionner la manière dont on exploite le réseau. Même pour un technicien, les choses changent ; ça touche l’ensemble des métiers de l’entreprise. »

« C’est une révolution pour nous parce qu’on va jusqu’à révolutionner la manière dont on exploite le réseau. »

Philippe Métais

Une vraie gageure donc, parce que « c’est notre survie qui est en jeu, pour participer à la nécessaire transition énergétique des ouvrages gaz ».

Autrement dit, une situation de crise à grande échelle, remontant bien avant les inquiétudes quant au gaz russe. Philippe la compare à celles que GRDF vit au quotidien, qui vont « d’un niveau de service normal pour que tout le monde puisse accéder à l’énergie, jusqu’à la réponse à une vraie crise ou à un accident ». Pour lui comme pour beaucoup de collègues, la notion résonne dans sa « chair de gazier ».

Au moins, c’est une force pour le distributeur de gaz : on y a la culture de la crise, de l’urgence et du service public. « Dans tous ces moments, tu constates qu’il y a un vrai collectif des collaborateurs pour rendre le service au public. Tous les jours, il se passe quelque chose ! Tu dois tout faire pour que le service au public soit continu. »

Tony Bernard : la valeur de l’exemple

Tout changer, enfin, dans l’administration d’une collectivité. Nous avons rencontré quelques élus pionniers qui osent mettre en place ce qui ne se fait pas encore, adapter à marche forcée en sachant convaincre les habitants, et même en les incitant à agir à leurs côtés.

C’est le cas de Tony Bernard, le maire de Chateldon, qui n’a pas beaucoup hésité à instaurer un tarif progressif pour l’eau ou une alimentation plus saine à la cantine.

Dans ce passage, il explique comment sa municipalité s’y est prise pour mobiliser ses administrés.

« Depuis 2008, nous avons mis en place des comités consultatifs : ouverts à tous les citoyens qui veulent y participer, sur la plupart des thématiques de la vie municipale. Nous parvenons à mobiliser dans divers comités quarante-cinq personnes. On triple donc le nombre de citoyens engagés par rapport à l’effectif du conseil municipal, sachant qu’on peut y entrer et en sortir quand on veut, sans s’engager sur un mandat de six ans. Ça marche bien !

« Si on l’a fait, c’est qu’on peut le refaire. »

Tony Bernard

On a cette volonté d’associer tous les gens qui le veulent. Nous avons notamment un comité « chantiers participatifs ». On réfléchit collectivement avec les habitants qui veulent faire quelque chose sur le domaine public : on met en place un chantier, éventuellement avec les services techniques ou avec du matériel communal ; les élus, les habitants participent. Ça suscite un véritable engouement ! Exemple : une haie qui gêne le passage dans un hameau. Le groupe a contacté la propriétaire, âgée ; les habitants du hameau ont passé cinq heures un week-end à remettre de l’ordre dans cet abord de voirie. Ils ont été ravis, ça a recréé du lien et ça a permis aux gens d’être actifs.

Je crois à la valeur de l’exemple et de l’expérience : si on l’a fait, c’est qu’on peut le refaire. Ça a été le cas aussi quand on a décidé de passer la cantine scolaire en régie, avec alimentation 100 % bio tous les jours : c’est faisable. »

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Article rédigé par Marie-Pierre Demarty. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie