Comment Rémi Bonin questionne l’impact des grands festivals

Les festivals musicaux et autres événements de grande ampleur apparaissent de moins en moins compatibles avec les urgences écologiques. Rémi Bonin accompagne ceux qui ont la volonté de faire mieux. Portrait d’un passionné engagé.


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Mon ressenti

Plus ça va, plus je me rends compte que cette rubrique « portrait » est dédiée aux pionniers, à ceux et celles qui perçoivent des signaux faibles, ou qui ont une vision d’avance par rapport à leur métier, à leur secteur d’activité ou à leur entourage. On en a croisé précédemment des exemples dans le domaine du jardinage et du compostage, dans le numérique ou même dans le bon usage des fleurs. Voici une autre personnalité qui compte parmi ceux qui font bouger leur secteur: celui des concerts géants en plein air, des rassemblements de foules, des événements plus ou moins démesurés.

Là encore, un domaine qui ne s’est pas beaucoup questionné jusqu’à présent, attendant qu’une catastrophe lui tombe sur le nez – en l’occurrence, quelques annulations pour cause d’épisodes climatiques extrêmes – pour commencer à se réveiller.

Ce que raconte le parcours et l’activité de Rémi, c’est que tout le monde finit par être touché par les problématiques environnementales. Il y a ceux qui s’y préparent et ceux qui se trouvèrent beaucoup plus dépourvus quand la bise fut venue.

A votre avis, lesquels ont le plus de chance de s’en relever ?

Marie-Pierre


Information sur notre prochain événement

Imaginez un de ces énormes événements musicaux qui fleurissent en France, surtout en été. Des dizaines, voire centaines de milliers de spectateurs débarquant souvent de très loin et encore plus souvent en voiture. Des stars arrivant parfois d’encore plus loin et se déplaçant éventuellement en jet privé. Des torrents de boissons diverses servies en gobelets ou en canettes. Des repas, sandwichs et autres produits alimentaires pour nourrir cette foule. Et encore de quoi la loger dans des conditions diverses, sans parler de la toilette. Et de la question épineuse des toilettes. Ajoutez la folle surenchère d’éclairages scéniques, l’électricité nécessaire pour produire et relayer le (gros) son. La moisson de mégots (au mieux), de déchets plastiques et… Arrêtons là, vous avez l’image.

Quand on est en état d’euphorie au milieu du public, on a tendance à trouver le moment absolument génial, exaltant, mortel ou autre adjectif à choisir selon votre génération.

Mais si on prend un peu de recul, c’est plutôt le mot effarant qui vient à l’esprit. Pourtant, il y a à peine trois ou quatre ans, bien peu d’organisateurs de festivals s’en préoccupaient. A part quelques pionniers. Dont Rémi.

Deux casquettes

Depuis sa base clermontoise, Rémi Bonin accompagne, à travers sa société Airbeone, des gros événements avec lesquels il a une histoire plus ou moins longue, comme Solidays, la Fête de l’Humanité ou plus récemment, le Vyv Festival à Dijon, mais aussi des manifestations plus locales, comme l’unique édition d’Auver’green dans le Cézallier ou le plus durable Etonnant Festin à Clermont.

« Même ceux qui me sollicitent pour de la production, souvent, savent que j’aurai les bons réflexes au moment de choisir un fournisseur, de rechercher un site... »

« J’ai deux casquettes : l’une de producteur, qu’on vient solliciter parce que j’ai l’expérience de l’organisation de gros événements – ceux qui demandent d’être très agile avec peu de moyens – et l’autre sur l’accompagnement des organisateurs qui souhaitent entamer leur transition et ne savent pas comment faire, par où commencer », explique-t-il. Aujourd’hui cette deuxième compétence concerne plus de la moitié de ses activités. « Même ceux qui me sollicitent pour de la production, souvent, savent que j’aurai les bons réflexes au moment de choisir un fournisseur, de rechercher un site, de travailler sur le transport des spectateurs. »

Evénement Croix Rouge avec Airbeone
Un des premiers grands événements dont Airbeone a assuré la direction technique : le Forum Solidarité et Prévention Santé de la Croix Rouge, à Paris en 2019. – Photo fournie par Rémi (en pull sombre au premier rang)

Cette carte de visite « événementiel éco-responsable », Rémi ne l’a évidemment pas construite en un jour. Elle a mûri progressivement, au cours d’un long parcours qui commence dès la fac, alors qu’il suit des études de marketing à l’IUP de management de l’Université de Clermont (aujourd’hui l’IAE). « J’ai vite compris que ce n’était pas pour moi », commente-t-il, tout en racontant sa passion pour la musique électro et les concerts, qui l’avait amené à faire du bénévolat pour le Centre Info Rock – structure associative qui rappellera de vieux souvenirs à certains Clermontois – et pour feu le (mythique) festival des Volcaniques de Mars.

Techno, sida et engagement

Premier contact, donc, avec le milieu musical, la scène alternative, l’ambiance de la production d’événements. Et bien vite, la conviction que sa place professionnelle serait de ce côté-là.

C’est pourquoi, lorsqu’il a eu dans son cursus universitaire à effectuer un stage, il s’est orienté vers Technopol, la structure (toujours active) qui fédère et défend le monde de la musique électro. C’est l’époque des polémiques sur les rave parties, de la stigmatisation d’un courant musical encore émergent et mal connu. « Mais c’était aussi un univers incroyable : un courant musical où montait la french touch, des artistes très engagés, et Technopol qui montait au créneau pour les défendre dès qu’il y avait des polémiques, pour démocratiser cette mouvance et aussi pour la professionnaliser. »

Rémi Bonin
Le temps d’une rencontre, Rémi évoque le parcours qui l’a mené jusqu’à son métier actuel. – Photo Marie-Pierre Demarty

C’est justement sur cette dernière question que Rémi est embauché. Il y restera pendant six ans, de 2003 à 2009. Il organise des formations, donne des clefs, fait monter en compétence, sensibilise à la juste rémunération des artistes, à la prévention des risques, au respect du cadre légal… Mais aussi, dans cette petite structure de deux salariés permanents, il participe à d’autres initiatives. « La directrice, Sophie Bernard, avait des envies de créer des projets un peu fous et cela débouche, en 2008, sur un énorme projet de technoparade, « Fête de la planète », qui a été le premier grand événement éco-responsable en France. » Déjà, les prémisses.

L’étape suivante, c’est une envie de changer d’horizon… même s’il ne fait que quelques pas pour aller toquer à la porte de Solidarité Sida, dont les bureaux sont dans la même rue à Paris que ceux de Technopol.

Premier festival éco-responsable

« Je les connaissais car ils avaient pris un char à la Technoparade. J’étais fasciné par les festivals et justement, ils cherchaient un chargé de production pour Solidays. J’ai été engagé. J’y suis resté de 2010 à 2018 et j’y ai tout appris sur l’organisation d’un événement de taille majeure. » Artistique, technique, logistique… Rémi touche à toutes les facettes du métier, tout en s’enthousiasmant là aussi sur l’engagement de l’équipe.

« Solidays est devenu une sorte de laboratoire d’expérimentation sur la sobriété et l’événement durable. »

Au passage, il fait la rencontre d’Alexandrine Mounier – « une autre chance », dit-il – qui l’oriente vers les exigences sociales et environnementales. Free-lance, mais responsable développement durable de Solidays, elle amène le festival à devenir le tout premier en France à être labellisé éco-responsable.

« Elle apparaissait comme une sorte de savant fou, très en avance sur ces questions. Elle avait envie de faire bouger les lignes. Nous avons décidé de construire une feuille de route sur un engagement fort, en balayant tous les sujets et en allant en profondeur, bien au-delà de l’empreinte carbone ou des mesures évidentes comme les éco-cups et le covoiturage. On a travaillé sur la mobilité bien sûr, mais encore sur les fournisseurs de la restauration en créant un label pour les valoriser, et aussi sur l’inclusion, en réfléchissant à faciliter la venue des personnes handicapées, à faire de la traduction en langue des signes, etc. Solidays est devenu une sorte de laboratoire d’expérimentation sur la sobriété et l’événement durable. Parallèlement à quelques manifestations en Bretagne, nous étions pionniers, mais sans le mettre en avant, car la cause à défendre, c’était l’engagement sur le sida. »

Rémi Bonin à Solidays
Photo très symbolique pour Rémi : Solidays 2018, dernière édition à laquelle il aura participé en permanent de l’équipe Solidarité Sida. Montée sur scène et beau cadeau… avant le retour dans son Auvergne natale. – Photo fournie par Rémi

Un métier à inventer

Avançons dans le temps : en 2018, Rémi regarde autour de lui et se dit que ce n’est pas à Paris qu’il veut voir grandir ses enfants. Il négocie et obtient une rupture conventionnelle d’une part, l’accord de la famille d’autre part, laquelle revient s’installer avec lui à Clermont. Il a un projet de vie mais pas de projet professionnel. « C’est là que commence le chemin de croix », dit-il.

Avec un peu plus de difficultés qu’il l’imagine, il renoue des contacts et surtout, réfléchit à ce qu’il pourrait développer. Il est tenté par l’entrepreneuriat. Il sait organiser des événements mais il est loin d’être le seul. Il sait aussi qu’il a envie de travailler avec des milieux engagés et d’inclure la notion d’éco-responsabilité. Mais il ne sait pas trop comment imbriquer tout ça pour en faire un métier, ce qui semble logique puisque ça n’existe pas vraiment. Il a quand même gardé des missions de production pour Solidays, la fête de l’Huma et quelques autres. Il crée sa société, Airbeone. Et tâtonne.

« Le jeu consiste à décortiquer un événement sous tous ses angles – choix du lieu, public ciblé, messages à transmettre, fournisseurs, etc. »

Le dernier déclic arrive fin 2018. « Je croise la route du Réseau éco-événement, né quelques années auparavant dans la région de Nantes. Je me dis que c’est ce qu’il me faut. En intégrant ce réseau, j’accède à des formations ; j’y consacre beaucoup de temps, je découvre et je creuse de nombreux sujets. Et je comprends où je veux aller », explique-t-il. Le REEVE (acronyme de ce réseau) rassemblait des acteurs divers de l’événementiel, sur des problématiques et envies communes. Il avait surtout développé un référentiel de l’événement éco-engagé, sous la forme d’un label permettant une démarche progressive avec plusieurs niveaux d’engagement. Rémi s’y intéresse particulièrement et décide de s’en emparer pour accompagner des événements souhaitant réaliser leur transition : c’est le point de départ de sa deuxième casquette.

Rémi Bonin présente le label éco-responsable au Mima
Lors de l’événement Mima 2022 organisé à la Coopérative de Mai par le Damier : Rémi témoigne de son expérience d’un événement éco-engagé et présente le label de REEVE. – Photo fournie par Rémi

Un dernier jalon pour la partie historique du parcours : 2020, le confinement. Les adhérents du REEVE profitent de ce moment de pause pour travailler à un outil. Ils mettent au point, en s’inspirant de la fresque du climat, une fresque de l’événementiel. « Nous avons co-écrit le projet à une vingtaine d’adhérents. Il est aujourd’hui abouti et bien déployé, avec plus de deux cents animateurs. C’est un jeu collaboratif de trois heures qui s’adresse d’abord à des professionnels, des collectivités, des structures qui souhaitent entamer une démarche d’éco-responsabilité. Le jeu consiste à décortiquer un événement sous tous ses angles – choix du lieu, public ciblé, messages à transmettre, fournisseurs, etc. Il permet d’aller en profondeur sur ces sujets. C’est une porte d’entrée qui donne envie d’aller plus loin et d’agir. »

Lire aussi l’entretien : « Selon David Cabal, « les entreprises sont prêtes pour l’événementiel éco-responsable »

Accompagner la transition

La page suivante se joue aujourd’hui. Rémi a conforté son activité, principalement dans l’événementiel culturel qu’il connaît par cœur. Mais il n’hésite pas, si l’occasion se présente, à répondre par exemple à la demande de l’Association des jeunes anesthésistes-réanimateurs pour la labellisation de son événement annuel national.

« Personne ne peut plus ignorer le problème ; beaucoup en sont au stade de se demander ce qu’ils peuvent faire. »

Et il se réjouit de voir que les choses progressent, quoique lentement : « Ce qui est chouette, c’est qu’on n’est plus dans la phase de prise de conscience. Car le changement climatique commence à avoir des impacts directs sur la production d’événements. De ce point de vue, les deux jours d’annulation aux Eurockéennes de Belfort à cause d’un violent orage et celle du festival Freemusic en raison de la canicule l’an dernier ont été un choc pour la profession. Personne ne peut plus ignorer le problème ; beaucoup en sont au stade de se demander ce qu’ils peuvent faire. Le frein, c’est qu’ils sont peu formés. »

Panneau "chemin du festival"
Problème de mobilité ? Forte pente ? Nécessité de redimensionner les projets ? Pour Rémi, cette photo qu’il a prise dans le Beaujolais illustre bien la situation des festivals, notamment après le covid…

Autant dire que le travail ne va pas lui manquer dans les années qui viennent, car il faut, selon lui, pouvoir embarquer les équipes entières et même leurs parties prenantes, ce qui est loin d’être acquis.

C’est cette phase d’accompagnement qui l’intéresse le plus, comme il la préparait au moment de notre entretien pour le Vyv Festival. « Cet événement a une volonté très forte de s’engager sur le plan environnemental et social. Mais il reste à convaincre les équipes. Je vais avoir un temps de 40 minutes avec l’équipe technique pour les sensibiliser. Nous faisons appel aux fresqueurs locaux, puis je vais inviter l’équipe à réfléchir sur la raison d’être d’un festival. »

« Je pense que les super- ou hyperproductions n’ont plus leur place. »

Forcément, j’ai envie de lui retourner la question. Rémi n’hésite pas beaucoup : « ça sert à rassembler les gens. Et à faire passer des messages. J’ai la foi dans les événements engagés, dans un contexte politique compliqué. Par contre je pense que les super- ou hyperproductions n’ont plus leur place. »

Ancrage sur un territoire

Autrement dit, Rémi n’hésite pas à soulever les questions qui dérangent. Autant il estime simple d’avancer sur des sujets comme les transports – « qui représentent les trois quarts des émissions sur une grosse manifestation », souligne-t-il – autant le chemin lui paraît encore long sur des questions comme la sobriété énergétique, la gouvernance, l’inclusion. « Ce sont les vrais sujets : comment faire moins ? Il va falloir apprendre à renoncer, à diminuer les jauges, à aller vers un ancrage local plus fort… C’est le même sujet de redirection que pour les stations de ski par exemple. Et cela implique de repenser le modèle économique, de transformer les métiers, d’opérer un vrai changement systémique. »

Des pistes ? Rémi parle de mutualisation de moyens, de redimensionnement des projets, de choix de fournisseurs, de ressourceries… Jusqu’à aller vers des possibilités d’embarquer un territoire en posant des exigences sur les pratiques des fournisseurs, sur l’économie circulaire, sur l’ancrage local des collaborations.

Rémi Bonin événementiel fresque de la Culture
Lors du lancement officiel de la Fresque de la Culture, en avril dernier. Rémi a fait partie du comité de pilotage de ce projet, initiative du Damier. – Photo fournie par Rémi

Ces préoccupations débordent même du cadre professionnel et s’ancrent aussi dans des engagements bénévoles. De l’Etonnant Festin à l’événement TEDx, du Damier – la structure réunissant la filière auvergnate des industries culturelles et créatives, dont il intègre en 2022 le conseil d’administration – à un engagement plus récent pour l’initiative de la Convention des entreprises pour le Climat Massif central, il diffuse son expérience dans le réseau clermontois des associations engagées ou ayant des envies de se transformer.

Ce qui parfois l’amène à des missions plus inattendues. Le Damier, par exemple, le sollicite pour créer un outil comparable à celui du REEVE, une fresque de la culture, avec un peu plus de moyens et avec la contribution enrichissante du Shift Project.

Voilà qui va dans le sens de tout ce qui l’anime : l’attachement à son territoire auvergnat, l’envie de travailler avec des parties prenantes multiples, l’engagement. Et bien entendu, l’action pour le climat.

Voir le site de Airbeone

Reportage réalisé le mardi 22 mai 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty


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