Pour Jean-Dominique Senard, « les grands groupes ont une meilleure conscience de leur impact »

Le Président de Renault, ancien gérant de Michelin et très attaché à l’Auvergne, revient sur la stratégie 100% électrique du constructeur automobile et sur les enjeux de transition énergétique.


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Mon ressenti

Il n’est plus basé à Clermont, mais ses liens avec l’Auvergne sont encore bien présents : quand j’ai rencontré Jean-Dominique Senard dans les locaux du groupe Renault à Billancourt, j’ai remarqué tout de suite l’autocollant de l’ASM sur son téléphone. De même, il est en lien avec plusieurs initiatives et entreprises sur Clermont, et son souvenir est vivace au sein de Michelin.

Avec l’orientation 100% électrique affirmée par Renault – qui traverse tant bien que mal les conséquences de la guerre en Ukraine et la pénurie de matériaux, après la pandémie – j’ai souhaité voir avec lui comment une grande entreprise comme Renault parvenait à naviguer dans un monde plus incertain (Renault compte plus de 150 000 collaborateurs dans 39 pays, tout de même) … et si les enjeux de transition écologique étaient perçus différemment depuis 2020.

Spécifiquement, nous avons abordé les questions de la transition énergétique, de la mobilité décarbonée, mais aussi du « capitalisme responsable » que promeut Jean-Dominique Senard depuis le rapport qu’il a co-écrit en 2018 sur le sujet.

Etant moi-même en fort doute sur la pertinence de la voiture individuelle (électrique ou pas) massive en ville, je retiens de cet échange de 40 minutes une orientation « RSE » très affirmée et volontariste, dans le cadre d’une logique globale de « croissance verte« . Concrètement, il s’agit selon Jean-Dominique Senard d’infléchir les externalités négatives du capitalisme (sur les plans sociaux ou environnementaux).

Il me semble que le problème est que la vision de la sobriété y est biaisée. En effet, celle-ci y est réduite à l’efficacité énergétique. Je crains que cela ne prive d’un moyen d’action important face au dérèglement environnemental, par peur de limiter la liberté individuelle. A nuancer toutefois en fonction de l’impact de « Mobilize », l’initiative évoquée par le président de Renault sur les nouveaux usages automobiles.

Reste alors une question de fond : les grands groupes sont-ils les mieux adaptés à opérer la transition écologique, non pas en raison de leur « masse » économique ou humaine mais plutôt de leur difficulté à envisager un système économique très différent de celui qui les a portés ? Ils ont certes plus de moyens, mais aussi une forme d’inertie psychologique. D’un autre côté, peut-on mener cette transition sans eux ?

Peut-être un bon sujet pour le Bac qui se déroule ces jours-ci … En tous cas, une question d’actualité.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Au sortir (semble-t-il) de la pandémie de Covid-19, Jean-Dominique Senard estime qu’un cap a été franchi dans une forme de « résilience » des entreprises et de la société, ce grâce notamment à la recherche et au numérique. En parallèle, de nombreuses vulnérabilités liées à une mondialisation incontrôlée et à la perte d’autonomie énergétique ont été révélées.
  2. La « souveraineté énergétique » redevient donc un sujet, surtout en Europe. Or, la transition énergétique ne peut se faire sans prendre en compte des délais, comme ceux nécessaires au redéploiement d’infrastructures gazières (mis en lumière par la guerre en Ukraine). Dans ce cadre, Jean-Dominique Senard estime que les grands groupes sont plus agiles, moins « frileux » face aux enjeux de transition, et plus conscients de leur impact. Chez Renault, notamment, il affirme que la RSE [Responsabilité Sociétale et Environnementale] fait partie intégrante de la stratégie du groupe.
  3. Les enjeux de la transition se concrétisent dans les problématiques logistiques, comme les délais et les risques d’exécution. Un phénomène comme la pénurie de semi-conducteurs ne peut, selon lui, être géré que par les grandes entreprises. Il regrette également les freins observés dans le déploiement des bornes de recharge de véhicules électrique, un paramètre qu’il ne peut maîtriser. Néanmoins, il reste optimiste sur les capacités de transformation des grandes entreprises.
  4. Sur les territoires, Jean-Dominique Senard souhaite développer l’économie circulaire, qui est tout à fait réalisable dans le cadre industriel – c’est l’exemple déployé à l’usine Renault de Flins, en Région parisienne. C’est, selon lui, la voie vers une nouvelle forme de croissance économique, plus vertueuse socialement et environnementalement (grâce à l’éco-conception sur toute la chaîne de valeurs). Il parie également sur la recherche pour améliorer l’efficacité énergétique des matériaux, qu’il relie à la notion de sobriété, et sur l’évolution des usages en mobilité.
  5. Dans ce domaine, le président de Renault estime qu’il est impossible de contraindre la mobilité des habitants d’un territoire. L’action principale portera de manière indirecte, par exemple en réindustrialisant pour réduire les flux de logistique. Par ailleurs, il salue l’initiative Orbimob qui mise sur l’Auvergne comme territoire d’expérimentation. Enfin, la solution de motorisation est selon lui 100% électrique, un choix fait par Renault dans le cadre d’un contexte international et de l’avance prise par l’Europe dans ce domaine – malgré la dépendance à plusieurs matières premières.
  6. Jean-Dominique Senard revient au final sur la notion de « capitalisme responsable » et de RSE : selon lui, il est capital de progresser en parallèle sur les trois piliers du Développement durable : économique, social et écologique. L’enjeu de la transition repose là-dessus, et il insiste sur les conséquences sociales des choix énergétiques, ce qui nécessite un cadre harmonisé, une anticipation et de l’intelligence collective, sans catastrophisme.

L’intervenant : Jean-Dominique Senard

Président du groupe Renault depuis 2019 ; auparavant président du groupe Michelin


Né en 1953, Jean-Dominique Senard est diplômé d’HEC et titulaire d’une maîtrise de droit. Il a notamment fait une carrière dans l’armée à Orléans à la fin des années 1970. En 1979, il rejoint le groupe Total en tant que responsable des opérations de gestion des risques financiers, puis Saint-Gobain en 1987 où il gravit les échelons de la direction de la trésorerie à la direction financière pour l’Allemagne et l’Europe Centrale. Il entre ensuite chez Péchiney dont il devient PDG en 2003 et assure l’intégration dans le groupe Alcan, société canadienne qui avait racheté le producteur d’aluminium français.

En 2005, il arrive en Auvergne en tant que directeur financier de Michelin. Il succède à Michel Rollier comme président du groupe Michelin en 2012. Sa période de gouvernance sera marquée par la poursuite de l’internationalisation, la construction du centre de recherche de Ladoux, mais aussi la polémique autour des licenciements à Joué-les-Tours (2013). Il aura également réduit l’endettement du groupe de plus d’un milliards d’euros à 142 millions en 2014.

Son approche est marquée par un dialogue social revendiqué, en lien avec la mutation industrielle du groupe, celle-ci devant s’adapter à une mondialisation de l’économie. En mars 2018, il remet au ministre de l’économie Bruno Lemaire un rapport co-rédigé avec Nicole Notat sur le rôle de l’entreprise dans la société française, mettant en avant la notion de « capitalisme responsable ».

En 2019, il laisse son fauteuil de président à Florent Ménégaux et rejoint le groupe Renault suite à la démission houleuse de Carlos Ghosn. Il est depuis à la tête de l’alliance avec Nissan et Mitsubishi, et a coopté Luca di Meo en 2020 en tant que directeur général. L’orientation « 100% électrique » du constructeur automobile français est alors présentée via la nouvelle stratégie « Renaulution ».

Crédit photo : Vernier, JBV News (DR)


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Vos premières années en tant que président de Renault ont été marquées par la pandémie du Covid-19. Quel enseignement en tirez-vous ?

C’était une période historique, dans le sens où elle a bouleversé nos façons de vivre et de voir l’entreprise. Même si certains “vieux réflexes” resurgissent, je pense qu’on a franchi une étape dans l’évolution des habitudes professionnelles. Nous avons été mis au pied du mur, mais au final, grâce à la science et au numérique notamment, nous sommes plus forts pour contourner des problèmes difficiles.

Grâce à la science et au numérique notamment, nous sommes plus forts pour contourner des problèmes difficiles.

En revanche, cette crise a souligné la grande vulnérabilité de nos économies à une mondialisation incontrôlée. Même après la pandémie, on le voit avec les pénuries de matériaux ou de semi-conducteurs. Tout cela impacte la transition énergétique dans laquelle nous sommes engagés, en la motivant mais aussi en l’entravant de plusieurs manières.

Les containers, objet symbolique de la mondialisation et des flux logistiques internationaux / Crédit photo : Trackmetal sur Pixabay

Comment voyez-vous la transition énergétique aujourd’hui ?

Avec la pandémie puis la guerre en Ukraine, je dirais qu’on a pris conscience des mauvais choix qui avaient pu être faits précédemment, notamment sur l’abandon du nucléaire en Allemagne. Peut-être que les analyses d’impact de la transition énergétique n’avaient pas été bien faites, que la question des délais n’avait pas été intégrée correctement.

Peut-être que les analyses d’impact de la transition énergétique n’avaient pas été bien faites.

Je prends un exemple : en France, la mise en œuvre très rapide, pour ne pas dire brutale, de la réglementation sur l’usage du diesel : elle s’est réalisée à un tel rythme que de nombreux métiers dans la filière construction automobile ont été très durement touchés. Il faut absolument éviter cela pour les évolutions à venir et mieux prendre en compte les délais de transition nécessaires.

Lire l’entretien : La prospective face au défi environnemental, mission de Gaël Quéinnec chez Michelin

Le problème est similaire aujourd’hui avec la question de la souveraineté énergétique de l’Europe. On va dans ce sens, c’est très bien, mais il faudra du temps pour réorganiser les flux énergétiques du continent : infrastructures à déplacer, construction de terminaux avec liquéfaction du gaz … en plus, paradoxalement, on cherche toujours des ressources carbonées.

Les grands groupes, en général, sont-ils bien armés face à la transition énergétique ?

Oui, ils le sont. En particulier depuis la pandémie de Covid-19, car nous avons une meilleure conscience de notre impact environnemental et social. En 2018, lors de la publication du rapport rédigé avec Nicole Notat sur le rôle de l’Entreprise, l’impression était que la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux des activités allait ajouter de la lourdeur dans la gestion des entreprises.

Depuis la pandémie de Covid-19, [les grands groupes ont] une meilleure conscience de [leur] impact environnemental et social.

Or, aujourd’hui, ce sentiment s’est considérablement atténué : chez Renault par exemple – comme chez Michelin – nous sommes fondamentalement attachés à la transition énergétique. Pour nous, RSE [Responsabilité Sociétale et Environnementale] et stratégie d’entreprise sont de même nature ! A mon arrivée dans le Groupe, nous avons décidé de créer un comité stratégique ainsi qu’un comité RSE au sein du conseil d’administration… Nous avons par la suite fusionné ces deux entités. Mais, clairement, tous travaillent pour mettre en cohérence la stratégie et la raison d’être de l’entreprise, parce que l’une ne va pas sans l’autre.

Un ouvrier pilote une ligne de montage à l’usine Renault de Maubeuges / Crédit photo : Denis Meunier (DR)

Quels sont alors les plus grands défis des grands groupes face à cette transition, selon vous ?

Je parlais des délais tout à l’heure … c’est donc la question de la mise en œuvre. Chez Renault, nous forçons le destin, nous n’attendons pas que les choses avancent d’elles-mêmes. Mais il faut prendre en compte le temps nécessaire, d’autant plus que la guerre en Ukraine a ajouté de la complexité dans les affaires du monde. 

Concrètement, l’accès aux matières premières, les capacités de transformation, ou encore la pénurie de semi-conducteurs, représentent un vrai risque d’exécution pour nous. Ce risque, ce sont les grandes entreprises qui sont capables de le prendre, que ce soit sur la rareté des ressources ou sur l’inflation des coûts. Sans parler de choses que nous ne maîtrisons pas directement, comme le déploiement de stations de recharge pour véhicules électriques.

Les grands groupes ont appris, dans leur gouvernance, à être plus agiles qu’avant.

Aujourd’hui, les grands groupes ont appris, dans leur gouvernance, à être plus agiles qu’avant. Nous avons réduit notre inertie et allégé nos processus décisionnels. D’ailleurs, beaucoup de PME s’appuient sur les grandes entreprises pour gérer la complexité du moment. C’est surtout pour cela que je suis fondamentalement optimiste.

Lire l’entretien : Eric Duverger fait le pari des entreprises pionnières dans l’engagement écologique

Quelle vision avez-vous de la transition écologique des territoires ?

La question globale est : comment mener la croissance ? Il faut l’aborder différemment d’une logique complètement libérale et mondialisée. Pour autant, j’insiste sur le faux concept de la décroissance : c’est un gigantesque risque pour l’économie mondiale, à commencer par la capacité à nourrir la population.

L’économie circulaire est une vraie chance à la fois pour l’Europe et pour les territoires.

Cela étant dit, quelle nouvelle stratégie de croissance ? Elle passe notamment par l’économie circulaire. C’est une vraie chance à la fois pour l’Europe et pour les territoires – je pense par exemple à l’usine Renault de Flins, qui a mis en œuvre un modèle de circularité industrielle au niveau de sa région. On voit qu’il est possible de créer une chaîne industrielle de recyclage des batteries, d’extraction des métaux, et de remise en état complète de véhicules usagés.

A l’usine Renault de Flins, un process d’économie circulaire a été mis en place au niveau du territoire / Crédit photo : MC Productions (DR)

Cette chaîne vertueuse se base de plus en plus sur l’éco-conception des produits, très en amont du processus de fabrication. C’est ce que nous faisons sur de nouveaux modèles comme la future E-Mégane. Cela répond à une recherche d’indépendance, d’économies d’énergie, de décarbonation. Mais, encore une fois, ça ne marchera qu’en prenant en compte la question des délais de mise en place …

Lire l’entretien : pour Jean-Anaël Gobbe, “l’éco-conception web est pensée sur le cycle de vie”

Plusieurs entités travaillant sur la transition énergétique, comme l’Agence Internationale de l’Energie ou le Shift Project, insistent autant sur l’innovation que sur la sobriété. Qu’en pensez-vous ?

L’innovation est un point essentiel de la transition énergétique, en effet. Car c’est elle qui nous permettra de développer de nouveaux matériaux économes en énergie et en ressources. Pour moi, c’est ainsi qu’il faut voir la notion de sobriété : par l’efficacité énergétique des matériaux.

Pour moi, c’est ainsi qu’il faut voir la notion de sobriété : par l’efficacité énergétique des matériaux.

Nous innovons aussi sur les usages. Chez Renault, la marque Mobilize s’intéresse aux “nouvelles mobilités”, en tant que sujet économique : comment se développe l’économie de partage, l’utilisation à la carte au lieu de la propriété intégrale … 

Il y a en effet beaucoup d’enjeux de transition dans la mobilité …

La mobilité est absolument nécessaire à la vie et à la croissance économique. Je suis convaincu qu’on ne peut pas contraindre les populations sur ce sujet. C’est une privation de liberté.  Elles ne doivent pas être prisonnières d’un territoire, c’est inacceptable !

Certes, des mesures peuvent être prises dans les villes pour faciliter tel ou tel moyen de transport … mais sans pour autant interdire aux gens de se déplacer. Par exemple, je trouve cela paradoxal de limiter l’accès de centre-villes aux “véhicules verts” … qui sont parmi les plus chers du marché.

Je suis convaincu qu’on ne peut pas contraindre les populations sur [le sujet de la mobilité].

Si on ne peut pas enfermer, on peut tout de même agir, mais indirectement. Par exemple, la logistique a détérioré son bilan carbone avec la mondialisation. Si on ré-industrialise les territoires, on réduira de fait son impact par une mobilité plus économe.

Lire l’entretien « double combo » : Au lancement d’Orbimob 2021, retour sur les enjeux de la mobilité territoriale durable

Vous avez fait le choix du tout électrique pour Renault : pourquoi ?

C’est simple, il fallait un seul modèle de développement. Là, nous avons suivi un contexte politique international : l’Europe est très en avance sur le sujet de la mobilité électrique, et ce malgré sa dépendance aux matériaux importés comme le lithium, le cobalt, le magnésium, le graphite … 

L’Europe est très en avance sur le sujet de la mobilité électrique.

Cependant, d’autres régions du monde en sont à un stade différent. Il faut prendre conscience que les véhicules thermiques y circuleront encore longtemps. Néanmoins, notre choix est acté, et nos plans de développement sont calés dessus : Renault sera une marque 100% électrique en 2030. D’autres marques du Groupe, telle Dacia, évolueront de manière plus échelonnée. Cette ambition n’est pas remise en cause par l’actualité récente, même si les risques d’exécution sont plus importants.

Luca di Meo, DG de Renault, présente le plan stratégique « Renaulution » en janvier 2021, et engage le groupe sur la voie du 100% électrique / Crédit photo : Olivier Martin-Gambier

Quels liens entretenez-vous encore avec l’Auvergne ?

J’ai encore quelques attaches avec l’Auvergne, où j’ai passé de superbes années. Je regrette que cette région ait été négligée par le développement économique “classique”, mais en même temps préservée. Cela dit, il ne faut pas en rester là : ne pas progresser, c’est se mettre en danger.

L’Auvergne est un écosystème très favorable pour des expérimentations sur la mobilité.

Dans ce cadre, l’Auvergne est un écosystème très favorable pour des expérimentations sur la mobilité. Il y a toutes les configurations sur ce territoire : une métropole, des petites villes, des zones rurales, de la montagne comme de la plaine … et c’est le pari d’Orbimob, animé par Patrick Oliva pour qui j’ai beaucoup d’estime et qui fait preuve d’une grande intelligence dans ce projet.

Vous êtes un fervent promoteur d’un “capitalisme responsable”, notamment au plan social. Comment reliez-vous ce point à l’enjeu environnemental ?

Au-delà des grands groupes, je suis convaincu que la majorité des entreprises font de la RSE sans le savoir, car c’est devenu une aspiration forte de nos concitoyens. Elles ont toutes, au moins sur leur territoire, un rôle social et environnemental. N’oublions pas que les trois piliers des Objectifs de Développement Durable sont l’économique, le social et l’environnemental : il faut progresser sur chacun d’entre eux, et en même temps. Sans quoi nous allons au-devant de profonds rejets du système économique dominant, et d’une montée encore plus forte des populismes.

L’enjeu est donc de gérer la transition énergétique en prenant en compte les conséquences sociales majeures qui peuvent en découler. J’ai évoqué le cas du diesel tout à l’heure : l’absence d’analyse d’impact sérieuse fut un grave manquement! Demain, la transition énergétique nécessitera un travail de formation colossal. C’est le devoir des entreprises autant que des pouvoirs publics que d’y répondre.

Hackathon interne à Renault sur les enjeux de décarbonation / Crédit photo : Olivier Martin-Gambier (DR)

La RSE est-elle en train de se “rééquilibrer” en faveur des questions écologiques ?

Au niveau mondial, l’évolution du capitalisme intègre de plus en plus les enjeux environnementaux. Mais, en Europe, la dimension sociale est toujours mieux prise en compte : c’est une caractéristique de notre continent – je parle ici d’Europe continentale, hors zone anglo-saxonne : elle fait référence à « l’économie sociale de marché » bien présente dans les Traités de Rome de 1957…

J’ai une fibre personnelle en faveur des sujets sociaux.

J’ai une fibre personnelle en faveur des sujets sociaux. Mais j’ai aussi conscience que, si on veut réformer le système économique actuel, il faut développer les trois axes du développement durable. Plus on le fera de manière harmonisée, plus la performance globale de l’entreprise sera positive. Pour cela, il faut des cadres méthodologiques, de suivi, de comparaison.

Lire l’entretien : Pour Géraud Dorchies, “quand la RSE n’est pas sincère, elle finit par se retourner contre l’entreprise.”

L’harmonisation des règles, un facteur clé de succès de la transition … en voyez-vous d’autres, pour conclure ?

On ne peut en effet pas faire grand-chose seul. L’Europe a un rôle d’harmonisation vraiment capital. Sur la RSE comme nous l’évoquions, aussi sur les normes comptables. Par exemple, les “3P” – People, Profit, Planet – qui sont la baseline de Michelin mais aussi une référence à la comptabilité socio-environnementale, représentent une avancée importante. Pour autant, il n’y pas d’accord sur cette norme, donc c’est trop tôt pour qu’elle ait un vrai impact.

L’Europe a un rôle d’harmonisation vraiment capital.

Outre l’harmonisation, il faut réfléchir et anticiper. Cela ne peut se faire que dans le calme, sans céder au catastrophisme. Avec les partenaires syndicaux de Renault, nous avons signé une convention trisannuelle fin 2021 : on voit que, si on discute posément, si on se comprend, si on mise sur l’intelligence collective, on évite les restructurations. A condition d’assurer la sincérité et la confiance.

Information sur notre prochain événement

Propos recueillis le 13 avril 2022, mis en forme pour plus de clarté et relu et corrigé par Jean-Dominique Senard. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie