Pendant trois jours, des chercheurs en sciences de gestion se sont penchés sur la résilience organisationnelle, sous l’égide du laboratoire auvergnat CleRMa
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La structure: AGECSO
Association pour la gestion des connaissances dans la société et les organisations
L’association, qui existe depuis une quinzaine d’années, souhaite promouvoir la recherche, les études et la formation en gestion des connaissances. Elle favorise les échanges interdisciplinaires et dissémine les résultats scientifiques dans le monde socio-économique.
Pascal Lièvre, professeur en Sciences de Gestion à l’IAE Management et président de l’association, estime qu’il y a actuellement 70% de chercheurs, regroupant des champs variés (gestion, sciences sociales et informatique), et 30% d’entreprises qui contribuent à faire vivre l’association.
Celle-ci organise chaque année un colloque annuel regroupant des chercheurs qui travaillent sur des thématiques liées à la gestion des connaissances dans les organisations.
Accès direct aux parties de l’article
- Un colloque sur la résilience organisationnelle
- Exemple d’approche pour des organisations résilientes : la mindfulness
- Rendre une organisation résiliente : une gageure ?
- La mindfulness, ou la résilience vue comme une capacité cognitive
- Mindfulness, connaissances et apprentissage
- Emmanuelle Perrone “Ce colloque m’a fait bouger par les contenus et la façon d’amener l’engagement dans la recherche”
- Sur quel sujet de recherche travaillez-vous?
- Quels enseignements tirez-vous de ce colloque ?
- Arnaud Gorgeon : “C’était très intéressant de voir la notion de résilience appliquée à d’autres sujets que les systèmes d’information”
- Sur quels sujets de recherche travaillez-vous ?
- Quels enseignements tirez-vous de ce colloque ?
- Pascal Lièvre : “Il y a aujourd’hui une nécessité de réfléchir à la résilience”
- Avec quel état d’esprit ressortez-vous de ce colloque sur la résilience organisationnelle ?
- S’il y a un bilan à faire du colloque, quel est-il ?
- Quelle suite donner à toutes ces réflexions ?
Un colloque sur la résilience organisationnelle
La résilience est un important sujet de recherche. C’est évident tant la notion est ancienne (elle date du XVIIIème siècle, d’abord dans le domaine des sciences physiques) et a “percolé” dans de nombreux domaines de la connaissance.
Mais l’accélération du monde et de son économie, de par l’innovation croissante, la révolution numérique, l’avènement de l’anthropocène mais aussi sous l’effet de crises comme celle du Covid-19, a remis la notion au centre du jeu. D’où un fort regain d’intérêt pour cette thématique dans la recherche, observé depuis plusieurs années.
La résilience est un important sujet de recherche
A Clermont, c’est le CleRMa – le centre de R&D en sciences organisationnelles, situé à l’IAE Management – qui porte plusieurs travaux de recherche autour du management des connaissances et, désormais, de la résilience organisationnelle. Le 18 mai dernier, le colloque intitulé “La résilience entre objet de recherche et pratique” et organisé au Lac Chambon a fait le point, avec des chercheurs de rayonnement national, sur ces sujets.
Les chiffres clés du colloque
L’occasion pour les participants de se retrouver après plusieurs confinements éprouvants, et de se nourrir ensemble des travaux publiés ou en cours, en confrontant leur vision de la résilience et les angles de recherche qu’ils ont choisi.
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Exemple d’approche pour des organisations résilientes : la mindfulness
Synthèse d’interventions suivies le mercredi 19 mai lors du symposium Management des Connaissances et Résilience organisationnelle, présidé par Catherine Thomas (Université de Nice-Côte d’Azur)
Rendre une organisation résiliente : une gageure ?
Dans une organisation, la résilience porte principalement sur ce qui ne peut être anticipé : il s’agit donc de processus dynamiques, dont la valeur principale est l’adaptation. Mais la méthodologie précise manque à ce sujet, selon Duchek (2020). Catherine Thomas le résume ainsi : “on ne sait pas rendre les organisations résilientes”.
En outre, on assiste depuis ces dernières années à une extension du domaine de la résilience, avec une accélération notable en 2020. Appliquée en sociologie et en psychologie aux individus, elle a peu à peu concerné les groupes, les organisations et maintenant les territoires. Dans les entreprises, elle sort désormais des environnements risqués, comme la défense, l’industrie nucléaire ou chimique, pour concerner l’ensemble des situations de management.
Or, à chaque “niveau” supérieur, davantage de parties prenantes sont prises en compte, internes ou externes. La résilience devient ainsi plus compliquée à atteindre – chaque acteur ayant ses modèles propres de fonctionnement, ses objectifs stratégiques … c’est là que la création de sens global joue un rôle capital pour fédérer ces parties prenantes.
La mindfulness, ou la résilience vue comme une capacité cognitive
S’il est très difficile de concevoir la résilience comme une série de procédures, il semble en revanche possible de la voir comme une capacité : celle à gérer des phénomènes émergents et inattendus, ainsi que la “surcharge informationnelle” qui en découle. Comment y parvenir ?
la solution pourrait être la mindfulness, une capacité cognitive similaire à celle déjà connue des pratiquants de la méditation
Dans la synthèse proposée par Evelyne Rouby (Université de Nice), la solution pourrait être la mindfulness, une capacité cognitive similaire à celle déjà connue des pratiquants de la méditation. Il s’agit de développer sa qualité d’attention “here and now”, c’est-à-dire dans l’instant et le lieux présents.
La mindfulness au niveau organisationnel implique deux “étapes” connexes : d’une part, un processus de scan, soit une attention portée à certains signaux (dont les fameux “signaux faibles”) plutôt qu’à d’autres. D’autre part, un processus d’interprétation, autrement dit de création de sens à partir des signaux sélectionnés. Cette interprétation doit permettre aux acteurs de construire des réponses appropriées en temps réel … et, potentiellement, en s’affranchissant des règles pré-établies.
Mindfulness, connaissances et apprentissage
La question devient donc : comment développer cette capacité cognitive de mindfulness ? Il existe un corpus littéraire portant sur les “qualités de l’attention”, mais globalement il s’agit d’un processus d’apprentissage sur le long terme.
En effet, les individus mindful en organisation doivent apprendre de leurs expériences, insiste Evelyne Rouby : “Ils doivent capitaliser sur la manière dont ils gèrent les signaux faibles”. Cela implique une reconfiguration des modèles mentaux utilisés dans le processus de scan, ainsi que la découverte en continu et l’application de nouvelles lois causales pour interpréter ces signaux. Il s’agit là d’une approche transversale de gestion des connaissances en organisation.
L’autre point clé est que la mindfulness est l’affaire d’un groupe : elle ne peut se limiter à un seul individu. Pour aller plus loin, il faut que les individus dans le groupe travaillent de manière interdépendante, à savoir qu’ils “apprennent des autres comment devenir mindful” selon Evelyne Rouby. Cet apprentissage continu se fait par le transfert d’expériences, les interactions, le dialogue, et ce de manière automatique et naturelle au sein du groupe.
Pour ce faire, le fonctionnement de l’entreprise et l’organisation des fonctions et des métiers doit faciliter ce transfert de connaissances et cette ouverture, y compris vers l’extérieur. Les équipes travaillant de manière silotée avec une trop grande habitude de rétention d’information, comme ce qui se constate hélas trop souvent, rendront impossible les processus d’apprentissage en vue d’une vraie résilience organisationnelle.
Références pour aller plus loin: – Dane E. (2013) Things seen and unseen : investigating experience-based qualities of attention in a dynamic work setting, Organization Studies, 34, pp 45-78 – Dane E. (2011) Paying attention to mindfulness and its effects on task performance in the workplace, Journal of Management, 37(4), pp 997-1018 – Duchek S. (2020) Organizational resilience : a capability-based approach, Business Research, vol 13, pp 215-246 – Weick K.E., Sutcliffe K.M. (2006) Mindfulness and the quality or organizational attention, Organizational Science, 17(4), pp 514-524 |
Nous avons pu rencontrer Emmanuelle Perrone et Arnaud Gorgeon, respectivement doctorante au CleRMa et chercheur associé à l’ESC Clermont qui font partie de l’équipe organisatrice de l’événement aux côtés de Pascal Lièvre. Deux approches de la résilience se côtoient ici, l’une très large et l’autre plus restreinte. Ils nous expliquent leur sujets de recherche et nous livre leur retours sur le colloque auvergnat. Enfin, Pascal Lièvre évoque le bilan du colloque et pense déjà à la suite.
Emmanuelle Perrone “Ce colloque m’a fait bouger par les contenus et la façon d’amener l’engagement dans la recherche”
L’intervenante : Emmanuelle Perrone
Entrepreneure sociale ; doctorante au CleRMa
Emmanuelle a un parcours universitaire dans les sciences cognitives. Après avoir longtemps travaillé sur le montage de projets dans des environnements collaboratifs et porteurs d’innovation sociale, et monté des structures comme Cultures Trafic (conseil en intelligence collaborative), Epicentre Factory (coworking et tiers-lieu) et Cocoshaker (incubation d’entrepreneurs sociaux), elle s’est tournée vers l’étude de la transformation des organisations.
Membre de l’Open Lab Innovation Exploration de par son expertise sur les dynamiques d’innovation sociale, elle a ainsi connu Pascal Lièvre. En 2019, elle commence sous sa direction une thèse sur la mise en place d’un dispositif d’appui en situation d’exploration auprès du Conseil Départemental du Puy-de-Dôme.
Sur quel sujet de recherche travaillez-vous?
En tant que doctorante en thèse CIFRE depuis 2019, je suis salarié du Conseil Départemental du Puy-de-Dôme pour 3 ans. Je travaille sur l’élaboration d’un dispositif d’appui au pilotage [de cette collectivité territoriale] en situation d’exploration, c’est-à-dire en situation d’incertitude.
L’idée est d’amener des outils réflexifs d’apprentissage qui puissent servir pour sortir des schémas classiques de fonctionnement de l’institution, et de repenser la façon dont on met en œuvre des politiques publiques compte tenu des enjeux actuels [environnementaux notamment]. En lien avec la Fabrique des Transitions, la construction de ce dispositif se veut généralisable en vue de le proposer à d’autres territoires.
Quels enseignements tirez-vous de ce colloque ?
Ce qui est intéressant à observer, c’est que la plupart des chercheurs invités ne sont pas forcément engagés dans l’écologie lorsqu’on parle de résilience. Il y a eu beaucoup de discussions sur l’apprentissage en entreprise face à des effondrements potentiels liés à au nucléaire notamment, [ou face à] l’intelligence artificielle. C’est très scientifique ! Cela dit, il y a quand même eu des petits séminaires sur la bioéconomie ou la résilience territoriale qui ont apporté d’autres sujets.
La plupart des chercheurs invités ne sont pas forcément engagés dans l’écologie lorsqu’on parle de résilience
Emmanuelle Perrone
Parler controverse et malentendu, c’est mon point d’entrée. Voir les usages des uns et des autres met beaucoup d’humilité sur les opinions que l’on peut avoir. Il faut rester dans une posture d’ouverture. Rien n’est simple et il ne faut pas avoir les idées arrêtées.
Finalement, ce colloque m’a fait bouger personnellement par ces contenus, sur la façon d’amener dans la recherche des engagements. En tant que chercheur engagé, il faut assumer que l’on est dans l’anthropocène, et qu’il va bien falloir que l’on pilote des organisations de manière différente. C’est un tournant que j’ai pris et je l’ai ressenti dans le retour que j’ai eu avec certains collègues.
Arnaud Gorgeon : “C’était très intéressant de voir la notion de résilience appliquée à d’autres sujets que les systèmes d’information”
L’intervenant : Arnaud Gorgeon
Chercheur associé au CleRMa ; professeur de Systèmes d’Information à l’ESC Clermont
Arnaud est titulaire d’un MSc en ingénierie, d’un MBA de l’IE Business School en Espagne, et d’un doctorat en Système d’Information de UCLA Anderson School of Management. Ses recherches portent sur la manière dont les organisations anticipent et managent l’inattendu lorsqu’elles innovent grâce aux technologies de l’information.
Crédit photo : Jérôme Chabanne (DR)
Sur quels sujets de recherche travaillez-vous ?
Dans mes travaux de recherche, j’aborde la résilience par l’intermédiaire d’un concept que l’on appelle l’anti-fragilité. La question théorique est de se demander comment gérer les SI [Systèmes d’Information] dans un environnement incertain. Cette notion vient de l’auteur Nassim Nicholas Taleb, ancien statisticien-trader et écrivain. Pour lui, l’anti-fragilité va au-delà du concept de résilience. Le résilient va résister aux chocs et rester le même, alors que l’anti-fragile s’améliore.
On fait face aujourd’hui à des systèmes d’information toujours plus complexes (…), il n’est pas possible d’anticiper leur comportement.
Arnaud Gorgeon
Ce concept intéresse les SI dans la mesure où l’on fait face à des systèmes toujours plus complexes avec des algorithmes très puissants, de l’intelligence artificielle etc. Il n’est pas possible d’anticiper leur comportement dans toutes les situations au moment de la construction de ces systèmes. La seule manière d’améliorer leur fonctionnement est de les forcer à réagir en quelque sorte et qu’ils apprennent et s’améliorent d’eux-mêmes. C’est ça l’anti-fragilité !
Concrètement, les entreprises [comme les GAFA] lancent des chaos monkeys [littéralement des singes du chaos] qui vont arrêter des serveurs ou d’autres éléments de leur système d’information pour observer ce qui se passe … tout simplement. On peut également avoir d’autres applications du concept dans les relations humaines d’une entreprise en forçant la sérendipité notamment.
Quels enseignements tirez-vous de ce colloque ?
Le colloque a été intéressant pour moi car j’ai une vision relativement étroite de la résilience. C’était très intéressant de voir l’application sur d’autres sujets, notamment les volcans et les différentes visions qui peuvent être plus larges autour de ce mot.
Cela m’a également permis d’être confiant sur ma définition de la résilience et le concept d’anti-fragilité dans un sens. Il faut avancer dans le choix de principes théoriques, on ne peut pas tout faire. Les discussions en face à face [pour ceux qui étaient présents] amènent à réfléchir sur la manière dont on pense. Et ça c’est vraiment important, on a tous besoin d’avoir quelqu’un qui regarde par-dessus notre épaule !
Pascal Lièvre : “Il y a aujourd’hui une nécessité de réfléchir à la résilience”
L’intervenant : Pascal Lièvre
Professeur en Sciences de Gestion à l’IAE Management ; membre du laboratoire CleRMa ; fondateur et animateur de l’Open Lab Exploration Innovation ; président d’AGECSO
Au sein du CleRMa, Pascal étudie en particulier les nouvelles règles du jeu managérial de l’économie actuelle qui pousse à l’innovation perpétuelle et au besoin de créativité. L’intérêt est aussi porté sur les situations de gestion en situation dite “extrêmes” de l’ordre de l’exploration.
En 2016, Il crée l’Open Lab Exploration Innovation qui rassemble les chercheurs et les praticiens – entrepreneurs au niveau local pour faire face aux défis de l’économie de la connaissance et monter des dispositifs de recherche-action qui soient utiles à tous.
Président d’AGECSO, association pour la gestion des connaissances dans les sociétés et les organisations, il souhaite que la communauté scientifique se retrouve pour favoriser les échanges et faire émerger des enjeux scientifiques en lien avec les retours d’expérience des praticiens.
Crédit photo : UCA (DR)
Avec quel état d’esprit ressortez-vous de ce colloque sur la résilience organisationnelle ?
Je crois que ça a été un vif succès. C’était un bonheur de vivre ce temps collectif en Auvergne malgré la situation sanitaire.
La résilience était le thème principal mais il n’y avait pas que cela. De nombreux symposiums ont renvoyé à des discussions que l’on a depuis plusieurs années, par exemple sur l’intelligence artificielle ou sur la transmission des savoirs-faire traditionnels.
On voit bien qu’il y a un effet de mode derrière cette notion [de résilience]. Et je crois que ça correspond pour la société au fait de faire face à des situations extrêmes : de la rupture, de l’incertitude et du risque. Il y a aujourd’hui une nécessité de réfléchir à ça !
S’il y a un bilan à faire du colloque, quel est-il ?
C’est difficile … De très nombreuses perspectives de recherche ont été abordées. Maintenant, il faut structurer les choses. Il ne faut pas avoir une vision naïve de cette notion. Un corpus théorique et pratique est en train de se constituer mais il faut continuer à travailler.
Il ne faut pas avoir une vision naïve de cette notion [de résilience organisationnelle]
Pascal Lièvre
Ce colloque scientifique a été un temps d’échange pour renforcer et spécifier certaines approches théoriques et de mise en pratique. Qu’est ce que c’est une crise ? un risque ? ça paraît évident mais en réalité ça ne l’est pas.
Je pense notamment au croisement entre l’industrie nucléaire et les risques volcaniques. Faire un premier bilan de ce qui se passe [via des travaux en cours], c’était extrêmement intéressant ! Mais ça montre aussi tout le travail qu’il reste à faire.
Quelle suite donner à toutes ces réflexions ?
Ces colloques annuels réunissent les chercheurs pendant une courte période. Néanmoins, des workshops et des séminaires ont lieu toute l’année.
Du point de vue académique, il y a des papiers de recherche qui se préparent au sein du CleRMa en lien avec ses partenaires. La Revue internationale de management fait un appel à articles pour le mois de septembre 2021 et nous comptons proposer des papiers sur la résilience, l’anthropocène et sur d’autres sujets … toujours liés à la gestion des connaissances au sein des organisations.
Pour aller plus loin : le site de l’association AGECSO |
Contenus réalisés entre le 19 et le 28 mai 2021 ; entretiens relus par Pascal, Arnaud et Emmanuelle ; crédit visuel : éditeur