Les forêts ont eu très chaud cet été… C’est grave ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Forêt à Saint-Babel
État des forêts 1/2 - Cet été, l’effet de la canicule sur les arbres a été par endroits spectaculaire et certaines forêts ont pris des allures automnales dès le mois d’août. Doit-on s’en inquiéter ? Trois experts répondent.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Est-ce parce que les choses s’aggravent ? Parce que mon éco-anxiété s’est pris elle aussi un gros coup de chaleur ? Ou par le hasard des rencontres et opportunités de reportages ? J’ai l’impression d’être dans un cycle « articles catastrophes ». Incendies, canicules, événements extrêmes… Je n’aurai jamais autant mobilisé la catégorie « se préparer au pire » qu’en cette période de fin septembre-début octobre (parce que oui, la série va continuer…).

Comme pour les forêts, il est un peu trop tôt pour affirmer que la fréquence des « articles de crise » va continuer à s’amplifier ou que c’est juste une thématique passagère. Donc ne paniquons pas… Mais quand même un peu.

Car pendant que je vous emmène en balade en forêt, le président du plus puissant État du monde tient des propos hallucinants. Et nous venons de franchir allègrement la septième limite planétaire.

Mais à part ça, Madame la Marquise…

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Avec une canicule longue et précoce en juin, puis dix jours en août flirtant avec les records de température, cet été a été particulièrement chaud. Fin août, certaines forêts, notamment en basse altitude, avaient déjà des allures automnales. Les feuillus notamment ont roussi et perdu des feuilles. C’est une défense naturelle qui leur permet de se protéger, surtout s’ils ressentent aussi la sécheresse ; car ils ne peuvent plus transpirer pour se refroidir.
  • Il est cependant trop tôt pour estimer les conséquences dans la durée. Car le rôle des feuilles est de fabriquer par la photosynthèse des sucres non seulement pour faire grandir l’arbre, mais aussi pour avoir des réserves en vue de l’hiver puis du redémarrage au printemps. Les arbres qui ont perdu leurs feuilles trop tôt pourront être affaiblis. Le risque est encore plus grand pour les résineux, car le rougissement ou la perte de leurs aiguilles leur est fatal.
  • Cependant les zones forestières en altitude, où se trouvent davantage les résineux, ont été moins affectées par la canicule. Les forêts sont d’autant plus résilientes si elles sont gérées selon des méthodes qui respectent les dynamiques naturelles. Il convient donc, selon les trois experts, de ne pas paniquer… mais de rester attentif aux zones et aux essences les plus fragiles.

Deux longues canicules et des températures proches des records ont éprouvé les organismes cet été. Dans le Puy-de-Dôme comme dans beaucoup d’autres régions, les effets ont été particulièrement visibles sur les arbres, ou en tout cas certains arbres, notamment dans les forêts de basse altitude et en ville.

Teintes rousses et tapis de feuilles mortes tombées avant l’heure ont pu surprendre ou choquer les promeneurs. L’automne a semblé s’installer dès le mois d’août, après les dix jours de canicule intense que nous avons connus.

Un chemin en forêt près de Vic-le-Comte. Le croiriez-vous ? La photo date du 31 août.

Ce coup de chaleur a-t-il provoqué seulement une réaction passagère ou aura-t-il des conséquences plus durables sur l’état de nos forêts locales ? Nos arbres sont-ils armés pour résister à la montée des températures ? Chacun ou chacune dans sa spécialité, j’ai interrogé trois experts. S’il est encore trop tôt pour des réponses définitives, leurs observations nous apportent des pistes de compréhension de ces phénomènes qui pourraient bien s’intensifier dans l’avenir avec le dérèglement climatique.

Commandez votre exemplaire de l’Année Tiko 2025 !

Lire tranquillement 16 histoires de résilience puydômoise dans son lit, faire un beau cadeau de fin d’année, et soutenir l’association Tikographie : c’est possible avec l’Année Tiko 2025, notre troisième recueil d’articles en pré-commande sur Ulule

Olivier Baubet : vue d’ensemble

Olivier Baubet est responsable du service de santé des forêts à la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF). Ce service a en charge une veille sanitaire sur l’ensemble des massifs forestiers d’Auvergne-Rhône-Alpes ; il recense, diagnostique et centralise les signalements de problèmes sur les arbres.

« Nous avons eu cet été en Auvergne des températures qui se rapprochaient de celles de 2003, sans les dépasser. 2003 est la référence de ce que nous avons connu de pire comme canicule.

Pour autant, il ne faut pas paniquer. D’abord parce que nous avons eu un printemps humide qui avait permis aux arbres de bénéficier d’eau plus longtemps. Ensuite, quand la chaleur est trop forte, les feuilles peuvent griller, et l’arbre se protège en perdant des feuilles mais il ne meurt pas pour autant.

« 2003 est la référence de ce que nous avons connu de pire comme canicule. »

La crainte à avoir, notamment pour les chênes, c’est qu’avec cette stratégie d’évitement de la sécheresse, ils n’aient pas fait assez de réserves d’énergie pour redémarrer au printemps : il faut qu’ils puissent puiser dans leurs réserves. Ça peut être fatal à certains arbres mais pour l’instant, même si c’est assez spectaculaire par endroits, il n’y a pas à trop s’inquiéter. D’autant plus qu’après le 15 août, on a eu des pluies qui leur ont permis de se remettre à « fonctionner » normalement.

« Les feuilles peuvent griller, et l’arbre se protège en perdant des feuilles ». Toujours le 31 août aux alentours de Vic-le-Comte.

Cela peut commencer à poser problème si les épisodes de canicule ou de sécheresse se répètent. C’est ce qui est arrivé dans l’Allier entre 2017 et 2020 : un enchaînement de sécheresses qui a causé beaucoup de pertes.

« Ce sont d’abord ces épisodes météo violents qui sont redoutables pour les forêts. »

Cependant, dans le Puy-de-Dôme, les forêts ont subi d’autres événements météo. Notamment la grêle et le vent. Début juin, le violent orage à Tours-sur-Meymont, qui a marqué et fait beaucoup de dégâts, avec des grêlons jusqu’à 10 cm de diamètre, a malmené les pins ; ils ont été fragilisés et cela a permis à un champignon de s’installer et de les affaiblir.

Il y a eu aussi des tornades à l’ouest du département qui ont déraciné des arbres : surtout des hêtres, mais aussi des sapins et des épicéas.

Il faut avoir en tête que même si les moyennes climatiques sont inquiétantes, ce sont d’abord ces épisodes météo violents qui sont redoutables pour les forêts. »

« Industries locales et résilience territoriale« 

La 52ème Rencontre Tikographie abordera l’impact mais aussi les atouts insoupçonnés des sites industriels dans la résilience du territoire.

Mardi 14 octobre (17h-19h) au KAP, 5 rue Kessler à Clermont – tous publics, gratuit et en accès libre

Stéphane Herbette : vu du labo

Stéphane Herbette est biologiste, enseignant-chercheur à l’Université Clermont Auvergne et directeur adjoint du laboratoire PIAF, qui étudie le comportement des arbres dans le contexte du changement climatique. Stéphane étudie notamment la réaction des arbres face aux sécheresses sévères.

« Ce n’est jamais le coup de chaleur seul qui affecte les arbres, car ils savent gérer la chaleur : ils transpirent. La transpiration peut faire baisser la chaleur d’au moins 5°C. Le problème est plutôt le couplage de la chaleur avec la sécheresse, même si celle-ci n’est pas très forte, ce qui a été le cas cet été.

S’il fait 40°C annoncé, déjà c’est 40°C à l’ombre alors que la feuille est exposée au plein soleil. Mais en plus elle est exposée aux radiations qui peuvent augmenter encore la température. Si à ce moment l’arbre manque d’eau, les feuilles arrêtent de transpirer et elles grillent.

« Au minimum, la plante va être affaiblie. »

Certaines espèces résistent mieux que d’autres ou réagissent différemment. Les bouleaux, les peupliers, les tilleuls ou les érables perdent facilement leurs feuilles. D’autres comme le chêne, le charme ou le hêtre ne perdent pas leurs feuilles mais elles grillent sur l’arbre. C’est ce qui a donné cette impression d’avoir l’automne au mois d’août.

« Le chêne, le charme ou le hêtre ne perdent pas leurs feuilles mais elles grillent sur l’arbre », explique Stéphane Herbette.

D’autres espèces plus adaptées aux climats chauds résistent beaucoup mieux : les lauriers, les agrumes, qui ont des feuilles vernissées. On n’explique pas encore exactement ce phénomène mais nous l’étudions.

Sur la plus longue durée, les conséquences seront plus ou moins importantes après ces épisodes. Au minimum, la plante va être affaiblie car elle n’aura pas fabriqué autant de sucre que dans un été moyen. Or le sucre lui sert à résister au froid, à se défendre contre les attaques et à repartir au printemps. Avec moins de réserves, elle sera fragilisée face à des ravageurs ou à de futures sécheresses ou canicules. Plus tôt la perte de feuilles survient dans l’été, plus ce sera grave : pas tant pour le déficit en feuille car l’arbre peut se passer de feuilles, mais parce que la période de production de sucre sera encore plus raccourcie.

« Si les bourgeons ont été affectés, ils ne pourront pas faire pousser la branche. »

Il y a une autre conséquence possible qu’on ne peut pas percevoir dès maintenant : si les bourgeons ont été affectés, ils ne pourront pas faire pousser la branche. Et on va avoir des branches mortes. La bonne nouvelle, c’est que les arbres ne fonctionnent pas comme le monde animal. L’arbre peut continuer à vivre même s’il perd des organes que sont les branches.

Ce que je décris-là est surtout valable pour les feuillus, qui renouvellent leurs feuilles chaque année. Ils peuvent même se remettre à faire des feuilles et repartir à l’automne pour tenter de rattraper le déficit de l’été. Par contre pour les conifères, s’ils parviennent au point où leurs aiguilles grillent, c’est-à-dire si on observe un rougissement, c’est la mort assurée. Ils ne repartiront pas. »

Sécheresse et canicule, scolytes, maladies… Si un résineux rougit ou perd ses aiguilles, il ne repartira pas.
Lire aussi le reportage : « Comment les arbres peuvent mourir de soif »

Virginie Monatte : vu du terrain

Virginie Monatte est gestionnaire forestière. Elle intervient sur des forêts du Livradois-Forez, et pratique la sylviculture irrégulière à couvert continu, une approche de la gestion forestière durable et favorable à la biodiversité.

« C’est un peu tôt pour dire si ces canicules vont avoir des conséquences importantes, notamment pour les sapins qui vont mettre un ou deux ans à réagir à un coup de chaleur et à être éventuellement attaqués par les scolytes. Certes on est par nature inquiets… mais sans l’être vraiment. D’abord parce qu’en altitude, les arbres ont sans doute moins souffert qu’en plaine. Et surtout parce que nous pratiquons la sylviculture mélangée à couvert continu, méthode qui protège davantage la forêt de ces aléas. Nous travaillons beaucoup avec les dynamiques naturelles et les arbres sont très résilients.

En altitude, comme ici dans le Livradois, les forêts ont moins souffert de la canicule.

Donc certes on reste attentifs mais sans paniquer. On sait que ces épisodes vont être de plus en plus fréquents et qu’il faudra mélanger encore plus, apporter davantage de feuillus sur certaines parcelles. Mais c’est notre travail quotidien.

« Nous connaissons les parcelles fragiles, donc on les surveillera d’un peu plus près. »

En fait, cet été m’a moins inquiétée que celui de 2023. Cette année, lors de la première canicule, les nappes d’eau étaient encore très chargées donc ça s’est plutôt bien passé. Au mois d’août, c’était peut-être plus sévère, des arbres ont perdu leurs feuilles, mais pour les feuillus, c’est un moyen de défense qui fait partie de leur résilience.

Nous connaissons les parcelles fragiles, donc on les surveillera d’un peu plus près. On va regarder comment elles repartent au printemps. C’est là qu’on verra un peu mieux s’il y a des difficultés. »

A suivre dans une semaine : « Quelles fragilités dans les forêts en Auvergne ? »

Entretiens réalisés par Marie-Pierre Demarty, entre le 15 et le 24 septembre 2025. Photos Marie-Pierre Demarty. À la une : un pan de forêt en souffrance sur les coteaux près de Saint-Babel, fin août.

Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif

Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.

Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :

La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail

Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?

Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.