Le ciel repeuplé

Rassurez-vous (ou pas), je ne vais pas vous parler de spiritualité. Mais de vie sauvage.

La chronique mensuelle de Marie-Pierre Demarty

La fin avril est une période que j’aime beaucoup, car avec les températures un peu plus douces, je profite un peu plus de ma terrasse. Ce qui me permet de guetter leur arrivée. D’année en année, je suis toujours un peu plus impatiente.

Et puis un certain mardi, elles sont là.

Fonçant en piqué, virages spectaculaires, remontée vers le débord du toit de la mairie le temps de déposer une brindille, puis repartant en petites escadrilles hyperactives et désordonnées… Qui a dit que l’hirondelle ne fait pas le printemps ?

Ma terrasse étant à la hauteur du toit de la mairie, je suis aux premières loges. Spectacle permanent durant tout l’été.

Et pas seulement celui des hirondelles.

Symphonie printanière

Il y a aussi la visite quotidienne du milan. Lui, il est resté dans les parages en hiver, mais plus discret (ou est-ce moi qui sortait moins sur ma terrasse ?). Il vient tournoyer au-dessus du village, inspecteur des petites charognes à débarrasser. Puis il opère une incroyable ascension en colimaçon avant d’aller rôder plus loin, majestueux planeur lancé sur des kilomètres d’un paresseux battement d’ailes.

Et puis il y a le premier arrivé. Le premier de la saison – il est là depuis la mi-mars – et le premier levé le matin, qui ne manque pas de le faire savoir. Ce minuscule freluquet qui ne manque pas d’aplomb, c’est le rouge-queue. Dès les premières lueurs de l’aube, il se perche au sommet du clocher pour claironner à pleins poumons comme s’il avait mission de réveiller la commune entière. Et croyez-moi, les premières lueurs de l’aube en été, c’est tôt !

Dans les bois et les prairies aux alentours, c’est devenu une véritable symphonie. A ceux qui restent toute l’année se sont joints, là aussi, les migrateurs. Chanteurs, siffleurs, pépieurs, crieurs, mélodistes, roucouleurs, crécelles… Impossible de les citer tous, ni même (pour ma part) de les identifier tous. Mention spéciale, quand même, à notre percussionniste virtuose, le pic épeiche.

La partition est d’une infinie variété, l’orchestration d’une grande richesse.

Leur belle arrogance

Ce moment de l’année où le ciel se repeuple me ravit immanquablement, mais me laisse aussi songeuse. Avec le barouf qu’on fait, les pollutions, les émissions toxiques, les éclairages a giorno, les hécatombes insecticides, la destruction des haies où ils aiment nicher, le dérèglement climatique et toutes nos autres extravagances planétaires, il y a encore une faune sauvage qui vit sa vie, chante à tue-tête, s’affaire à construire son nid, à migrer sans passeport et à perpétuer chacune de ces gracieuses espèces volantes. Dans l’indifférence hautaine à toutes les perturbations que nous leur assénons.

Je ne dis pas qu’ils ne sont pas perturbés en tant qu’espèces, bien malheureusement. Mais en tant qu’individus, ils nous opposent – inconsciemment sans doute – la belle arrogance de leur train-train et de leurs grands voyages. Sans faillir, ils traversent les continents malgré nos obstacles. Ils se permettent même de nous emprunter un rebord de toit pour faire leur nid ou une fontaine pour s’abreuver (ça, ce sont « mes » bergeronnettes).

Même le moineau qui nous chaparde des miettes de sandwich sur les places des métropoles, c’est un peu de vie sauvage qui fait de la résistance.

Ça ne mérite pas un peu de considération ? Un minimum d’égards ? Parce que pour l’instant ils reviennent chaque année. Mais le jour où le ciel restera vide de chants et de battements d’ailes, on sera sans doute pas loin de notre fin aussi. Oui décidément, jusqu’ici tout va bien, mais jusqu…

Au fait, j’en vois un qui n’est pas là…

Mais non, pas d’inquiétude, il lui faut toujours un peu plus de temps pour revenir. Pour la patrouille de France de la gent ailée – je veux parler des martinets – le chemin est long. Je soupçonne les « miens » de passer l’hiver en Tanzanie. Ils en reviennent sans escale, figurez-vous…

Photo de une : le milan qui me fait sa visite quotidienne – Crédit Marie-Pierre Demarty