Oeuf.

Pâques est l’occasion de parler d’œuf. Un mot tout rond, en tout cas ovoïde, à l’orthographe étrange, qui recouvre beaucoup de significations. Et « la douzième va vous étonner » – bien que je me limite à trois dans cette chronique.

Je me suis dit « tiens, si pour une fois je n’étais pas le schtroumpf grognon de service », autrement dit « si je parlais d’un sujet un peu léger et sympa dans ma chronique ». Comme nous sommes le week-end de Pâques, et qu’il faut bien coller à l’actualité, j’avais trois possibilités : l’œuf, la cloche, le lapin (ou l’agneau). J’ai choisi l’œuf, qui m’inspirait plus que les autres ce matin. Et puis l’œuf a une forme symbolique intéressante, en tous cas plus que le lapin – me semble-t-il. Pas vous ? D’accord.

Numéro un : l’omelette

Ou l’œuf à la coque, ou au plat, ou sous toutes ses formes cuisinées. En bon gastronome (j’adore faire la cuisine), et quasi végétarien mais pas complètement non plus, j’ai un faible pour l’œuf en tant qu’ingrédient culinaire. Et même plus que ça : l’œuf est polymorphe et protéiforme, pourrait-on dire. Il s’intègre de bien des façons dans bien des plats, blanc ou jaune ou les deux à la fois, et peut prendre des formes étonnantes selon qu’il soit battu, frit, poché, froid ou chaud, avec de la crème ou de la farine ou des pommes de terre. Je ne suis pas Yves Camdeborde mais j’apprécie ce petit objet pour tout ce qu’il apporte à la cuisine.

En plus, je suis, disons, flexitarien ET un peu sportif. Or, il faut reconnaître que la viande et le poissons apportent des nutriments qu’il faut bien compenser dans une alimentation non carnée. Il y a pas mal de matières végétales qui conviennent à cela (et si vous insistez je vous fais une chronique sur le pois chiche), mais l’oeuf tient la route en matière de protéines. C’est donc, pour moi, un aliment « compromis » mais bien agréable, qui permet d’éviter les animaux morts dans son assiette sans pour autant se transformer en crevette anémique.

Numéro deux : la vie !

L’œuf, c’est la vie. Enfin, le début de la vie. Qu’il se présente avec une coquille minérale ou comme une tache floue dans un livre sur comment on fait les bébés, l’oeuf symbolise le début d’un grand cycle. Il est même situé, par définition, avant la naissance. D’où des débats houleux et dans lesquels je n’interviendrai pas sur « quand commence la vie » quand un petit être est dans l’œuf. Mais la symbolique reste : l’œuf est un potentiel incroyable. Pensez aux diplodocus, les plus grands êtres ayant foulé le sol terrestre, qui ont commencé tout petit et tout gluant. Si on inverse la logique, pensons à tout ce qu’on dit, à voix haute ou dans sa tête, quand on est parent et qu’on tient son enfant nouveau-né dans ses bras (« tu seras astronaute/présidente/ingénieur/pompier/Francis Lalanne, mon enfant [rayez les mentions inutiles] ». Amusant de voir comment on peut se tromper, mais l’œuf reste porteur d’espoir et de projection plus ou moins folle.

Si on glisse sur l’écologie, parce qu’on est dans Tiko tout de même, l’oeuf souligne l’impératif de la vie sur celui de la matière morte, disons minérale et gazeuse. Je simplifie un poil mais c’est pour les besoins de l’analogie : on se prend encore beaucoup le chou avec les gaz à effet de serre, et à raison, mais on sous-estime bien trop le volet du « vivant » dans lequel je range la biodiversité, les habitats naturels et même le cycle de l’eau (qui est un peu entre les deux). Je pense qu’il ne viendrait à l’esprit de plus grand monde de construire un site industriel très polluant et émetteur de CO2, ça serait péché de nos jours. En revanche, bien que les débats soient de plus en plus vifs, il y a encore des projets majeurs qui impactent le vivant et la ressource en eau. Attention, je ne tranche pas sur ce point, je souligne juste que le vivant est, à mon sens, autant voir plus important que la chimie du climat ( et l’humain est partie du vivant ).

Numéro trois : la poule

Bon, ça y est, je suis redevenu schtroumpf grognon. Je vais donc laisser faire (ma) nature en terminant sur un argument de Moëbius, vous savez, celui qui se boucle sur lui-même. Vous êtes prêt(e)s ? Alors, qui a commencé, l’œuf, ou la poule ? Haha. Un œuf sort d’une poule, une poule sort d’un œuf. Dis comme ça, la discussion semble un peu stérile. Appliquons-la à un exemple concret, récent et tout proche : la piste de vélo (en site propre) entre Clermont et Cournon. En cours de construction, elle a fait l’objet d’un post Facebook du maire Olivier Bianchi. Et, donc , de critiques nombreuses d’automobilistes disant, en gros, que deux pelés trois tondus allaient y passer, et que notre argent était foutu en l’air, etc.

Or, la question intéressante derrière ces joutes numériques est bien celle-ci : les infrastructures précèdent-elles l’usage ? Ou est-ce l’inverse ? Voire les deux en même temps, dans une bijection réciproque, voire une sarabande infernale ? Construire une piste comme celle-là représente un investissement important, mobilise des moyens techniques, rend furieux certains autres usagers (pas tous, heureusement) : il faut donc bien réfléchir avant de se lancer dans un tel projet. Le mieux serait de se baser sur les besoins réels des cyclistes, mais combien sont-ils à faire Clermont-Cournon à l’heure actuelle ? Avec le trafic, relativement peu, probablement (en fait je n’ai pas vérifié, j’avoue).

Mais le pari de la collectivité, et des associations cyclistes, est bien que l’infrastructure permettra de sécuriser le trajet et donc, in fine, de développer l’usage. Ergo (de coq) : les cyclistes seront de plus en plus nombreux sur la piste, mais il faudra un certain temps. L’infra précède donc l’usage. En même temps, il faut parier sur le développement de l’usage pour créer des infras. C’est notamment l’objet des nombreux rapports du Shift Project, entre autres, qui nous disent que la mobilité doit se pacifier en ville et même en péri-urbain au profit des piétons, des vélos et des transports en commun (et, non, une voiture électrique n’est pas un « transport doux », désolé).

Il a donc un peu d’œuf dans la poule également. Bon repas de Pâques si vous le prenez ce lundi.

Crédit photo : Daniel Tuttle, Unsplash