Les « entreprises de territoire », modèle de développement économique et coopératif porté par Rachid Cherfaoui

A la tête d’une des plus grandes sociétés coopératives de France et d’un centre de recherche en innovation sociale, Rachid Cherfaoui revient sur son expérience de 30 ans de développement territorial « endogène » et inclusif.

Venez rencontrer Rachid Cherfaoui de passage exceptionnel à Clermont !
Ce mardi 6 décembre à 18h30 à Turing22 pour le lancement de l’association Sens9
>> Inscription gratuite, accès dans la limite des places disponibles <<

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Ressenti de l’auteur

C’est un sigle un peu difficile à prononcer mais que l’on commence à rencontrer sur le territoire : le PTCE, Pôle Territorial de Coopération Economique, permet de rassembler plusieurs acteurs de nature variées autour d’un enjeu de développement local. Ledit projet doit s’inscrire dans l’économie sociale et solidaire, avec une dimension « durable » et locale. Nous bénéficions de plusieurs PTCE en Auvergne, à Billom, à Vichy ou encore à travers le Damier pour les Industries culturelles et créatives – le PTCE étant une labellisation de l’Etat.

Il se trouve que le fondateur d’un des premiers PTCE de France est Rachid Cherfaoui. Rachid est également président de l’Institut Godin, le centre de recherche-action en innovation sociale qui a inspiré le CISCA à Clermont, et où a travaillé Nicolas Duracka que vous avez pu lire dans ces pages. Enfin, Rachid est un entrepreneur avant tout, créateur de nombreuses sociétés dans l’Oise où il habite, et très sensibles aux questions d’insertion et de coopération.

La Maison de l’Economie Solidaire, principale SCIC [Société Coopérative d’Intérêt Collectif] du nord de la France, compte environ 400 salariés et se déploie tous azimuths dans une dynamique collective impressionnante. Rachid va nous en parler dans cet entretien, mais surtout il sera présent sur Clermont ce mardi 6 décembre pour le lancement public de l’association Sens9. Ce sera à 18h30 à Turing22. L’accès est gratuit sur inscription, dans la limite des places disponibles.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Inspiré par le lancement du RMI en 1989, Rachid a créé plusieurs entreprises engagées pour l’insertion et le territoire du Beauvaisis, au nord de Paris, dans les années 1990. L’ensemble devenant plus riche mais aussi plus complexe, il souhaitait structurer le tout avec une organisation transversale : la possibilité de monter une SCIC, une entreprise coopérative, en 2001, a permis le lancement de la Maison de l’Economie Solidaire. Celle-ci regroupe, à travers plusieurs collèges de sociétaires, de nombreux acteurs locaux engagés, publics ou privés. Rachid en est le PDG depuis 2004.
  2. Rachid insiste sur la logique inversée qu’il a appliquée : au lieu de rechercher les « besoins non couverts » du territoire, par une forme de diagnostic, il s’est focalisé sur la création de nouvelles activités à caractère local, accessible et surtout collectif : si la communauté souhaite, dans son ensemble, lancer un « prototype », il devient pertinent, quel que soit le besoin ou le manque associé. Cela fonctionne si les activités nouvelles s’inscrivent dans le cadre d’un projet de territoire, une vision appelée « Demain le Pays de Bray » conçue par les habitants. Enfin, il faut maximiser les espaces de partage comme les tiers-lieux ou les médias.
  3. La notion de PTCE vient dans les années 2010, en lien avec le développement de l’ESS [Economie Sociale et Solidaire] et la loi Hamon. Les initiatives de Rachid sont de nature économique car, pour lui, c’est le principal levier de changement sociétal. Mais il veille à ce que les prototypes créés envisagent autant les échanges marchands que non-marchands, et la redistribution locale. Le cadre du PTCE, avec la reconnaissance de l’Etat, permet cela. Pour autant, Rachid ne revendique pas une étiquette globale ESS, qu’il juge trop politique : il est plus pragmatique, se rattachant au territoire et à la coopération.
  4. L’autre volet important est la dimension recherche-action du PTCE. Rachid se définit lui-même comme un entrepreneur engagé dans la recherche : l’action de la Maison de l’Economie Solidaire, depuis ses débuts, est accompagnée par des chercheurs en innovation sociale. Ce afin d’élaborer des tableaux de bords et des outils de suivi des pratiques solidaires. L’Institut Godin, présidé par Rachid et créé pour ce but (il est basé à Amiens, non loin de son territoire), travaille aussi avec de nombreux autres PTCE en France. Son but est bien de la recherche mais aussi du transfert en innovation sociale : faciliter le déploiement, par la connaissance partagée, de méthodes pour développer une économie locale fondée sur la solidarité et l’éducation populaire.
  5. L’inclusion des élus locaux, absolument nécessaires, dans les PTCE ne se fait pas sans quelques garde-fous. Pour Rachid, l’important est de commencer par des petites collectivités d’une part, mais surtout d’en accueillir les élus à condition qu’ils s’engagent à « faire autrement », c’est-à-dire à ne pas reproduire leurs habitudes de planification budgétaire publique telles quelles. Les prototypes du PTCE, auxquels ils sont conviés à participer en tant que sociétaires, sont alors une occasion de lâcher le contrôle des projets au bénéfice de la communauté.

L’intervenant : Rachid Cherfaoui

Fondateur et PDG de la SCIC Maison de l’Economie Solidaire ; président de l’Institut Godin


Né en 1964, Rachid suit une formation en ressources humaines et lettres modernes. A 26 ans, il se lance dans l’entrepreneuriat, et il est très inspiré par la loi de 1989 instaurant le RMI [Revenu Minimum d’Insertion] : « c’était pour moi une évidence », confie-t-il, « je voulais travailler sur ce sujet. Je trouvais ça digne qu’un pays riche redistribue un minimum à chacun ».

En parallèle, il suit une carrière musicale à titre privé, dans les milieux alternatifs. « J’ai découvert l’auto-organisation de ces mecs qui se voulaient indépendants des grands labels », se souvient Rachid. « La leçon était : si on veut changer les choses, il faut changer les modes de subordination ».

Après un retour aux études en master d’économie à 35 ans, Rachid fonde une série d’entreprises dans le Beauvaisis en 1989, 1992, 1995 … aujourd’hui, il est un serial entrepreneur, lié à la gouvernance d’une douzaine de structures dont plusieurs dans l’insertion professionnelle. En 2004, il comprend qu’il bénéficierait à être présent dans des cercles nationaux pertinents pour le projet local, à une dimension politique. Il devient alors trésorier de la Fédération des Entreprises d’Insertion, membre de l’Avise, du Laboratoire de l’ESS … sans pour autant être élu local, « ce qui peut être contre-productif » reconnaît-il.

Très intéressé par la loi autorisant les SCIC [Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif] en 2001, il décide de créer la Maison de l’Economie Solidaire en pays de Bray en 2004. PDG de cette structure, il en fait la première SCIC du nord de la France avec 400 salariés aujourd’hui. Moteur d’un projet de territoire « Demain le pays de Bray », il développe plusieurs activités en lien avec la nature et l’économie circulaire en passant par l’artisanat, les services à la personne ou aux entreprises.

Le projet se déploye à travers un PTCE [Pôle Territorial de Coopération Economique] dans les années 2010, Rachid en étant l’un des pionniers. Pour assurer un suivi et un soutien de la recherche, il fonde l’institut Godin dédié à l’innovation sociale, dont il devient président.

Contacter Rachid par téléphone (Maison de l’Economie Solidaire) : 03 44 80 25 25

Crédit photo : Rachid Cherfaoui (DR)


Information sur notre prochain événement

La Maison de l’Economie Solidaire est aujourd’hui une des plus grandes SCIC de France. Comment a-t-elle débuté ?

Tout est parti du “Pays de Bray”, un petit territoire dans l’Oise avec 16 000 habitants. J’y vis depuis 1989 et, en tant qu’entrepreneur sensible aux problématiques sociales, je voulais travailler sur la question du RMI et de la “dignité” en général. J’y ai créé une association, puis une entreprise d’insertion en 1992, puis d’autres structures… pour moi, c’étaient des outils qui s’organisaient entre eux.

Au début des années 2000, ces entreprises comptaient une centaine de salariés. Nous avons alors souhaité mieux organiser l’ensemble à travers une structure transversale, pour réunir, sans pour autant se spécialiser sur l’insertion. Il fallait que nos clients, nos fournisseurs, mais aussi les collectivités en fassent partie.

Arrive en 2001 la loi créant les SCIC [Sociétés Coopératives à Intérêt Collectif] : c’était l’idéal pour moi ! Les SCIC pouvaient regrouper toutes les parties prenantes d’un projet, y compris les acteurs publics. Mais il fallait en inventer le relationnel et la gouvernance, pour ne pas être assujettis aux collectivités. 

Lire l’entretien : Pour Nicolas Debaisieux, « le rail a déjà fait ses preuves » sur la transition écologique

La Maison de l’Economie Solidaire [MES] fut la première SCIC constituée dans le nord de la France. Aujourd’hui elle propose des activités d’économie circulaire comme des recycleries, des services à la personne ou aux entreprises, de l’artisanat, des bureaux d’études … et elle anime une Zone d’Activités. J’en suis le PDG depuis 2004, assisté initialement de cinq collèges de sociétaires incluant notamment les salariés et usagers, les collectivités ou encore les entreprises classiques. Petit à petit, on a appris à coopérer.

Tout l’art de la coopération sur un territoire consiste à faire dialoguer, dans la confiance, des acteurs de sensibilité et d’origine différentes. Si l’envie d’un projet est partagée, peu importe le « diagnostic des besoins » selon Rachid : il faut monter le prototype ! / Crédit photo : Maison de l’Economie Solidaire (DR)

As-tu atteint ton but vis-à-vis de l’insertion, et même au-delà ?

Oui, je pense. Il y a eu un changement de paradigme : d’une logique de besoins/réponses sur l’insertion, on a inversé la chose. Désormais, à la MES, on développe de nouvelles activités locales en les rendant accessibles à tous les publics. La clé est de “faire ensemble”, de passer du souhaitable au réel et en expérimentant, on voit que c’est possible !

La clé est de “faire ensemble”, de passer du souhaitable au réel et en expérimentant.

Pour autant, il faut un programme, une vision. C’est l’objet de “Demain, le pays de Bray”, un futur souhaitable basé sur les envies des habitants. Ensuite, on fonctionne par assemblage de ressources locales. C’est une forme de “développement endogène” du territoire : quand on repère un nouvel acteur, on le contacte et on lui propose de rejoindre la MES sur un projet concret. La clé est que les activités développées soient accessibles à tous les publics, particuliers ou professionnels. Et qu’il y ait beaucoup d’espaces de partage, notamment des tiers-lieux et des médias.

Rachid en pleine lecture du « journal du Solidarium ». Il insiste sur l’importance des espaces d’échange physiques (tiers-lieux) ou médiatiques pour favoriser l’interconnaissance et la coopération au sein des PTCE / Crédit photo : Maison de l’Economie Solidaire (DR)

Comment en es-tu arrivé à créer l’un des premiers PTCE [Pôle Territorial de Coopération Economique] de France ?

L’émergence du PTCE s’est faite dans les années 2010. La MES, le fonctionnement entre acteurs, la vision globale marchaient bien. Et on voyait des initiatives similaires ailleurs en France, à Romans, à Figeac, à Loos-en-Gohelle, à Floranges ou encore Lons-le-Saulnier… partout naissaient des “entreprises de territoires”, qui créent des alliances autour de projets locaux.

Lire le dossier : A Loos-en-Gohelle, la transition comme seul avenir possible

On a travaillé avec ces structures engagées pour créer le concept de PTCE. L’idée est que la coopération économique y soit définie par les acteurs locaux, pour créer un prototype qui envisage autant les échanges marchands, les échanges non-marchands et la redistribution. Avec la loi Hamon de 2015, la réglementation nous le permettait, dans le cadre de l’ESS [Economie Sociale et Solidaire].

Justement, comment s’articulent PTCE et ESS ?

Je m’interroge aujourd’hui sur la place de l’ESS dans les PTCE. En “sortie”, dans nos livrables, nous faisons de l’ESS. Mais en “entrée”, je préfère parler de collusion d’acteurs variés, qui ne se reconnaissent pas tous dans l’ESS. Nos points communs, ce sont l’appartenance au territoire, et la volonté de travailler sur un prototype.

L’idée [du PTCE] est que la coopération économique y soit définie par les acteurs locaux.

En outre, certains acteurs politiques aiment les démarches anti-capitalistes, par principe – et notamment certains acteurs de l’ESS. Au début de la MES, une partie des militants Verts voulaient rentrer. Pour eux, cela aurait été un totem idéologique et dogmatique. Cette démarche nous a fait réfléchir sur la notion même d’économie solidaire comme moyen d’agir efficacement.

Dans le processus de partage des idées, l’épreuve du post-it est un classique. Lors du week-end Solidarium du 26 juin 2021, plusieurs ressentis ont ainsi été couchés sur papier, appelant à la coopération / Crédit photo : Maison de l’Economie Solidaire (DR)

Quels sont les facteurs clé de succès d’un PTCE ?

J’ai déjà évoqué : la diversité des acteurs engagés, le lien territorial et la construction d’un prototype. Également, l’accessibilité à tous des démarches et des résultats. J’insiste sur le changement de posture : il faut partir des ressources disponibles auprès des participants à un PTCE, et créer avec eux ! Pour ce faire, l’espace de coopération doit être bien repéré par tout le monde, afin de susciter la confiance et parvenir à faire différemment du développement économique classique.

Je dirais donc que la clé, c’est la coopération. A travers l’investissement dans le prototypage, on passe de partenaires à coopérateurs, et on prend des parts dans la SCIC. C’est autre chose que la dimension militante de l’association : ici, on apporte quelque chose de personnel pour faire autrement, de manière explicite. L’objectif est de lever les freins.

Il faut partir des ressources disponibles auprès des participants à un PTCE, et créer avec eux !

En outre, les mécanismes du capitalisme doivent y être tempérés par le fait de garder les bénéfices dans la structure. Et les parts sociales ne sont pas rémunératrices. Tout cela concourt à mettre en avant davantage le processus de création de valeur commune, que la finalité d’investissement marchand.

L’incubation en est un bon exemple : nous accompagnons l’émergence de 12 projets innovants au sein du PTCE – sur les déchets du bâtiment, avec 40 acteurs locaux intéressés ; dans le textile ; ou encore pour l’aide technique au secteur médical. Quand on passe à l’échelle avec la pré-industrialisation sur ces projets, le risque est toujours réel mais il est mieux accepté car les enjeux sont partagés au sein du PTCE.

Le concept d’économie circulaire, et notamment de recyclerie ou de réemploi de matériaux, émerge fréquemment à partir des envies des habitants. Ici, en marge du week-end d’idéation Solidarium du 26 juin 2021, organisé par la Maison de l’Economie Solidaire / Crédit photo : Maison de l’Economie Solidaire (DR)

Le PTCE est donc résolument un “objet économique”, plus que social ou écologique…

Il est tout cela à la fois, mais je suis convaincu que l’économie est le levier le plus puissant de transformation. C’est pourquoi on a voulu s’en saisir en premier, en travaillant sur le partage de la valeur. Je dirais même que la MES a été fondée sur un idéal : celui d’un juste équilibre entre les trois pôles que je citais, les échanges marchands, non-marchands, et la redistribution. D’ailleurs, la dimension non-marchande y est fondamentale : nous avons 80 coopérateurs qui l’éprouvent tous les jours !

Je suis convaincu que l’économie est le levier le plus puissant de transformation.

Prenons l’exemple de la recyclerie que nous avons développée. Quand l’idée a émergé, on voulait en faire un business. Mais sans le faire tout seul ! On est donc allé voir des acteurs du territoire, des pharmaciens, des distributeurs… rapidement, le projet a pris cette dimension non-marchande et redistributive. Il est devenu un objet économique appartenant à tout le monde. Si on prend garde à ce qu’aucun acteur ne s’accapare ces projets, ça a toutes les chances de fonctionner…et de ce développer.

Comment relies-tu la dimension recherche aux PTCE ?

Ma démarche est celle d’un entrepreneur engagé dans la recherche. Tout ce qu’on a fait à partir de la MES a été accompagné par les chercheurs en innovation sociale, ce qui nous a notamment permis de construire des tableaux de bords de nos pratiques solidaires et d’innovation avec les acteurs des territoires participants.

Les PTCE sont donc des espaces de recherche et développement en innovation sociale. Ils s’articulent en trois phases : d’abord, définir la problématique du territoire et les acteurs engagés ; ensuite, faire un état de l’art des réactions face à cette problématique ; enfin, étudier les meilleures manières de lever les freins.

Ma démarche est celle d’un entrepreneur engagé dans la recherche.

Avec le temps, nous avons senti le besoin de créer un centre de recherche et de transfert en innovation sociale, l’Institut Godin, dont je suis président. Son but est de produire de la connaissance et de la méthode pour développer une économie fondée sur la solidarité. Notez qu’on ne parle explicitement ni d’ESS, ni même de résilience : on étudie l’ensemble des “pratiques solidaires” dans l’économie. Personnellement, je préfère parler d’éducation populaire, ça me convient bien. 

Les « makers » étaient à l’honneur du week-end Solidarium du 26 juin 2021, organisé par la Maison de l’Economie Solidaire accompagnés par le cabinet l’Equipage. Ici, un atelier partagé de couture, favorisant rencontres et partage de compétences / Crédit photo : Maison de l’Economie Solidaire (DR)

Mais les acteurs économiques ont-ils le temps de se placer dans une logique de recherche ?

On le fait à travers un grand séminaire tous les trois ou quatre ans, où on prend de la hauteur et où on interroge nos pratiques. Nous sommes bien sûr accompagnés par les chercheurs de l’Institut Godin : lors de ces temps d’échange, on regarde la différence entre ce qu’on a tous produit, et un projet économique plus traditionnel. 

Cela nous permet de dire “on a capté l’économie à notre manière, et on l’a remise à disposition du territoire.” Pour moi, c’est de la conscientisation : quand on a des preuves du bon fonctionnement, on cherche à leur donner du sens. C’est pour ça qu’il faut mobiliser la recherche pour étalonner une science, car on a toujours plus de questionnements.

Lire l’entretien : Pour Nicolas Duracka, le CISCA doit « valoriser et mettre à disposition les solutions existantes »

Comment les élus locaux appréhendent-ils le PTCE ?

Il faut dire au préalable que la notion de “confiance” n’a pas la même signification vis-à-vis d’un simple citoyen ou d’une collectivité. En 2008, après le krach boursier, on est allé voir les élus en leur présentant le projet et en les invitant à nous rejoindre. Mais on leur a aussi dit que les habitudes de planification publique n’allaient pas fonctionner dans ce cadre ! On leur a donc demandé de s’engager à “faire autrement”. Pour cela, il vaut mieux commencer par des petites communautés de communes avant de viser plus haut.

On a capté l’économie à notre manière, et on l’a remise à disposition du territoire.

Je prends l’exemple d’une crèche mise en place à Belle-Eglise, dans le Pays de Bray. Au début, les élus venaient en “mode client”. Ils n’avaient pas réalisé eux-mêmes la crèche, ça leur semblait trop compliqué dans leur approche classique. On a travaillé avec eux sur leurs attentes : ils voulaient faire émerger un écosystème serviciel autour d’une crèche qu’ils envisageaient près de l’école maternelle.

Rachid (à droite) en présence d’acteurs économiques et d’élus locaux sur l’Oise. Selon lui, le dialogue avec les collectivités est bien sûr indispensable à condition qu’elles s’engagent à « faire autrement » et à ne pas reproduire leurs habitudes de planification publique / Crédit photo : Maison de l’Economie Solidaire (DR)

Et on leur a proposé une approche différente : utiliser une grande parcelle, dans laquelle la crèche deviendrait la première brique d’un éco-quartier. La collectivité est ainsi devenue coopératrice de la MES, et on a travaillé tous ensemble à ce nouveau projet. Il respectait bien l’usage final – accueillir les tout-petits – mais de manière différente.

En général, les élus ont peur de la coopération. Ils ont du mal à “faire autrement”. Car, parfois, ça ne marche pas ! Et cela implique de se départir de son contrôle sur les choses. Pour les aider à changer, il faut leur faire prendre conscience de leur intérêt particulier à aller vers le collectif.

Lire l’entretien : Avec Jean-François Caron, la transition des collectivités se construit ensemble

As-tu un moyen de mesurer, au final, l’impact social de tes actions ?

On a pris beaucoup de recul sur les notions d’évaluation et d’impact. Personnellement, je n’ai pas à justifier le bien-fondé de ce que je fais. Car, dans la MES, on répond d’abord à nos envies, et pas forcément à des “besoins non couverts” ! Du moment que cette envie est partagée au sein du collectif, elle devient pertinente. Et on sort le prototype qui lui correspond.

Dans la MES, on répond d’abord à nos envies, et pas forcément à des “besoins non couverts” !

Cela éloigne la question habituelle du diagnostic de territoire en amont. Je pense que c’est trop “techno”, de vouloir d’abord scanner, mesurer les besoins ou les manques, mettre un chiffre partout. On s’en fout ! Et, par conséquent, la question de l’impact, en tant qu’évaluation en sortie, ne se pose plus. Pour moi, l’impact serait le renforcement de l’auto-détermination et de la capacité d’agir des acteurs. A la fin de nos projets, si tout le monde est encore présent dans le collectif, c’est gagné.

Pour aller plus loin (ressources proposées par Rachid) :
Agir – « Faites société » dit Rachid. « Si quelqu’un a la même envie que vous, allez le rencontrer. Plus on sera différent en agissant ensemble, plus ça marchera. »
Venez rencontrer Rachid Cherfaoui de passage exceptionnel à Clermont !
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Propos recueillis les 20 octobre et 18 novembre 2022, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Rachid. Merci à Nicolas Duracka et à Laura Gantier. Crédit photo de Une : Maison de l’Economie Solidaire (DR)