Le retour à la terre d’Henri Landes et de Fanny Agostini

Ruralité, résilience, spiritualité, agriculture … le couple fondateur de Landestini agit tous azimuths pour un rééquilibrage de la vie en faveur des campagnes


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Mon ressenti

Comme beaucoup de personnes dans ce petit monde de l’écologie auvergnate, je connaissais Fanny et Henri (d’abord Fanny, car plus médiatisée) comme le loup blanc … sans jamais avoir vu de loup blanc. Après un premier contact lors de l’inauguration de la Ferme Urbaine de Clermont, en tant que projet Landestini, en octobre dernier, j’ai creusé mon petit trou de souris et nous avons pu nous rencontrer.

Et pas n’importe où : dans leur ferme de Boisset (nord de la Haute-Loire, entre Neptune et Pluton). « C’est loin mais c’est beau » disait Jacques Chirac. Je pense que cette citation s’applique parfaitement à ce petit village, que je n’ai pas trouvé sans difficulté. Néanmoins, c’est un endroit magnifique, qui illustre ce paradoxe étonnant présenté par Henri et Fanny : un retour à la terre assumé, dans toutes ses dimensions, une volonté de ralentir, de se protéger du monde extérieur … et en même temps un besoin d’action, de pédagogie, de partenariats et d’accompagnement à travers Landestini.

Sous un très beau soleil de fin mars, nous avons échangé sur leur vision du monde, à l’aune de leur implantation relativement récente en Auvergne. Nous avons ensuite préparé une soupe paysanne, avec les produits du potager. Je suis reparti ragaillardi sur la possibilité de vivre un pied dans la nature, un pied dans la société.

Il m’a ensuite été fait part de critiques du modus operandi de Landestini vis-à-vis de certaines associations ESS : une approche trop directive, en un mot. Difficile à vérifier quand on n’est pas au coeur des projets … mais je comprends qu’il puisse s’agir d’une différence de « vitesses de fonctionnement« . Dans le monde de l’ESS, Landestini est aujourd’hui un acteur associatif conséquent, avec sa douzaine de salariés, son fonds de dotation, ses organes de gouvernance variés, la volonté organisationnelle d’un Henri formé aux Etats-Unis dans le sport de haut niveau, et l’aura médiatique d’une Fanny qui a été et qui est toujours une figure au sein de grandes chaînes nationales. Je ne travaille pas avec eux bien sûr, mais j’imagine que ça dépote. Et que de plus petits acteurs locaux peuvent avoir du mal à s’adapter à ce rythme, alors même que leurs valeurs sont similaires.

Mon opinion reste cependant que le travail de tous ces acteurs, à différents niveaux, et même avec différents « braquets », est nécessaire. Et que, si un peu d’huile dans les rouages ne peut faire de mal, l’action transversale d’une structure comme Landestini, fortement incarnée dans ses fondateurs Fanny et Henri, est un atout considérable pour notre région.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Installés dans une ferme à Boisset, en Haute-Loire, depuis 2019, Fanny et Henri ont choisi de quitter la vie parisienne proche des médias et des grands acteurs institutionnels. Leur « retour à la terre » est assumé, et apprécié : ils vantent une vie au contact direct avec la nature, bénéficiant de leur propre production vivrière, évoluant à un rythme plus sain … ce qui leur rappelle constamment l’importance des enjeux de préservation du vivant, dans une logique d’urgence écologique et de risque systémique croissant à court terme.
  2. En parallèle, et c’est là un paradoxe de complexité qu’ils assument également, ils continuent à piloter la structure Landestini qu’ils ont montée : une association à but non lucratif, couplée à un fonds de dotation, pour accompagner par différents projets la transition écologique des territoires ruraux. Leur action se déroule principalement en Auvergne : sur des publics variés, principalement jeunes scolaires et agriculteurs, Landestini forme des personnes « mieux préparées pour l’avenir », par petites touches. Dans l’accompagnement des entrepreneurs, le but est aussi de créer des emplois utiles, en lien avec les territoires.
  3. Personnalité des médias nationaux, ancienne présentatrice de l’émission Thalassa, Fanny confirme que son « retour » aux sources (elle est née en Auvergne) a donné plus de cohérence au message qu’elle porte. Si elle continue à participer à certains tournages, pour l’occasion délocalisés en Auvergne, elle passe la grande majorité de son temps à l’entretien de la ferme familiale avec Henri et à l’animation de Landestini. Henri, lui, estime avoir bénéficié de ses jeunes années aux USA où il a pratiqué le tennis de haut niveau. Ayant réalisé l’ampleur des enjeux écologiques par la suite à Sciences Po Paris, il a pu entrer au contact d’acteurs de la ruralité lors d’un salon de l’Agriculture à Paris.
  4. Henri insiste cependant sur les valeurs d’humilité et de coopération qui sont, selon lui, au coeur de Landestini. Il nous décrit une gouvernance très horizontale, où plusieurs organes de conseil ou d’administration permettent de confronter les points de vue, et où les collaborateurs salariés bénéficient d’une grande autonomie décisionnelle. Lui-même n’est salarié qu’aux 3/4 du SMIC et Fanny est bénévole, afin de conserver le caractère d’intérêt général. Henri insiste aussi sur les très nombreux partenariats avec des acteurs territoriaux variés, notamment associatifs, et regrette un manque de compréhension de la manière d’agir de Landestini auprès de certaines structures locales.
  5. Aujourd’hui, le travail de Landestini auprès des acteurs locaux porte sur la valorisation des territoires ruraux, notamment à travers l’accompagnement de filières en cours de structuration. Fanny et Henri sont convaincus des atouts de l’Auvergne, préservée d’une trop grande « modernisation » dans les années 60, et qu’il convient de préserver … tout en redynamisant le monde des campagnes, beaucoup trop impacté par l’exode rural. Pour cela, Henri parie sur les élus des petites collectivités, proches du terrain mais aussi courroies de transmission très efficaces vers les sphères décisionnaires parisiennes. L’objectif de Henri et Fanny : rééquilibrer la donne en faveur du monde rural, dans une logique de transition écologique et de reconnexion avec le vivant.

Les intervenants : Fanny Agostini et Henri Landès

Co-fondateurs, directeurs et animateurs de l’association Landestini


Fanny est auvergnate d’origine, née à Beaumont mais très proches de sa famille basée à la Bourboule, où elle a appris à travailler la terre et à l’aimer. Elle accède par la suite à une carrière télévisuelle à succès, sur BFM TV puis à France 3 où elle présente l’émission Thalassa. Aujourd’hui, elle participe encore à la chaîne Ushuaïa TV, qui appartient au groupe TF1.

Henri, lui, est né aux Etats-Unis. Après un début de carrière dans le tennis de haut niveau, il s’installe en France et passe à Sciences Po Paris où il découvre l’importance des enjeux climatiques. Un temps membre du cabinet de Claude Bartolone puis directeur de la fondation Good Planet, il rencontre Fanny en 2015.

Tous deux se marient puis, lors de leur voyage de noces au Canada, rencontrent un couple qui a quitté une vie « corporate » pour s’occuper d’une ferme en Colombie Britannique. C’est le déclic : en rentrant en France, Fanny et Henri décident de déménager de l’Ile de France à l’Auvergne. Ils trouvent rapidement une ferme en Haute-Loire, à Boisset, et s’y installent.

C’est désormais leur « camp de base » pour des actions pédagogiques mais aussi pour le travail de Landestini, l’organisation-cadre de leur action sur le territoire. En complément de ce travail, Henri et Fanny participent à la réalisation de quelques contenus littéraires ou télévisuels, donnent des cours à Sciences Po Paris (pour Henri) et animent des événements autour de la transition écologique pour des collectivités territoriales. Ils ont un enfant de deux ans.

Contacter Henri et Fanny par courrier électronique : henri.landes.landestini [chez] gmail.com

Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

La structure : Landestini

Organisation composée d’une association loi 1901 et d’un fonds de dotation, travaillant sur la transition écologique et la valorisation des territoires ruraux, principalement en Auvergne


Co-fondée et dirigée par Fanny Agostini et Henri Landès (Henri étant directeur salarié), Landestini est leur « outil opérationnel » principal, selon leurs propos. L’organisation, axée autour d’une association loi 1901 à but non lucratif, permet de réaliser la quasi-totalité des actions au service de la transition écologique des territoires en Auvergne, principalement des territoires ruraux.

Landestini – avec sa douzaine de salariés et ses nombreux partenariats locaux – oeuvre ainsi beaucoup en direction des jeunes et des scolaires (avec des programmes éducatifs autour de l’alimation), mais aussi vers les agriculteurs en détresse, les entrepreneurs locaux, les sportifs … L’action passe par le déploiement de dispositifs en lien avec les collectivités locales, dont beaucoup de petites communes rurales, des TPE/PME, des associations et autres structures engagées.

L’association Landestini est complétée par un fonds de dotation du même nom, permettant d’accéder à des financements privés mais aussi d’aider directement certaines associations du territoire autour de projet concrets – par exemple, le co-financement de l’achat d’un terrain par le CEN Auvergne en vue de protéger une zone humide, ou la reprise de l’activité de la Ferme Urbaine de Clermont.

Voir le site web de Landestini

Crédit visuel : Landestini (DR)


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“La terre est notre destin”, c’est le slogan de Landestini … avec un petit ou un grand “t” ?

Henri : les deux, forcément. D’abord la terre sur laquelle on marche : nous devons nous y reconnecter, à ce sol, à cette biodiversité, mais aussi aux personnes qui la travaillent et qui en vivent. Si on vise une société résiliente, il faut prendre soin de ce qui nous nourrit.

Mais, au-delà de l’agriculture, la terre nous fait du bien. Ici, chez nous, dans notre ferme à Boisset [en Haute-Loire], on aime marcher pieds nus dans l’herbe, passer du temps en forêt, même en cours de journée entre deux rendez-vous. On ne peut pas vivre sans être lié à un écosystème.

Si on vise une société résiliente, il faut prendre soin de ce qui nous nourrit.

Henri Landès

Fanny : la nature nous fait du bien autant biologiquement que spirituellement … moi, je suis née dans le Puy-de-Dôme, j’ai, très jeune, mis la “main à la pâte” dans le jardin de mon grand-père. Je suis devenue accro ! C’est dans un jardin que je me sens le mieux. Et je suis convaincue qu’un retour à la terre sera bénéfique pour tout le monde.

La vue depuis la ferme de Fanny et d’Henri à Boisset, dans la Haute-Loire. Le bout d’un monde / Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

Henri, tu parles de société résiliente : est-ce un objectif pour votre action commune ?

Henri : la résilience, c’est selon moi la capacité de vivre de manière responsable – et donc durable – à la fois dans le monde rural et dans le monde urbain. Mais, surtout, en étant heureux et adaptable. Je cite souvent Darwin : les espèces évoluent pour pouvoir s’adapter. L’humain doit en faire autant.

La nature nous fait du bien autant biologiquement que spirituellement.

Fanny Agostini

Au fond, tous les projets que nous menons ensemble et avec nos équipes sont extrêmement plaisants. Parce que ce sont des outils qui visent à connaître et à faire des choses essentielles : produire de la nourriture, entretenir la biodiversité, régénérer le vivant, aider les entrepreneurs et les agriculteurs … et nous déconnecter d’un trop-plein technologique.

Fanny : nous pensons que les dix années à venir risquent d’être sacrément difficiles, avec une hausse de la souffrance de l’humanité et des inégalités. Les moins bien armés, les moins bien préparés, seront les plus impactés. Et j’ai peur pour ces personnes-là, qui ne se doutent pas de ce qu’il peut arriver, voire qui y sont hermétiques.

Lire l’entretien : Pour Nicolas Duracka, le CISCA doit “valoriser et mettre à disposition les solutions existantes”

Henri : nous sommes passionnés, mais cartésiens et pragmatiques. On croit à l’écologie intérieure, aux valeurs humanistes de bienveillance et de coopération. Mais, si on ne passe pas concrètement à l’action, on sera frustré. C’est ce pourquoi nous agissons à travers Landestini et nos autres activités.

Quel est alors le but premier de Landestini ?

Henri : je dirais qu’il s’agit d’éduquer et d’aider les jeunes … et les moins jeunes, tout au long de la vie … à cette approche du vivant et de la société résiliente. On cherche à faire évoluer, par petites touches et à notre niveau, le concept d’éducation. C’est très ambitieux, mais si on y arrive, même un peu, c’est une vraie panacée pour moi !

Fanny : Landestini souhaite toucher le public dans les petites écoles, notamment rurales, qui n’ont pas accès à ces niveaux de “connaissance”. On ne changera pas la face du monde, mais ça donnera toujours des jeunes mieux préparés pour l’avenir.

Henri : notre premier programme éducatif s’appelait “Champions de l’Alimentation Durable”, et nous l’avons monté avec l’école primaire de Boisset, notre village en Haute-Loire, et deux lycées en Auvergne. Aujourd’hui, nous accompagnons 35 établissements scolaires en Auvergne, de la maternelle au lycée.

Les poules de la ferme de Boisset, championnes de l’alimentation durable (tous les déchets alimentaires y passent) / Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

Visez-vous d’autres publics, avec d’autres actions ?

Henri : ce que l’on fait dans le milieu scolaire est nécessairement de la pédagogie. Mais, pour autant, nous ne souhaitons pas tout vulgariser ni simplifier ! Il faut, au contraire, embrasser la complexité, expliquer les nuances, prendre le temps de comprendre et de parler …

C’est pour insister sur ce point que Fanny travaille directement auprès des journalistes, notamment via le Climate Bootcamp qu’elle organisait à la Bourboule. Ainsi, elle met sa notoriété au service de la transition écologique, et elle parvient à attirer plusieurs représentants de média qui sont en première ligne pour porter les bons messages au public.

Il faut embrasser la complexité, expliquer les nuances, prendre le temps de comprendre et de parler …

Henri Landès

Nous travaillons aussi avec des sportifs, amateurs ou de haut niveau, pour reconnecter la nature à la santé par le sport éco-responsable. Enfin, nous souhaitons créer des emplois et des activités économiques durables : c’est pourquoi nous accompagnons des entrepreneurs, jeunes et moins jeunes, en reconversion professionnelle. C’est le cas des agriculteurs en Auvergne, notamment dans le Cantal où nous avons implanté [à Aurillac] un incubateur qui leur est dédié. On veut ainsi aider des agriculteurs en souffrance, endettés, à accéder à une économie durable et locale.

Lire l’entretien : Entreprendre Pour Apprendre pousse les jeunes à expérimenter entrepreneuriat et transition écologique

Comment s’articulent les deux structures que vous gérez, l’association et le fonds de dotation ?

Henri : l’association Landestini, à but non lucratif (qui s’appelait initialement “Terriens d’Abord”) est la structure qui agit sur le terrain. Elle héberge la quasi-totalité de nos salariés. J’en suis directeur salarié aux ¾ du SMIC, et je fais partie du C.A. en même temps que Fanny et que deux autres personnes, bénévoles.

Le fonds de dotation Landestini est pensé pour compléter l’association. Il permet de lever plus facilement des fonds privés, mais aussi de soutenir d’autres associations. Nous l’avons fait, par exemple, avec Femmes du Monde, Panse-Bêtes et le CEN Auvergne pour des actions ciblées. Egalement, au bénéfice de la Ferme Urbaine de Clermont, avant que celle-ci n’intègre Landestini en 2021.

Ce sont donc deux structures qui sont conçues pour servir la même cause, bien que ce soit l’association qui est en première ligne. Certes, il y a plus de travail administratif, mais c’est avantageux pour obtenir les moyens nécessaires et les utiliser sur le terrain.

Vous êtes bien sûr très complémentaires : Fanny, comment résumes-tu ton apport à l’action que vous menez ?

Fanny : ce qui aide, surtout, c’est que je suis une enfant du pays. Revenir vivre sur sa terre natale, après des années passées sur Paris, a beaucoup de sens pour moi mais aussi pour les autres. On serait restés vivre à Issy-les-Moulineaux, notre discours n’aurait pas du tout la même portée ! Auprès des agriculteurs, des jeunes, et surtout des collectivités.

On serait restés vivre à Issy-les-Moulineaux, notre discours n’aurait pas du tout la même portée !

Fanny Agostini

Henri : Fanny et moi avons pris un risque en se lançant à la fois dans les projets média, associatifs, et dans la construction d’une famille … nous avons créé de la complexité pour nous. Mais nous l’assumons, nous l’embrassons même, et nous faisons de notre mieux dans tous les domaines. Fanny, elle, est simple, elle ne se la ramène pas : elle préfère passer deux heures à soigner un renardeau chez l’association Panse-Bêtes [une clinique pour animaux à Chamalières] qu’être sur un plateau télé. Je vois sa passion sans limite pour l’agriculture et notre jardin potager – qui ne cesse de s’agrandir ! – car elle y passe tout le temps qu’elle peut. 

Lire le reportage : La permaculture Marazzato, entre potager prolifique et résilience alimentaire

Comment gères-tu ta carrière médiatique depuis votre ferme en Haute-Loire ?

Fanny : je fais de l’ajustement constant, et Henri aussi : nous avons appris à renoncer à plusieurs choses en venant vivre ici. Mais aussi à s’ajouter du travail : le potager, les animaux, le déploiement de la Fondation Landestini … sans parler de notre fils qui a bientôt deux ans …

J’ai aussi beaucoup “élagué”. Car je ressentais trop de dissonance. Tous mes tournages ont ainsi été ramenés en Auvergne, puis dans la Haute-Loire : ce sont les équipes de TF1 [pour Ushuïa TV, NDLR] qui se déplacent, désormais ! 

Nous avons appris à renoncer à plusieurs choses en venant vivre ici.

Fanny Agostini

Cela me permet de limiter les déplacements au minimum, et de me concentrer sur ce qui est utile et impactant. Les tournages télé, c’est bien pour l’image, mais ça ne rapporte pas tant que ça. C’est pourquoi nous avons développé d’autres prestations [hors Landestini], comme de la modération de débats pour des collectivités et entreprises.

Au fond, je n’ai plus envie d’être pressée, de vivre avec un point de côté. Et le calendrier de la nature s’impose à nous désormais. En avril, plus de tournage, car c’est la période des semis !

Quant à toi, Henri, comment complètes-tu l’approche de Fanny ?

Henri : moi, je suis méticuleux dans l’organisation. J’ai énormément appris aux Etats-Unis, où je suis né, en essayant de percer dans le monde du tennis professionnel. Le sport de haut niveau une salle de classe incroyable pour la vie ! Tu apprends à transformer tes émotions en une force, à condition de les maîtriser.

Cela dit, cette évolution que nous vivons est d’abord individuelle – chacun son parcours. Mais c’est un bonheur de le faire à deux, car on est forcément différents. D’autant plus que, avec Fanny, on travaille ensemble tout en menant notre vie privée et familiale.

Je souhaite vivre ici, avec mon épouse et mon fils, les animaux de la ferme, le “vivant” autour de moi, et travailler sur des projets en Auvergne.

Henri Landès

Aujourd’hui, je souhaite vivre ici, avec mon épouse et mon fils, les animaux de la ferme, le “vivant” autour de moi, et travailler sur des projets en Auvergne. Là, nous allons déjeuner, cet après-midi je vais travailler sur l’ordinateur, peut-être aller une ou deux heures dans la forêt avec mon fils … c’est mon moyen de ne pas ressentir de dissonance. 

Sur le plan professionnel, j’adore travailler au service du vivant. Ce que j’aime le plus c’est de travailler avec les équipes Landestini et les acteurs sur le terrain. Je peux le faire en plus avec ma femme, je ne vois pas comment dessiner une plus belle aventure. 

Henri me fait visiter la ferme de Boisset. Potager, poules, moutons … la vie du couple se répartit de manière fluide entre l’entretien de la ferme et l’action auprès des partenaires, via Landestini ou en direct / Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

A quels moments de vos carrières avez-vous pris conscience de l’urgence écologique ?

Fanny : pour moi, c’était quand je suis passée de BFM TV à la présentation de Thalassa en 2017. Je sortais d’un studio en lumière artificielle pour venir au grand air … et je me suis rendue compte que j’en manquais, de cet air pur, de la nature, d’un rythme humain, moins parisien. Je me suis dit que cette vie [d’avant] était mauvaise pour ma santé !

Henri : ma prise de conscience climatique a eu lieu en 2011, quand j’étais étudiant à Sciences Po Paris. J’y participais à des simulations de négociations sur le climat – j’avais 23 ans à l’époque. Je me suis rendu compte qu’on allait se casser la figure, sociétalement parlant. Et j’ai créé l’association CliMates avec des copains étudiants, pour sensibiliser ces jeunes aux enjeux climatiques.

Plus tard, en 2014, je travaillais au cabinet de Claude Bartolone quand il était président de l’Assemblée nationale, et j’ai participé au salon de l’agriculture. J’y ai découvert la ruralité, même à travers le “spectacle” qu’est cet événement : ça m’a permis de discuter avec des agriculteurs pour la première fois, de mieux comprendre leurs problématiques. Je suis depuis passionné par la ruralité et le monde agricole.

Lire l’entretien : Regeneration veut “pré-financer la transition agro-écologique de millions d’hectares”

Comment êtes-vous arrivés en Auvergne ?

Henri : nous nous sommes rencontrés avec Fanny en 2015, et mariés en 2018. Lors de notre voyage de noces, nous sommes allés au Canada, faire du woofing dans une ferme en Colombie Britannique. C’était notre dernier voyage “longue distance” ! Nous y avons été accueillis par un couple épatant, un ancien trader et une ex-directrice développement durable dans une grande boîte. Tous deux avaient changé radicalement de vie en reprenant leur ferme. 

Ce n’est pas si difficile de changer, quand tu l’as décidé

Henri Landès

Pour nous, cette expérience de deux semaines a “enfoncé le clou” d’une volonté de bifurcation. A l’époque, je m’occupais de la fondation Good Planet, Fanny était à Thalassa. Elle disait “allons nous installer dans une ferme !” pour rigoler … sauf qu’on sentait une frustration de vie, au-delà de notre épanouissement professionnel.

Et nous avons sauté le pas. Ce n’est pas si difficile de changer, quand tu l’as décidé … deux mois après notre retour du Canada, nous avions trouvé la ferme à Boisset et bouclé le déménagement.

Quelle est votre vision du territoire auvergnat ?

Fanny : l’Auvergne est aussi magnifique que pleine de ressources sur les plans écologique et humain. Nous le voyons parce que nous travaillons en direct avec de nombreux acteurs locaux. Il y a quelques jours, j’étais ainsi à Neussargues [dans le Cantal] pour animer une soirée sur la thématique de la conservation des prairies naturelles avec le syndicat local de l’eau. Cela nous a amené à travailler sur la structuration de la filière viande bovine d’excellence.

L’Auvergne, isolée mais préservée / Image par Patrick Busson de Pixabay

Avec cet exemple, je pense que les territoires auvergnats – car il y a beaucoup de formes de ruralités – disposent de tous les outils pour développer des filières locales en circuits courts. Dans le cas de la viande bovine, il y a les éleveurs bien sûr, les abattoirs, la biodiversité nécessaire, et même la production de fourrage pour engraisser en local.

Henri : l’Auvergne n’a pas souffert de la transformation urbaine ou industrielle massive qui a impacté d’autres territoires après la guerre. Ce qui était un handicap dans les années 1960 est aujourd’hui un atout considérable ! Il faut capitaliser là-dessus, mais aussi protéger notre environnement.

Lire l’entretien : Selon Olivier Tourand, “certaines cultures n’auront plus leur place”

Certaines associations redoutent une approche trop “descendante” dans leur relationnel avec Landestini. Comment réponds-tu à ces interrogations ?

Henri : je pense que nous ne fonctionnons pas du tout comme cela. Nos valeurs sont celles de l’humilité, de l’engagement territorial et de la coopération. Fanny et moi travaillons sans compter nos heures pour favoriser la transition écologique en Auvergne. Nos salariés sont décisionnaires sur de nombreux sujets opérationnels et stratégiques à court ou moyen terme. Nous fonctionnons en collégialité avec eux, avec notre C.A., mais aussi nos comités stratégique ou de développement qui regroupent plusieurs personnalités et experts du territoire.

Nos valeurs sont celles de l’humilité, de l’engagement territorial et de la coopération.

Henri Landès

Au-delà de Landestini, nous sommes en partenariat avec de nombreuses collectivités locales, parfois des petites communes rurales. C’est le meilleur moyen de soutenir la redynamisation des territoires ruraux ! Nous travaillons aussi avec des TPE et PME, des artisans, des agriculteurs … la preuve dans la boutique Landestini. Enfin, nous accompagnons des entrepreneurs de tous les âges.

Et, bien sûr, nous avons développé de nombreux projets avec les associations et les acteurs du territoire auvergnat : ceux que nous avons soutenus par le fonds de dotation et que j’ai déjà cités, mais aussi le Valtom, le REEA, le CPIE, le CISCA, Rural Combo, l’Ophis, le Secours Populaire … 

Henri et Fanny, aux côtés de Dominique Briat, ont inauguré la « nouvelle vie » de la Ferme Urbaine de Clermont en octobre 2021, quand cette dernière a été intégrée à Landestini / Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

Je comprends que nous avons une capacité médiatique importante, mais je peux garantir que nous ne sommes pas élitistes. Landestini a le statut d’intérêt général et nous faisons tout pour le conserver. Comme je l’ai dit, Fanny est bénévole et je suis salarié à ¾ du SMIC, donc nous bénéficions très peu des financements obtenus. C’est pour cela que nous avons d’autres activités à côté pour compléter notre modèle économique familial.

Quel est le projet Landestini à Issoire qui porterait sur une “aire d’autoroute” ? De quoi s’agit-il ?

Henri : nous n’avons pas de projet concernant une aire d’autoroute au sens classique ! A Issoire, nous travaillons sur un espace de 5 hectares qui sera dédié à la production agricole biologique, à la pédagogie sur l’alimentation durable, avec des angles restauration, coworking, promotion d’acteurs durables du territoire … tout cela occupera un bâtiment éco-responsable sur un hectare environ, plus le reste du terrain.

Toute l’action de Landestini a pour but la valorisation des territoires ruraux dans le cadre de la transition écologique.

Henri Landès

Celui-ci étant, en effet, situé en bordure d’autoroute, l’idée est que le projet puisse bénéficier autant aux habitants du pays d’Issoire qu’aux personnes de passage sur l’A75. Mais ce n’est en aucun cas une aire d’autoroute avec de la restauration classique ou de la vente de carburants ! C’est sans doute dû à une mauvaise compréhension, mais j’insiste : toute l’action de Landestini a pour but la valorisation des territoires ruraux dans le cadre de la transition écologique. Jamais nous ne travaillerons en faveur des énergies fossiles, pour ne citer qu’elles.

Henri, te sens-tu en phase avec le monde politique ?

Henri : je sais de par mon expérience que l’on trouve des femmes et des hommes avec de belles valeurs et de beaux engagements dans le monde politique. Comme on y trouve des personnes qui ont succombé aux travers de la politique politicienne.

Mais je me refuse à caricaturer les politiques de tout bord ! Je tiens à travailler avec des belles personnes pour mettre en œuvre des beaux projets. Je veux juste avancer. Je ne suis pas très favorable au métier de “responsable politique” tout au long d’une vie, car cela favorise des postes sans expérience terrain. Je pense, au contraire, que tout le monde devrait faire plusieurs choses dans sa vie. C’est pourquoi “responsable politique” est un engagement, pas un métier. 

Les élus locaux peuvent faire remonter les sujets du terrain au national.

Henri Landès

Je vois aussi une énorme différence entre les élus locaux – surtout les élus municipaux qui font tout pour leur commune sans se préoccuper des guerres de partis – et les élus au niveau national. Et je suis très reconnaissant du travail mené par les petites collectivités territoriales rurales. 

Dans une France hyper-centralisée, les élus locaux, notamment les maires ruraux, peuvent faire remonter les sujets du terrain au national. Le “cumul des mandats” [député-maire par exemple] peut poser des problèmes démocratiques, mais c’est vrai que c’est aussi une courroie de transmission très utile pour des territoires ruraux qui ont souvent été délaissés.

Lire l’entretien avec Marion Canalès : “Comment Clermont Métropole peut-elle impulser un nouveau modèle ?”

Et quel est l’enjeu principal pour la ruralité de demain, selon vous ?

Fanny : il faut relier les deux mondes, celui de la ville et celui de la campagne … mais dans une dynamique de revalorisation de la ruralité. Quand on vit là où nous sommes, on se rend compte que l’exode rural a engendré un déséquilibre phénoménal : pour les habitants, mais aussi pour les petites entreprises, les services publics, les commerces qui sont partis … 

Il faut relier les deux mondes, celui de la ville et celui de la campagne … mais dans une dynamique de revalorisation de la ruralité.

Fanny Agostini

Henri : aujourd’hui, la très grande majorité de l’effort de réflexion et de prospective porte encore sur les villes. Tu recherches “ville durable” sur internet, tu trouves des tonnes de ressources ; tu recherches “campagne durable” … rien. La preuve : les choix, les moyens politiques, financiers, institutionnels, se font en faveur des Métropoles.

C’est pourquoi on est convaincus que le rééquilibrage doit se faire au profit de la ruralité. Dans le cadre d’une reconnexion avec le vivant.

Contenus complémentaires proposés par Fanny et Henri:
Pour comprendre – le fameux livre « Sapiens » de Yuval Noah Harari, « un historien qui explique comment l’humanité s’est déconnectée du monde physique malgré son adaptation » – mais aussi les oeuvres de Michel Odent sur les naissances, et une approche mêlant sciences, agriculture, biodiversité, sociologie …
Pour agir – Faire pousser un potager. Pour Henri, « c’est essentiel car on prend plaisir, on peut le faire n’importe où, même un bac sur un trottoir avec du terreau et des graines … c’est le fait de faire pousser qui est capital, de reproduire le miracle de la vie« 
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Propos recueillis le 24 mars 2022, mis en forme pour plus de clarté et relu et corrigé par Henri. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie