La farine de vers d’Invers, ingrédient agro-écologique et de développement territorial

Source de revenus complémentaires pour les agriculteurs, base alimentaire, intrant … la farine de vers dispose de nombreux atouts que souhaite exploiter la start-up auvergnate Invers.


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Les principaux points à retenir

  1. Les règles du commerce mondial spécialisent des continents entiers sur la production agricole. Pour l’élevage, les protéines végétales sont cultivées principalement en Amérique du Sud, puis importées en Europe qui se concentre par ailleurs sur les céréales. Ce système est délétère d’un point de vue environnemental, empêchant une rotation des cultures avec de l’élevage, et favorisant les intrants minéraux qui appauvrissent grandement les sols. Sans parler de l’impact de la pèche minotière pour les protéines de poisson aussi dédiées à l’élevage.
  2. Sur ce constat, Sébastien Crépieux et Stéphanie Cailloux ont fondé Invers, pour re-circulariser et re-localiser la production de protéines dédiées à l’élevage, tout en réduisant l’impact environnemental. Basé sur l’agro-écologie, le projet Invers consiste à exploiter la farine de vers, faciles à élever et à transformer, pour la production d’alimentation animale mais aussi de compost.
  3. L’ambition des fondateurs porte même au-delà de l’aspect industriel. Sébastien parle d’une filière durable de l’alimentation protéique à base d’insectes, et souhaite apporter un revenu complémentaire aux agriculteurs partenaires. Invers pourra ainsi les aider à mettre en place des ateliers d’élevage de vers, utilisant les co-produits agricoles, produisant du compost naturel … et générant des emplois.
  4. Le projet est ainsi soutenu par de nombreux acteurs de l’écosystème d’innovation auvergnat et régional, ainsi que par la BPI France. Il bénéficie ainsi de l’expérience de Sébastien et de Stéphanie dans le montage et l’accompagnement de projets entrepreneuriaux innovants.
  5. L’entreprise vise une forte accélération pour 2022. Si ses produits finis sont principalement de l’ordre de l’alimentation d’animaux de compagnie à ce jour, Sébastien espère atteindre des volumes de production suffisants pour prendre pied dans la filière d’élevage en aviculture et en pisciculture. La clé, pour ce faire, réside dans les partenariats avec les agriculteurs.
  6. Au final, le projet Invers relève d’une approche résiliente, déjà parce qu’il s’agit de travailler à l’autonomie protéique nationale ou européenne, mais aussi parce que les fondateurs espèrent participer à la transition du modèle agricole, notamment en favorisant une production/consommation de viande avec moins de volume et plus de qualité.

La structure : Invers

Start-up basée à Saint-Ignat (63) et développant des solutions de production protéiques pour l’agriculture et l’élevage à partir de farines de vers


Sur le principe de l’alimentation animale durable et de l’agro-écologie, Invers propose des solutions d’alimentation animale (des animaux de compagnie à, à terme, des animaux d’élevage) basées sur la farine de vers. Les nombreuses propriétés protéiques de ce matériau de base en font un produit facile à cultiver et transformer.

Mais le modèle d’Invers ne se résume pas à une ligne droite production -> commercialisation : l’entreprise met en avant sa participation active à une filière agricole innovante dans laquelle les exploitants agricoles disposeraient d’un revenu complémentaire en élevant eux-mêmes des vers de farine, en utilisant leurs « co-produits » comme le son de blé, et en s’insérant dans un système d’économie circulaire vertueux.

L’entreprise, née en mars 2018, est dirigée par ses co-fondateurs, Sébastien Crépieux et Stéphanie Cailloux. Elle a son site principal – son démonstrateur – à Saint-Ignat, dans la Limagne riomoise, et a développé un réseau de partenariats avec de nombreux agriculteurs auvergnats, mais aussi des acteurs de l’écosystème d’innovation et des institutionnels.

Voir le site web d’Invers

L’intervenante : Stéphanie Cailloux

Directrice, directrice administrative et financière d’Invers


Master en Science et Master en Gestion d’entreprise, Stéphanie possède une expérience dans différentes start-ups en tant que Directeur Financier et Manager de Programmes Européens.

Stéphanie a ensuite rejoint un cabinet de conseil dédié aux sciences de la vie et a soutenu le financement et le management de projets collaboratifs (5ème et 6ème PCRD, ANR). Puis elle a intégré l’incubateur d’entreprises BUSI, où pendant 7 ans, elle a soutenu plus d’une trentaine de projets et accompagné la création d’une quinzaine de sociétés en sciences de la vie.

De Novembre 2015 à Juin 2019 elle a rejoint Innopain en tant que Directrice Déléguée où elle a eu en charge le management et le financement du plan de développement de la société.

Actionnaire fondateur d’Invers, elle est aujourd’hui directeur des opérations et apporte son expérience dans le management et le financement de l’innovation.

Contacter Stéphanie Cailloux par e-mail : stephanie.cailloux [chez] invers.fr

Crédit photo : Invers (DR) ; crédit texte : Invers (DR)

L’intervenant : Sébastien Crépieux

Président, directeur scientifique et technique de Invers


Ingénieur-Docteur en Agronomie (AgroParisTech, Ing. 2000, Dr. 2004), Sébastien possède différentes expériences professionnelles à l’INRA, dans le Groupe Limagrain et à la Commission Européenne.

En 2007, il crée la société innovante PlantDesign en Belgique, spécialisée dans les murs végétaux, qui devient leader sur le marché du BeNeLux à partir de 2012. Il revend PlantDesign en 2015 en vue d’une réinstallation en France avec sa famille. Il crée alors Agricologie, bureau d’étude centré sur l’innovation en agriculture et la transition agro-écologique.

C’est suite à une mission en 2016 sur le montage du Laboratoire d’Innovation Grandes Cultures (LIT) avec le groupe Limagrain et différents acteurs du monde agricole de la région Auvergne (www.litgca.com) que le projet de développement d’une nouvelle filière agricole autour des insectes pour l’alimentation animale est né, dans une approche d’économie circulaire et de durabilité. Le projet sera porté au sein d’Agricologie jusqu’à la création de INVERS en Mars 2018. Sébastien est actionnaire fondateur d’Invers.

Contacter Sébastien Crépieux par email : sebastien.crepieux [chez] invers.fr

Crédit photo : Le Connecteur (DR) ; crédit texte : Invers (DR)


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Sur quel constat écologique s’est bâti Invers ?

Sébastien : sur le fait que seul le végétal peut construire de la protéine, à partir de l’azote du sol et du carbone de l’air. En aval, toutes les filières d’élevage ont besoin de ces protéines. Notamment chez les bovins, que l’on peut considérer comme des “convertisseurs de prairies”. Mais aussi pour le porc ou le poulet, qui ont des régimes alimentaires plus variés.

Néanmoins, la filière de ces protéines est basée sur des zones de production mondiales, fixée par les accords de l’OMC : en Europe, les céréales, et en Amérique, les protéines pour l’élevage. C’est aberrant ! Parce que ça empêche quasiment la polyculture-élevage, qui est un système assez classique de rotation des sols et qui est un bon moyen d’apporter les nutriments.

Les accords de l’OMC empêchent quasiment la polyculture-élevage.

Sébastien Crépieux

Le monde de l’élevage bovin et ovin est donc, au global, très dépendant de protéines importées d’Amérique du Nord, mais aussi de protéines de poissons issues du golfe du Mexique ou de l’Atlantique, et souvent issues de pêches peu durable – ce sont les tristement fameuses “usines sur mer” de la pêche minotière.

Au large du Chili (photo) comme dans beaucoup d’océans et de mers du monde, la pèche minotière a un impact majeur sur les écosystèmes marins / Photo domaine public

Et comment souhaitez-vous y répondre ?

Sébastien : nous nous insérons dans la filière existante de l’élevage en France. Et nous y apportons une valeur ajoutée en lien avec des besoins de naturalité, de proximité, de réglementation … car toute notre action est pensée dans un cadre européen, celui de “l’autonomie protéique”. Le vrai challenge sera de se remettre à produire, massivement, de la protéine végétale en Europe !

Quelle inscription revendiquez-vous dans les “courants” de l’agriculture durable ?

Sébastien : j’avais depuis longtemps un vrai intérêt pour le monde agricole, et pour les start-ups – j’ai travaillé longtemps avec les Auvergne Business Angels. En 2016, après avoir passé quelques années à l’étranger, je m’étais donné six mois pour faire un état des lieux des enjeux de l’agriculture française. Ma conclusion : la seule voie possible pour l’avenir, compte tenu des contraintes économiques, sociales et environnementales, et l’agro-écologie.

Comment définis-tu l’agro-écologie ?

Sébastien : Je dirais qu’il s’agit de la “médecine chinoise” de l’agriculture : faire en sorte que tout le contexte soit bon, dans le lien avec l’environnement, le respect des rythmes naturels, la présence de biodiversité … mais l’agro-écologie repose beaucoup sur le suivi et le contrôle, et c’est une pratique très individualisée, nécessitant une connaissance approfondie des écosystèmes.

La seule voie possible pour l’avenir est l’agro-écologie

Sébastien Crépieux

Parlez-nous du lancement du projet Invers …

Sébastien : le 1er juillet 2017, la réglementation européenne autorise l’usage des farines d’insectes pour alimenter les poissons d’élevage. Ça a été un vrai déclic. D’autant plus que près de 40% de la pêche mondiale est consacrée … à l’alimentation de la pisciculture ! Il fallait mettre fin à ce délire.

De là a germé l’idée d’une offre basée sur les principes de l’agro-écologie, visant à structurer une filière durable de l’alimentation protéique à base d’insectes. Mais, plus largement, nos objectifs sont d’apporter des revenus complémentaires aux agriculteurs, d’optimiser les flux et de recréer de la polyculture-élevage.

Lire l’entretien : selon Olivier Tourand, « certaines cultures n’auront plus leur place »

Stéphanie : j’avais accompagné des projets de start-up au sein de l’incubateur BUSI, dont certains portaient sur les insectes dans l’agriculture. Ce sujet m’intéressait depuis longtemps ! Et j’avais envie d’y participer, d’être dans la concrétisation.

Sébastien avait posé toute la base d’Invers quand nous nous sommes rencontrés fin 2017. Depuis, je travaille sur le financement du projet, et sur la structuration de son développement.

A Saint-Ignat, « au coeur de la Limagne » pourrait-on dire, le bâtiment pilote d’Invers ne paye pas de mine. Mais il abrite les premières ressources de production et de développement de l’entreprise / Crédit photo : Invers (DR)

Aujourd’hui, comment impactez-vous le monde agricole ?

Sébastien : Invers, c’est déjà une quinzaine d’emplois créés et grâce aux ateliers d’élevage qui vont s’implanter sur le territoire. Et potentiellement autant d’emplois au sein des ateliers. 

Nous offrons au monde agricole une voie de diversification au travers de l’élevage d’insecte.

Stéphanie Cailloux

Stéphanie : ces ateliers permettent de conduire nos larves de vers de farine à maturité en partenariat avec les agriculteurs. Nous leur fournissons les micro-larves qu’ils élèvent, puis nous réceptionnons leur récolte que nous transformons en produits finis. Ainsi, nous offrons au monde agricole une voie de diversification au travers de l’élevage d’insecte.

Et quels produits proposez-vous à la vente ?

Stéphanie : aujourd’hui, nous proposons des produits pour la grande consommation, comme nos croquettes pour chats, chiens, mais aussi des granulés pour les poissons d’ornement et tout une gamme à base de vers de farine pour les oiseaux du ciel et du jardin. Pour développer ces produits, nous travaillons avec des partenaires locaux comme SAGA Nutrition à Courpière. 

Mais demain, nous irons vers l’objectif principal : fournir un ingrédient durable pour les filières d’élevage en aviculture et en pisciculture.

En 2021, les principaux produits « finis » d’Invers sont dédiés à l’alimentation animale, notamment avec des croquettes et des granulés / Crédit photo : Invers (DR)

Justement, comment voyez-vous l’avenir à court terme ?

Sébastien : nous sommes dans une phase d’accélération. La preuve de concept est terminée, le process fonctionne – c’est ce qu’on voit sur notre site principal. Le lien avec la filière est aussi opérationnel. Il faut maintenant prendre de l’ampleur, montrer qu’on peut produire des volumes conséquents à des tarifs adaptés pour l’usage de l’insecte dans les filières. 

Notre objectif principal : fournir un ingrédient durable pour les filières d’élevage en aviculture et en pisciculture.

Stéphanie Cailloux

C’est tout l’objet des partenariats avec les agriculteurs. Pour cela, nous devons soutenir cette phase d’accélération et renforcer notre capital avec des acteurs qui partagent notre vision. 

Comment se passe le développement d’Invers dans le Puy-de-Dôme ?

Sébastien : nous bénéficions d’un écosystème très bienveillant ici : exploitations et exploitants agricoles, financement de l’innovation, relations avec la Région ou la BPI [Banque Publique d’Investissement] … dans notre présentation du projet, nous disons simplement qu’il s’agit de « l’écosystème qu’il faut” !

De par mon expérience, je ne connaissais que les écosystèmes start-up des grandes villes comme Paris ou Bruxelles. Dans ces mégalopoles, tu n’es qu’un numéro … alors qu’ici, en Auvergne, tu peux connaitre tout le monde ! A condition de ne pas décevoir les gens, ils vont t’aider dans ton projet. Mais il faut être fiable.

En présence du préfet et du sous-préfet de Riom, visite du bâtiment Invers le 12 mai 2021, l’entreprise venant d’être lauréate France Relance – à gauche, Stéphanie Cailloux et Sébastien Crépieux / Crédit photo : Invers (DR)

Stéphanie : la Région Auvergne-Rhône-Alpes, en particulier, croit vraiment dans notre projet. Pour eux, cela représente un vivier d’emplois, une solution innovante, un levier de développement territorial et de maintien de la ruralité.

Dans quelle mesure votre projet s’inscrit-il dans une logique d’économie circulaire ?

Sébastien : l’agriculture a toujours été circulaire ! Elle utilise beaucoup de “co-produits”, comme de la laine de mouton, des carcasses, du fumier bien sûr … et notamment en France. Il y a traditionnellement peu de déchets dans ce monde-là.

En Auvergne, à condition de ne pas décevoir les gens, ils vont t’aider dans ton projet.

Sébastien Crépieux

Concernant Invers, nous utilisons le “son” de blé, qui est l’enveloppe du grain comprenant la fibre et les protéines. L’avantage de ce co-produit, si je puis dire, est qu’il est mal assimilé par les organismes en élevage. En revanche, les insectes en raffolent ! On en fait donc l’élément principal d’une nouvelle chaîne de valeur, en circularité avec les agriculteurs qui eux-mêmes produisent le blé.

Valorisez-vous d’autres “déchets” agricoles ?

Sébastien : oui, nous pouvons utiliser des légumes abîmés issus du maraîchage ou des drêches de brasseries artisanales – sachant que les grandes brasseries, avec des processus plus industriels, optimisent déjà ces déchets.

80% des sols agricoles sont extrêmement appauvris du fait de l’usage systématique des intrants minéraux artificiels

Sébastien Crépieux

Et, bien sûr, il y a les déjections de nos insectes. Pour les céréaliers, cela peut représenter un fertilisant naturel particulièrement intéressant. Pour rappel, 80% des sols agricoles sont extrêmement appauvris du fait de l’usage systématique des intrants minéraux artificiels. En Limagne, les chiffres sont meilleurs car le terrain était très qualitatif (un ancien marais) et exploité depuis “seulement” trente ans … mais, en Beauce, le sol est presque biologiquement mort. D’où notre volonté d’agir au plus vite.

Dans le bâtiment principal d’Invers, les casiers renferment des milliers – voire davantage – de larves en pleine croissance / Crédit photo : Invers (DR)

Voyez-vous Invers comme un projet favorisant la résilience territoriale ?

Sébastien : oui dans la mesure où nous aidons les agriculteurs à changer vers plus d’autonomie, au moins au niveau national. S’il y a demain une fermeture des frontières pour n’importe quelle raison, et qu’on ne peut plus importer de protéines venant d’Amérique du Sud, la moitié des élevages français fermeront boutique.

En même temps, il ne s’agit pas de produire les mêmes volumes ici qu’outre-Atlantique. Nous pensons que l’objectif est de produire de la viande pour des consommations plus limitées, deux à trois fois par semaine, et très qualitative. Car c’est ce qui pourra maintenir la filière et moins impacter l’environnement. Dans le même ordre d’idées, nous espérons que l’on pourra se passer de farines de poissons d’ici cinq ou six ans.

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Propos recueillis le 11 octobre 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Stéphanie et Sébastien. Crédit photo de Une : éditeur