Jean-Paul Cuzin, des « petits cailloux » aux projets ambitieux de la transition

Le maire de Beaumont porte plusieurs initiatives, d’une ferme urbaine à la mutation du circuit de Charade en tant que conseiller départemental. Retour sur sa vision de la transition.


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Pourquoi cet article ?

Comme chaque mois depuis mars, je vous propose un entretien transversal sur la transition écologique et la résilience territoriale vue par un des maires de Clermont Auvergne Métropole.

Cap sur Beaumont pour ce mois de novembre. Après avoir découvert la ferme urbaine de Vallières lors de son « inauguration » (dans le cadre de la reprise par Landestini), j’ai pu échanger avec l’équipe de la Fondation sur les liens grandissants avec d’autres projets de maraichage urbain. Une poignée de kilomètres plus loin, le projet porté par la ville de Beaumont allait prendre forme.

Cela m’a poussé à faire la rencontre de son maire, Jean-Paul Cuzin, qui m’a reçu au Conseil Départemental. Nous avons pu échanger pendant une heure sur sa vision de la transition écologique, qui m’a semblé axée sur des projets relativement emblématiques comme la ferme urbaine mais aussi la mutation du circuit de Charade, qu’il accompagne depuis 2017.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Après une longue carrière industrielle chez Michelin, Jean-Paul Cuzin affirme miser sur l’ingéniosité humaine pour dépasser les blocages et les écueils posés par le changement climatique. S’il évoque autant les « petits cailloux » que les « grands projets ambitieux » – notamment ceux qui concernent le monde économique – il met en avant plusieurs initiatives relativement importantes qu’il a lancées.
  2. Le projet qui fait l’actualité de la transition écologique à Beaumont est donc la constitution d’une « ferme urbaine » de 4 hectares environ, sur une zone de culture historique proche de l’Artière. En partenariat avec Landestini, Job Agglo et les Jardiniers d’Auvergne, le maire de Beaumont souhaite en faire autant un espace de production raisonnée qu’un lieu pédagogique et patrimonial.
  3. Si la fourniture en produits alimentaires « ultra-locaux » des écoles et des CCAS est la première priorité, Jean-Paul Cuzin espère que ce lieu permettra une vraie sensibilisation des habitants de sa ville aux enjeux de la transition, notamment par une forme de « transfert de compétences » : les Beaumontois pourront, au contact des représentants de Landestini, améliorer leurs talents de jardiniers – la ville comptant beaucoup de potagers privés autour de l’Artière.
  4. Sur la mobilité, outre l’amélioration des axes en mobilité douce et une perspective d’utilisation de l’emprise du « périphérique ouest » de Clermont, la fierté de Jean-Paul Cuzin est d’avoir initié la mutation du circuit de Charade vers les nouvelles mobilités. En 2017, en tant que Conseiller Départemental, il convainc Jean-Yves Gouttebel de lancer le Charade Electric Festival et de créer deux sociétés dédiées à la propulsion hydrogène. Une énergie qu’il estime être la plus porteuse d’avenir pour la mobilité.
  5. Ces grands projets ne peuvent, cependant, pas être menés à bien sans un soutien important de collectivités comme le Conseil Régional, en lien avec des financements de l’Etat ou de l’Europe. Cependant, il insiste aussi sur l’apport d’ingénierie qui peut s’avérer capital, notamment à travers les initiatives menées depuis plusieurs années par le Conseil Départemental et aujourd’hui focalisées dans le Master Plan.
  6. A ce titre, Jean-Paul Cuzin a choisi de faire adhérer sa commune – parmi les pionnières – à la « Fabrique Départementale des Transitions« . Il s’agit d’un réseau de collectivités sur le Puy-de-Dôme qui partagent leurs pratiques et mutualisent leurs ressources pour faire avancer l’enjeu de la transition écologique. Elles sont en cela accompagnées par le CD63 mais aussi par la Fabrique des Transitions, structure nationale portée par Jean-François Caron.

L’intervenant : Jean-Paul Cuzin

Maire de Beaumont depuis 2020 ; conseiller départemental du Puy-de-Dôme depuis 2015


Jean-Paul Cuzin a passé la majorité de sa carrière dans l’industrie, en l’occurrence 38 ans chez Michelin – son dernier poste étant directeur du site de Ladoux. Il y a « constaté la prise en compte de la mobilité dans son ensemble comme enjeu existentiel » et a été témoin de l’évolution de l’entreprise vers les matériaux recyclables et l’économie circulaire. Cela lui a donné une confiance dans « l’ingéniosité humaine pour dépasser les blocages », notamment écologiques.

En binôme avec Anne-Marie Picard, il est élu Conseiller Départemental du canton de Beaumont en 2015. Ce canton incluant le circuit de Charade, Jean-Paul Cuzin s’intéresse à la mutation du site et convainc Jean-Yves Gouttebel, alors président du Conseil Départemental du Puy-de-Dôme, de miser sur les nouvelles mobilités. S’en est suivi le Charade Electric Festival et la création de deux sociétés dédiées à l’hydrogène, Jean-Paul Cuzin étant chargé de mission pour ce projet au Conseil Départemental.

Enfin, il est élu maire de Beaumont en 2020. Son principal projet environnemental consiste en l’aménagement d’une zone maraichère proche de l’Artière, en partenariat notamment avec Landestini.

Crédit photo : service communication, Ville de Beaumont (DR)


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Comment résumeriez-vous votre approche des enjeux écologiques ?

J’ai principalement fait ma carrière dans l’industrie, avec 38 ans passés chez Michelin – mon dernier poste étant directeur du site de Ladoux. Là-bas, j’ai vu cette entreprise s’emparer du sujet de la mobilité vertueuse, s’orienter vers l’économie circulaire, les matériaux recyclables …

Je dirais donc que l’on peut toujours compter sur l’ingéniosité humaine pour dépasser les blocages et les menaces. C’est pourquoi je crois en une croissance économique, en tant que production de richesses, respectueuse de l’environnement. A condition d’y appliquer une intelligence collective, et de s’y consacrer pleinement.

Quel est alors le projet environnemental beaumontois que vous mettez en avant ?

Je suis maire depuis 2020. Après mon élection, j’ai repris une idée déjà identifiée mais en la concrétisant : la création d’une “ferme urbaine” sur une zone de culture historique non loin du stade de l’Artière. En effet, il y avait pendant longtemps de la production viticole et arboricole sur Beaumont. Elle était complétée par la population qui, majoritairement ouvrière, travaillait à l’usine et exploitait sa parcelle en jardinage.

On peut toujours compter sur l’ingéniosité humaine pour dépasser les blocages et les menaces.

Aujourd’hui, la population évolue bien sûr, mais la ville reste relativement “populaire”. Quant aux anciennes parcelles cultivées, beaucoup sont désormais abandonnées et se couvrent de ronces. C’est notamment pour cela qu’avec mon équipe, nous souhaitions y faire quelque chose.

Beaumont, avant et après. En 1831, le vignoble beaumontois couvrait 263 hectares de la commune, les terres labourables, prés et pâtures (62 hectares), les vergers (25 hectares). Aujourd’hui, la vigne occupe moins de 10 hectares. / Crédit visuel : ville de Beaumont (DR)

Comment avez-vous procédé pour sécuriser le foncier ?

L’acquisition foncière par la ville était déjà engagée depuis longtemps, mais sans qu’il y ait de projet derrière. C’était surtout une réserve foncière qui avait été constituée, en complément de la protection de la nature et du caractère non constructible de ces zones – l’Artière, voisine, les rendant pour partie inondables.

Le projet de ferme urbaine, aujourd’hui, couvre donc près de deux hectares en propriété directe de la ville et deux autres hectares en complément avec des acteurs privés, soit quatre en tout. Néanmoins, nous allons pouvoir démarrer l’activité avec seulement un hectare et demi.

La zone maraîchère va être créée sur le lieu-dit La Ronzière, près du complexe sportif de l’Artière. Pour l’instant, le site accueille un pigeonnier contraceptif. / Crédit visuel : ville de Beaumont (DR)

Quels sont les partenaires locaux qui vous accompagnent dans ce projet ?

Le principal est la fondation Landestini. Ils ont une vraie expérience du sujet de l’agriculture urbaine, notamment avec la ferme urbaine de Vallières, toute proche. A Beaumont, ils vont travailler le terrain en permaculture, mais sans y inclure d’élevage dans l’immédiat. L’objectif est d’y produire du maraîchage “raisonné”, sans label particulier … si ce n’est le “made in Beaumont” !

Nous travaillerons aussi, dès janvier 2022, avec Job’Agglo qui réalisera le défrichage du site. Ce sera un chantier d’insertion, idéal pour une préparation “à la main” de la terre. Pour moi, c’était capital d’éviter l’emploi de grosses machines qui retournent complètement le sol ! L’esprit du projet n’en sera que mieux respecté.

L’objectif est d’y produire du maraîchage “raisonné”, sans label particulier

Enfin, les Jardiniers d’Auvergne nous ont aidé à identifier des espèces “historiques” d’arbres fruitiers. Ils vont ainsi prélever des greffons de pommiers, de poiriers et de pruniers, qu’ils réimplanteront dans l’Espace Naturel Sensible de la Châtaigneraie.

Fanny Agostini signe la convention sur trois ans pour la création d’une zone maraîchère, en présence de Henri Landès (à droite) et de Damien Pessot (à gauche) / Crédit visuel : service communication, ville de Beaumont (DR)

Vous parlez d’un espace de production maraîchère …

Oui, tout à fait. L’objectif de la ferme urbaine est de la production de légumes, puis de fruits, pour alimenter en priorité les écoles et le CCAS [Centre Communal d’Action Sociale] de Beaumont. Du côté des scolaires, il y aura un aspect pédagogique : expliquer comment pousse une carotte, ça permet de faire passer beaucoup de messages !

Nous participerons aussi à l’élaboration d’une filière de conservation des légumes, en lien avec la fondation Landestini.

Lire l’entretien : pour Jean-Pierre Buche, « le PAT veut montrer que la transition est possible »

Mais envisagez-vous d’autres usages pour la ferme urbaine ?

Le site sera ouvert au public. Je pense que l’on pourra permettre aux habitants, jardiniers amateurs, d’acquérir une certaine technicité : n’oublions pas qu’il y a beaucoup de jardins familiaux et de potagers autour du “chemin vert” [proche du magasin Botanic, NDLR].

La ferme urbaine sera donc un endroit ouvert, et qui possèdera une vertu patrimoniale : il y aura des murs anciens en pierres sèches, des cabanes de jardiniers que l’on conservera et que l’on valorisera. Cela mettra en lumière un aspect peu connu de l’histoire de la ville. J’espère que la nouvelle population de Beaumont y sera sensible !

La convention entre la ville de Beaumont et Landestini prévoit notamment tout un volet pédagogique. Cette année, deux classes des écoles de la ville bénéficient d’interventions des membres de l’association / Crédit visuel : service communication, ville de Beaumont (DR)

Une autre thématique qui vous est chère est la mobilité. Quelle est la situation de Beaumont à cet égard ?

Notre ville a une configuration topographique assez particulière : 400 hectares environ, donc plutôt petite, assez dense, avec un versant le long de l’Artière et de la départementale … De par notre emplacement en entrée de Clermont, nous attirons beaucoup de flux de transit, notamment vers le CHU.

Or, sur Clermont Métropole, je pense que nous sommes vraiment en retard sur la mobilité douce. Les voies cyclables “temporaires” posées durant le confinement l’ont été en catastrophe, et de manière discontinue. Aujourd’hui, le schéma cyclable est plutôt un bon outil, à condition de bien accompagner les communes intéressées.

Sur Clermont Métropole, je pense que nous sommes vraiment en retard sur la mobilité douce

C’est pourquoi, dans le cadre de la consultation Inspire du SMTC, nous avons proposé avec cinq communes du sud-ouest métropolitain l’utilisation de l’emprise du “périphérique ouest” pour créer un axe de mobilité partagée et fluidifier les déplacements.

Lire l’entretien : pratique, culture et système vélo, selon Serge Fabbro

Vous êtes aussi à l’origine de la mutation du circuit de Charade …

En effet, avant d’être maire, j’étais depuis 2015 élu du canton de Beaumont [au Conseil Départemental]. Celui-ci compte sur son territoire le circuit de Charade. Avec mon binôme Anne-Marie Picard [maire de Ceyrat, NDLR] nous avons constaté que le passé glorieux du circuit n’empêchait pas un impact trop négatif sur l’environnement.

Le Conseil Départemental étant propriétaire du circuit de Charade, nous avons pu convaincre Jean-Yves Gouttebel, alors son président, d’en faire un “démonstrateur” sur les nouvelles énergies de la mobilité.

C’est ainsi qu’est né le Charade Electric Festival. J’en étais chargé de mission au Conseil Départemental. Mon travail a notamment consisté en la création de deux sociétés privées, l’une dédiée à l’exploitation du circuit et du festival, l’autre à la production d’énergie propre.

Le Charade Electric Festival est une des principales initiatives menées depuis le Conseil Départemental par Jean-Paul Cuzin, qui a contribué à la création de deux sociétés autour des nouvelles mobilités / Crédit photo : Nicolas Peyrol (DR)

Quelle est votre opinion sur la question de l’énergie en mobilité ?

Je n’oppose pas les énergies. Néanmoins, je trouve que l’hydrogène – qui est mis en avant à Charade – est plus pérenne que l’électrique. Parce qu’il consomme moins de métaux rares et peu recyclables, impactant des sites de production sur d’autres continents.

La propulsion hydrogène pourra principalement, il me semble, être utilisée dans les transports routiers et la logistique. La technologie est en effet intéressante pour le stockage ou l’autonomie. Enfin, sur la grande région Auvergne-Rhône-Alpes, nous disposons de plusieurs entreprises plutôt en avance sur ce secteur : c’est un atout important, et Charade est bien positionné dans ce cadre pour susciter les échanges !

Mais entre une ferme urbaine et un démonstrateur de nouvelles énergies, il y a une vraie différence d’envergure … comment se passe le “portage” de ces projets ?

C’est vrai que sur les programmes vraiment ambitieux, notamment ceux qui touchent le monde économique, il faut un portage par des acteurs publics de grande taille. Sur l’hydrogène, par exemple, c’est la Région qui est à la manœuvre, en lien avec les financements de l’Europe et de l’Etat. De plus, elle permet de toucher une masse critique d’acteurs sur tout son territoire.

Sur les programmes vraiment ambitieux, il faut un portage par des acteurs publics de grande taille.

Au fond, s’il ne faut pas négliger les “petits cailloux”, les gros projets sont indispensables pour capitaliser. Et seules les grandes structures publiques – communautés de communes, métropoles, conseils départementaux ou régionaux – peuvent porter ceux-là.

A Beaumont, les jardins potagers se sont développés le long du « chemin vert », qui longe en grande partie le cours d’eau de l’Artière / Crédit visuel : Habitant de Beaumont (DR)

Justement, en tant que conseiller départemental, vous êtes pionnier de la “Fabrique Départementale des Transitions”. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de miser sur l’apport d’ingénierie commune favorisé par le Conseil Départemental. Auparavant, il y avait eu la démarche Cocon [d’isolation de combles de bâtiments publics, NDLR] ou d’appels d’offres partagés en énergie. Aujourd’hui, le Master Plan – la feuille de route pour la transition écologique du CD63 – a lancé une Fabrique Départementale des Transitions.

L’idée est simple : bénéficier de l’expertise de la Fabrique des Transitions, réseau national de collectivités pionnières sur l’écologie monté par Jean-François Caron, le maire de Loos-en-Gohelle dans le Nord. Pour ce faire, nous avons été accepté comme un des premiers membres du Puy-de-Dôme avec notre projet de ferme urbaine.

Lire l’entretien : avec Jean-François Caron, « la transition des collectivités se construit ensemble »

Et qu’en attendez-vous ?

L’apport de la Fabrique et de l’équipe de Jean-François Caron nous permettra de passer d’un simple projet de maraîchage urbain à un levier pour faire changer les comportements. Nous tenons à utiliser cette expérience pour provoquer une prise de conscience des enjeux de la transition écologique.

La Fabrique des Territoires nous permettra de passer d’un simple projet de maraîchage urbain à un levier pour faire changer les comportements

Mon pari est que Jean-François Caron possède à la fois l’expertise technique en conduite de ce type de projets, et une expérience terrain d’élu local. Le risque est toujours d’être déconnecté de la réalité : or, Jean-François, à travers la Fabrique des Transitions, a une vraie expérience de gestion collective. Il est crédible et non dogmatique.

Nous devrions le revoir en 2022, en marge d’une Convention départementale à laquelle il participera.

La Fabrique départementale rassemble-t-elle d’autres villes partageant votre vision ?

Oui, nous sommes en lien avec d’autres communes comme Billom, mais aussi Cournon qui est concernée par le projet de Sarliève. J’attends beaucoup de ces échanges, même si chaque cas spécifique n’est pas toujours duplicable. Mais on peut s’en inspirer, voir ce qu’il faut faire … ou ne pas faire.

La clé est aussi de participer à la coordination territoriale, d’une manière ou d’une autre. Beaumont est présent au bureau du Grand Clermont, qui constitue par le PAT [Projet Alimentaire Territorial] une “ceinture maraichère”. De même pour le Conseil Départemental : l’animation qu’il propose sur la transition écologique est un plus pour beaucoup de communes qui n’ont pas de moyens à y dédier. Il faut utiliser toutes les structures actives pour avancer !

Pour aller plus loin (références proposées par Jean-Paul Cuzin) :
Pour comprendre – les publications et rapports de la Fabrique des Transitions
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Propos recueillis le 18 novembre 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Jean-Paul Cuzin. Merci à Damien Pessot, Jean-Paul Boithias, Eric Boudot et Marie Goubert. Crédit photo de Une : éditeur