Au lancement d’Orbimob 2021, retour sur les enjeux de la mobilité territoriale durable

Echange avec deux experts de la mobilité en Auvergne sur les principales questions à se poser quand on parle d’environnement, de mobilité et d’aménagement du territoire.


Les intitulés dans un rectangle noir sont des blocs déroulants : cliquez dessus pour accéder à leur contenu.
De même, cliquez sur chaque photo ou visuel pour l’afficher en grand format.

Pourquoi cet article ?

Si vous êtes intéressé par les problématiques de mobilité sur le territoire auvergnat, et des tendances de l’avenir proche, vous aurez intérêt à suivre la semaine Orbimob qui commence aujourd’hui et se termine samedi. Durant 6 jours, les acteurs de la mobilité territoriale mais aussi le grand public peuvent se rencontrer et participer à différents temps forts – conférences, ateliers, tables rondes, démonstrations … – sur les enjeux de la mobilité durable en Auvergne.

Je vous propose de revenir en ouverture sur les principaux éléments de contexte de cette mobilité, vus par deux experts locaux : Bruno Cordier du bureau d’études en mobilité Adetec à la Bourboule et Sébastien Reilles de l’Agence d’Urbanisme de Clermont Métropole.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. La « mobilité durable » est définie par la facilité de se déplacer autrement qu’en voiture individuelle, pour Bruno comme pour Sébastien. Cela se traduit notamment en termes de « part modale« , même s’il faut prendre garde à la définition du covoiturage ou de l’autopartage. Globalement, les distances courtes (moins de 3 km), en ville ou à la campagne, sont le principal potentiel de croissance pour les mobilités durables, non motorisées.
  2. Les problèmes posés par la voiture sont de l’ordre de la consommation excessive d’énergie (essence, donc hydrocarbures) par rapport au nombre de personnes transportées (en moyenne 1 et quelques), mais aussi les émissions de particules fines, la place et l’usure sur la chaussée (lié au poids croissant), le bruit, etc. En même temps, Bruno reconnaît qu’elle est un « couteau suisse » de la mobilité, pratique et confortable.
  3. Cela explique que la voiture soit un « marqueur de réussite » selon l’expression de Sébastien, même si elle n’est pas accessible à tout le monde. Il insiste sur le coût réel de la voiture, au-delà de l’essence ou du péage, et prenant en compte les « externalités négatives » supportées par la communauté. Bruno, quant à lui, insiste sur la nécessité de ne pas se focaliser sur les réactions critiques face aux mesures limitant la place de la voiture.
  4. En ce qui concerne l’énergie, les deux experts reconnaissent que nous devons être en décroissance énergétique – de l’ordre de 4 à 5 fois moins de consommation à terme – et qu’il faut sortir au plus vite des hydrocarbures, principale cause du réchauffement climatique. Pour autant, les voitures électriques – ou à hydrogène, ou hybrides … – ne sont pas idéales, car elles impacteraient trop la capacité de production nationale, et dépendent de ressources rares et non renouvelables. Enfin, elles ne résoudront pas de nombreux problèmes comme les encombrements ou la sédentarité. Sébastien insiste au final sur les gains de la marche ou du vélo pour les petits déplacements.
  5. Pour basculer sur ces modes de déplacement doux, il est indispensable de bénéficier d’une continuité des aménagements comme les trottoirs ou les pistes cyclables. Pour Bruno, il faut développer de manière globale des politiques cyclables, piétonnes, de transports en commun … qui auront une approche holistique. Au final, c’est une question d’aménagement du territoire, de concentration des services, de taille des villes …
  6. Comment convaincre les gens de se passer de la voiture ? Il faut les « prendre par la main« , les sensibiliser, leur expliquer les enjeux et les fonctionnements des offres alternatives, et leur permettre d’essayer facilement d’autres modes. Le biais de l’entreprise, via les Plans de Mobilité, est intéressant, ainsi que les actions menées par les structures comme le SMTC. Sébastien rappelle la démarche des « Ambassadeurs de la mobilité« , et précise que l’on peut viser à reproduire une partie de l’expérience en voiture dans d’autres modes (comme les transports en commun).
  7. « Défaciliter » l’usage de la voiture, consiste à la rendre moins attractive en termes d’insertion dans les flux urbains. C’est l’occasion d’allouer une partie de la place de la voiture à d’autres modes de transports doux, notamment des pistes vélo bien séparées des flux piétons. Bruno rappelle que la circulation automobile finit toujours par s’auto-réguler quand la voirie se rétrécit (ou s’agrandit). Pour Sébastien, les mesures de type 30 km/h en ville sont bonnes mais doivent être mieux expliquées. Il faut aussi faciliter le stationnement résidentiel, clé pour utiliser des alternatives à la voiture.
  8. Quel est le positionnement des acteurs publics ? Ce sont, selon Sébastien, les citoyens qui sont plus en retard que les élus. Il faut identifier et lever les freins au passage à l’acte, en mettant usagers et entreprises au cœur des stratégies de mobilité. Il regrette notamment que la loi ne s’accompagne pas de moyens conséquents pour faciliter le changement. Bruno, quant à lui, regrette que la logique de beaucoup d’élus soit trop focalisée « transports en commun« , en minimisant les autres alternatives à la voiture individuelle.
  9. En Auvergne, la priorité a été laissée « par défaut » à la voiture, notamment à Clermont, regrette Bruno. C’est une conséquence des années Quillot (que l’on retrouve ailleurs). Il appelle à s’inspirer de Lyon ou de Paris, bien plus en pointe. Sébastien souhaiterait que les acteurs régionaux de la mobilité, au-delà de se parler, partagent plus leurs objectifs et leurs approches du problème, pour agir ensemble. Il reste du chemin à faire selon eux pour qu’une initiative comme Orbimob prenne son plein potentiel.
  10. Enfin, un conseil pratique pour conclure : essayer de changer un de ses nombreux déplacements hebdomadaires de la voiture à un mode de transport doux, ou transport en commun. Il s’agit de prendre conscience que les distances ne sont pas si grandes pour la plupart de nos déplacements, et qu’on a beaucoup à gagner à laisser la voiture au garage.

L’intervenant : Bruno Cordier

Crédit photo : Bruno Cordier DR)

Fondateur et directeur du cabinet Adetec, spécialisé en mobilité


Bruno Cordier est spécialiste des modes de déplacement alternatifs à la voiture individuelle. Basé dans le Sancy (à la Bourboule), il a notamment participé à la mise en place de l’expérimentation de covoiturage vers Clermont, en lien avec le SMTC.

Son expérience professionnelle antérieure à la création du cabinet Adetec en 1997 porte sur l’enseignement en sciences et en environnement, en tant que professeur des écoles.

Au-delà du territoire puydômois, Bruno a participé à de nombreuses études sur la mobilité dans les grandes villes françaises, comme celle-ci sur les 20 principales agglomération (dont Clermont) ou celle-là sur « mobilité et partage de l’espace » dans les 49 principales villes françaises.

Il a également étudié la mobilité dans les villes moyennes dans cette étude, avec un focus sur les leviers de changement de moyens de transport. Enfin, des articles plus récents portent sur la voiture électrique ou encore le vrai coût de la voiture.

Contacter Bruno par courrier électronique : bcordier.adetec [chez] orange.fr

Crédit photo : Bruno Cordier (DR)

L’intervenant : Sébastien Reilles

Crédit photo : éditeur

Chargé d’études mobilité à l’Agence d’Urbanisme Clermont Métropole


Géographe de formation, Sébastien est chargé d’études mobilité à l’Agence d’Urbanisme de Clermont Métropole depuis plus de 20 ans. Il se définit comme un « passionné des mobilités », et il a notamment coordonné les Enquêtes de Mobilité qui ont fait le point sur les « parts modales » des différents modes de transport en 2012.

Contacter Sébastien par courrier électronique : sreilles [chez] clermontmetropole.org

Crédit photo : éditeur


Information sur notre prochain événement

Qu’est-ce qui définit une “mobilité durable” ? 

BC – Pour moi, la mobilité durable dépend d’un aménagement du territoire qui offre des alternatives à la voiture. Je suis convaincu que le principal gisement de progrès en mobilité se trouve dans la “structure” de nos déplacements automobiles.

Par ailleurs, aujourd’hui, il y a beaucoup trop de gens qui utilisent la voiture sur des distances courtes. Ainsi, si on réfléchit aux alternatives, on peut estimer que pour des déplacements de moins de 3 kilomètres, la marche ou le vélo seront suffisants (et même bénéfiques !) ; qu’en urbain et péri-urbain, les transports en commun seraient à privilégier ; et que, en zone rurale autour d’une agglomération, on pourrait dans la mesure du possible utiliser le TER ou le car.

Aujourd’hui, il y a beaucoup trop de gens qui utilisent la voiture sur des distances courtes.

Bruno Cordier

Cela dépend bien sûr de la densité des réseaux et de l’aménagement des lignes ou des horaires. Quand les horaires et les jours de fonctionnement des transports en commun sont pensés essentiellement en fonction des scolaires, ils sont peu voire pas du tout utilisés par des adultes.

Lire l’entretien : pour François Rage, « l’organisation urbaine doit intégrer les questions de transition »

SR – Notre travail, à l’agence d’Urbanisme, consiste notamment à mesurer ponctuellement les “parts modales” des modes de transport. Ce sont des enquêtes locales dont la dernière date de 2012 sur Clermont.

Sur cette base, je dirais que la “mobilité durable” revient à une part modale élevée pour les alternatives à la voiture. Mais on ne peut pas définir de seuil dans l’absolu ! Cela dépend du territoire : dans un centre-ville, il n’est pas extraordinaire d’avoir moins de 40% des déplacements en voiture. En revanche, en péri-urbain, un 50% d’alternatives à la voiture constituera un beau défi …

Les gares TER de l’agglomération, comme ici à la Pardieu, permettent de l’interconnexion avec le tramway, et proposent souvent des parkings-relais / Crédit photo : SMTC (DR)

Pourquoi la voiture est-elle si problématique ?

SR – La voiture n’est pas forcément accessible à tous ! Elle semble être le B.A.-BA de la mobilité, mais n’oublions pas que tout le monde n’en dispose pas, notamment dans des territoires très ruraux et auprès de publics précaires – par exemple sur le territoire de Mond’Arverne Communauté, au sud de Clermont, 10% des habitants ne sont pas motorisés.

Je dirais que la “mobilité durable” revient à une part modale élevée pour les alternatives à la voiture.

Sébastien Reilles

Techniquement, le problème des voitures est qu’elles deviennent de plus en plus lourdes, et au final plus impactantes – en termes de particules émises (freins, pneus plus sollicités), en termes de carburant consommé, de distance de freinage ou d’émissions de gaz à effet de serre lors de la construction. 

BC – La voiture est un peu le “couteau suisse” de la mobilité. Elle est très pratique, confortable, rapide … mais elle pose trop de problèmes environnementaux, sociaux et d’aménagement urbain.

Par exemple, en milieu urbain, la circulation motorisée (voitures, deux-roues motorisés et poids lourds) est à l’origine d’une part importante de la pollution. Et cette pollution, notamment celle liée aux particules fines, est encore plus concentrée si l’on est proche des axes de circulation.

La voiture est un peu le “couteau suisse” de la mobilité … mais elle pose trop de problèmes environnementaux, sociaux et d’aménagement urbain.

Bruno Cordier

Le problème de cette pollution est que plus les particules sont fines, plus elles pénètrent en profondeur dans les alvéoles pulmonaires. Or, même des micro-doses ont des effets à long terme sur la santé.

Dans les virages de Coudes, sur l’A75 avant Issoire, les ralentissements sont fréquents. La pollution générée en particules fines impacte principalement les abords de ces axes de circulation / Crédit photo : Agence d’Urbanisme Clermont-Métropole (DR)

Passer de la voiture à une autre solution de mobilité est-il compliqué ?

SR – Il y a eu, depuis des décennies, tout un imaginaire qui s’est développé autour de la voiture : un marqueur de réussite, une valeur sociale … ce sera difficile de déconstruire cela ! 

En outre, la voiture est très associée au confort, et désormais à la sécurité sanitaire. Sans oublier que la multiplication des équipements (électronique, climatisation …) faire qu’il est difficile de revenir en arrière.

Mais il est tout de même important de souligner une chose : réaliser que le coût réel de la voiture est bien supérieur à son essence et son péage ou son stationnement. La voiture donne l’illusion qu’elle n’est pas chère, comparée à un billet de train par exemple. C’est faux ! Elle a juste été achetée, “investie” en amont, et doit être amortie. Sans compter les externalités négatives impactant la communauté et prises en charge par elle (pollution, santé, bruit, entretien de la chaussée, accidents …)

Il faut réaliser que le coût réel de la voiture est bien supérieur à son essence et son péage ou son stationnement.

Sébastien Reilles

BC – Quand une mesure de réduction de la place de la voiture est annoncée, on voit tout de suite des levées de boucliers. Mais cela finit par disparaître, car l’usage prouve généralement que les conséquences ne sont pas négatives (le trafic se régule de lui-même).

Au fond, on entend toujours ceux qui sont contre de telles mesure, et pas ceux qui sont pour. Et ces premiers ne sont pas forcément majoritaires. Sans parler des oppositions purement politiques, au sein des conseils municipaux par exemple, qui peuvent alimenter les polémiques.

L’enjeu du stationnement résidentiel est un levier capital pour faciliter, par vase communiquant, l’emploi des mobilités alternatives à la voiture / Crédit photo : Agence d’Urbanisme Clermont-Métropole (DR)

Si l’on revient à la question de l’énergie, pourquoi ne la mettez-vous pas au coeur de l’enjeu de la mobilité durable ?

BC – D’une manière générale, nous aurons de moins en moins d’énergie disponible pour vivre, et elle sera de plus en plus chère. C’est une évolution structurelle ! en particulier pour les hydrocarbures, comme le gaz et le pétrole. La hausse de prix est inéluctable, car nous avons dépassé le peak oil, car les impératifs liés au changement climatique nous pousseront à ne plus rien extraire du sol, car l’extraction sera de toute façon trop coûteuse … et à cause de l’instabilité croissante des prix de l’énergie – qui a notamment fait fermer de nombreux sites d’extraction du gaz de schiste aux USA.

Nous aurons de moins en moins d’énergie disponible pour vivre.

Bruno Cordier

On a vu les méfaits de la propulsion aux hydrocarbures, en termes de gaz à effet de serre et de pollutions aux micro-particules. Vers quoi changer ? Modifier le mode de propulsion sera loin d’être suffisant, il faut aussi changer notre manière de nous déplacer en utilisant la voiture seulement quand il n’y a pas d’autre solution…

L’électricité est a priori le meilleur mode alternatif au pétrole, il me semble plus “abouti” que l’hydrogène. Mais il nécessiterait une surproduction trop conséquente au niveau national. Sans parler de la pollution sur le lieu de production de l’électricité (selon le type d’énergie électrique). Au fond, c’est une aberration en termes énergétiques !

Le réseau de transport à la demande (TAD) permet d’étendre les transports en commun sur des lignes non régulières dans les territoires peu denses / Crédit photo : Agence d’Urbanisme Clermont-Métropole (DR)

Du côté des batteries, elles sont basées sur une ressource non renouvelable – le lithium – concentré dans un très petit nombre de pays et fortement sollicité par d’autres appareils numériques.

Enfin, je vois bien que certains élus pensent que la voiture électrique, ou hydrogène, ou hybride, résoudra tous les problèmes de durabilité. Mais il y aura toujours le même problème de place sur la chaussée, de sédentarité, d’encombrements, de stress … la clé n’est donc pas le changement d’énergie pour la mobilité, mais de mode de déplacement !

Lire l’entretien : pour Clément Neyrial, « plus on travaille avec du sens, plus le produit aura de la valeur »

SR – La question de l’énergie est en effet secondaire. Selon les projections du GIEC, nous devons rapidement réduire notre consommation d’énergie – en général – par un facteur de 4 ou 5. C’est énorme ! Et un des principaux leviers de réduction sera le choix du mode de mobilité. 

Si l’on adopte la marche ou le vélo pour les petits trajets, on a beaucoup de gains (environnementaux, sanitaires …) et très peu d’impact négatif. Ces “petits trajets” de moins de trois kilomètres concernent la ville bien sûr, mais aussi les villages … partout où l’on vit à proximité des écoles, des commerces, des services publics …

Que peut-on faire alors ? Quelle est la principale stratégie à mener selon vous ?

SR – Selon moi, la clé pour la transition réside dans la continuité et la qualité des infrastructures. Je prends l’exemple du “maillage piéton” : dans un village rural, on ne peut pas pousser les gens à marcher jusqu’à un commerce ou à une école s’il n’y a pas de trottoir propre, en bon état et surtout continu et repérable.

BC – La priorité est de développer les alternatives à la voiture, mais de manière globale : c’est tout l’enjeu des politiques cyclables, piétonnes, de transports en commun, de covoiturage ou d’auto-partage. Elles doivent regrouper autant la question des “véhicules” que celles des axes, des parcours, des horaires, du tarif, de l’éducation et de la sensibilisation …

Si l’on adopte la marche ou le vélo pour les petits trajets, on a beaucoup de gains (environnementaux, sanitaires …) et très peu d’impact négatif.

Sébastien Reilles

Je pense aussi que c’est une question globale d’aménagement du territoire. En ville, il s’agit d’urbanisme ! Plus on aura des centres urbains, ou des quartiers, à la fois resserrés (avec de nombreux services et commerces disponibles à proximités) et reliés entre eux, plus les choix de mobilité durable seront facilités.

Lire l’entretien : pour Rachid Kander, « l’idéal, c’est la métropole multi-polaire »

Comment donner envie de se passer de la voiture ?

BC – Il faut faire du “management de la mobilité”, faire évoluer les comportements. Pour cela, il est nécessaire de prendre les gens par la main : c’est l’objet des Plans de Déplacements d’Entreprises (maintenant les Plans de Mobilité) qui focalisent les actions du côté de l’employeur, comme la modulation des horaires de travail, les regroupements de déplacements …

La meilleure période pour cela reste septembre, car on peut y appliquer les bonnes résolutions de l’été, et souvent les déménagements ou changements d’école des enfants se font à la rentrée.

Enfin, toutes les actions menées par le SMTC par exemple (autopartage, covoiturage), la sensibilisation des employeurs, les réductions de tarifs des transports en commun, les aides mobilité pour les étudiants … vont dans le bon sens.

L’usage du vélo en libre-service est un moyen de pallier à l’absence d’emplacement de garage, fréquent dans les appartements anciens / Crédit photo : Agence d’Urbanisme Clermont-Métropole (DR)

J’insiste sur le fait de donner la possibilité aux gens d’essayer ponctuellement un nouveau mode de transport, sans engagement. C’est ce que proposent les Challenges Mobilité, un jour par an. On “goûte” pour voir : c’est une très bonne stratégie pour faciliter le changement.

La priorité est de développer les alternatives à la voiture, mais de manière globale.

Bruno Cordier

SR – Cet accompagnement au changement peut passer par une démarche “Ambassadeurs de la Mobilité” que certains territoires ont choisi de développer (Métropole Aix-Marseille-Provence) : ce sont des enquêteurs qui viennent dans les familles pour parler avec eux, comprendre les besoins et les habitudes de déplacements, et donner des conseils en faveur de l’éco-mobilité.

Par ce biais, on s’est rendu compte que les gens n’ont souvent pas conscience de la faible durée de nombreux déplacements piétons ! En fait, ils se persuadent que leurs trajets ne peuvent se faire qu’en voiture.

Ce système des Ambassadeurs a permis des modifications dans les comportements, mais il est trop lourd à appliquer à une large échelle. C’est donc surtout un révélateur des bons mécanismes. Il faut aider les gens à faire autrement, même en testant temporairement. Autre initiative, certaines régions ont pu mettre en place une gratuité d’abonnement au train durant 15 jours, dans cette même logique.

La vitesse à 30 km/h va être généralisée le 1er décembre 2021 dans tout Clermont, hormis les axes structurants / Crédit photo : Agence d’Urbanisme Clermont-Métropole (DR)

Il faut aussi passer du temps à expliquer les alternatives à la voiture, à en décortiquer le fonctionnement. Pour C-Vélo par exemple, si on ne sait pas comment ça marche, on ne le prendra pas ! Cela peut être la même chose pour prendre une ligne de bus quand on en a pas l’habitude. Ce ne sont pas forcément des choses évidentes pour tout le monde …

J’insiste sur le fait de donner la possibilité aux gens d’essayer ponctuellement un nouveau mode de transport, sans engagement.

Bruno Cordier

Dernière chose : si l’on prend les avantages liés à la voiture, il faut essayer de les reproduire dans d’autres modes de transport. Par exemple, installer de la climatisation dans les transports en communs, des prises USB sur certains sièges ou aux arrêts … le bus ou le tram ne seront jamais identiques en termes de confort à une voiture, surtout aux heures de pointe. Mais cela ne pourra qu’aider à franchir le pas.

En miroir, faut-il contraindre la circulation automobile ?

BC – Oui, il faut fermer un peu le “robinet” de la voiture. Cela passe par la “défacilitation” de son usage. Ce sera à voir selon le flux, mais il faudra globalement des voies de circulation clairement distinctes, y compris séparant les piétons et les cyclistes. Donc, le plus souvent, en partageant mieux l’espace et donc en prenant de la place à la voiture au profit des piétons, des cyclistes et des transports en commun – et en mettant fin à la circulation sur 2 ou 3 voies, sauf exception.

Il faut aussi passer du temps à expliquer les alternatives à la voiture, à en décortiquer le fonctionnement.

Sébastien Reilles

Il faut aussi savoir que les gens utilisent davantage la voiture s’ils sont certains de trouver facilement une place de stationnement à destination. Il faudrait jouer sur ce point.

Enfin, on voit que les flux de voiture s’adaptent, in fine, à “l’offre” d’infrastructures. En 2012, un gros incendie à Rouen – avant Lubrizol – avait entraîné la fermeture d’un pont important sur la Seine pendant deux années. On avait alors suivi l’adaptation du trafic routier : il n’y a rapidement plus eu de bouchons ! La majorité des gens ont opté pour d’autres moyens de transport, ou ont modifié leurs points de destination en voiture. En d’autres termes, une partie du trafic s’était évaporée !

Il faut fermer un peu le “robinet” de la voiture. Cela passe par la “défacilitation” de son usage.

Bruno Cordier

SR – Il faut en effet le bâton en plus de la carotte. Cela revient à laisser moins de place pour la voiture sur la chaussée, en ville notamment. Pour cela, il faut principalement abaisser la vitesse moyenne s’il n’y a pas d’enjeu de liaison inter-quartiers ou inter-villes.

Mais on pêche souvent sur l’explication de ces mesures. On le voit actuellement à Clermont, avec le passage à 30 km/h en décembre : les réactions des gens sont assez dingues. Pourtant, c’est une bonne mesure adaptée à la réalité de la vie de quartier : 90% des conducteurs sont de toute façon autour de 30-35 km/h, et non pas à 50. Mais, si les réactions sont épidermiques, c’est parce que les gens n’ont pas saisi le sens de la mesure (au-delà d’une petite frange qui ne veut rien entendre).

Deux principales lignes de bus, la B et la C, complètent la ligne de tramway clermontoise / Crédit photo : T2C (DR)

J’ajouterai un point capital pour les habitants du cœur de la Métropole : la possibilité de pouvoir stationner au sein de sa résidence, dans un parking public ou sur la rue avec une formule « résident » est indispensable pour qu’ils utilisent les modes alternatifs. Ainsi, la voiture est utilisée ponctuellement (en soirée, le week-end), mais l’essentiel de la mobilité du quotidien s’effectue avec des modes alternatifs.

Les politiques publiques sont-elles efficaces pour aller vers une mobilité durable ?

SR – D’une manière générale, l’acteur institutionnel est mûr pour le changement, mais les citoyens ne le sont pas. Du coup, le simple volontarisme est inopérant, et les documents de planification comme le PDU [Plan de Déplacements Urbains] ne suffisent plus : on sait ce qu’il faut faire, ce n’est pas le problème. Mais comment passer à l’action ? Il y a encore trop de freins sociaux, technologiques ou financiers qu’il faut identifier et lever. Et ce sont les citoyens et les entreprises qui en sont au coeur en tant qu’usagers de la mobilité, pas les collectivités.

 Au niveau national, la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) a basculé la compétence mobilités sur les communautés de communes, et non plus les seules agglomérations. Si ces acteurs ne souhaitent pas s’en occuper, la Région la prend en charge. Je pense notamment à la politique de la région Hauts de France qui accompagne les communautés de communes pour déployer une politique de mobilité adaptée à leur échelle.

L’acteur institutionnel est mûr pour le changement, mais les citoyens ne le sont pas.

Sébastien Reilles

Mais cette LOM est une réforme sans moyens financiers. C’est un vrai problème dans les zones rurales notamment : il y a des aides de l’Etat pour la mobilité mais seulement dans le cas de lignes de transport régulières, comme des bus. Ce n’est pas toujours viable dans certaines campagnes ! Plus globalement, n’importe quel petit aménagement d’infrastructure en mobilité représente des coûts et des compétences.

BC – La “maturation” des élus sur ce sujet est en cours … mais ils sont encore trop dans une logique de transports en commun comme principale alternative à la voiture, avec peu de choses à côté. N’oublions pas que, en termes de nombre de déplacements (et bien sûr pas de kilomètres parcourus), la marche à pied est le second mode de transport après la voiture ! Et le premier à Paris (avant les transports en commun, d’ailleurs). Il faut donc considérer impérativement les piétons dans les aménagements urbains, y compris pour des petits travaux de voirie. Et les cyclistes bien sûr.

La ligne de chemin de fer Thiers-Clermont sépare Aulnat ville de l’aéroport, sans parler de la départementale. Elle est aussi un axe de pénétration vers le Brézet, tout proche / Crédit photo : ville d’Aulnat (DR)

Orbimob fait le pari des mobilités durables en Auvergne. Les acteurs locaux sont-ils, selon vous, prêts à avancer ensemble dans cette direction ?

BC – A Clermont, on a trop laissé faire les choses pendant des décennies, avec des espaces publics dédiés avant tout à la voiture. Roger Quilliot, maire de Clermont avant Serge Godard et Olivier Bianchi, a fait de très belles choses en termes d’habitat – avec notamment des HLM proches du centre-ville. Mais il avait une mauvaise approche en termes de mobilité, laissant libre cours à la voiture.

Cela dit, ce n’est pas le seul maire à avoir agi de la sorte … mais, aujourd’hui, on sait ce qu’il faut faire, et il faut l’engager rapidement. Lyon ou Paris, mais aussi Grenoble, Rennes ou Strasbourg sont de bons exemples en la matière.

SR – Il manque encore du lien entre les acteurs du territoire auvergnat. Orbimob souhaite développer ce genre de passerelles. Aujourd’hui, les acteurs de la mobilité se parlent, mais ils ont tous leurs impératifs, leurs grilles de lecture, leur mode de fonctionnement et leur temporalité (ou leur périmètre d’action). 

Pour conclure, quelle recommandation faites-vous aux “usagers de la mobilité” que sont les particuliers ou les entreprises, afin d’aller vers moins d’impact environnemental ?

SR – Selon l’Enquête Mobilité de 2012, un Clermontois fait un peu moins de 4 déplacements par jour, soit 18 par semaine. 60% de ces déplacements – 11 sur 18 – se font en voiture, très majoritairement pour des petits trajets (moins de 3 kilomètres).

Il manque encore du lien entre les acteurs du territoire auvergnat.

Sébastien Reilles

Si chaque Clermontois pouvait faire un de ces 11 trajets sans la voiture – à pied, en vélo, en bus … – cela ferait passer la part modale de la voiture de 60% à 55%. Ce serait une évolution majeure, sans mettre les millions d’euros qu’on a consacrés au tramway ! Mais c’est une ingénierie d’éducation, de communication, de sensibilisation, qu’il faut monter en direction de l’ensemble de la population.

BC – D’une manière générale, je dirais que, pour aider les gens à passer à l’acte, la contrainte pour des raisons d’intérêt général peut être nécessaire – en complément de la sensibilisation et de l’accompagnement. C’est en ça que les politiques publiques de mobilité sont capitales.

Information sur notre prochain événement

Propos recueillis le 6 octobre 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Bruno et Sébastien. Crédit photo de Une : Agence d’Urbanisme de Clermont-Métropole (DR)