Pour Lucie le Corguillé, « les zones humides ont un rôle capital dans le cycle de l’eau »

Epuration naturelle, rétention, réserves de biodiversité, paysages … l’apport des zones humides pour les écosystèmes naturels mais aussi pour les humains semble sous-estimé.


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Pourquoi cet article ?

Lucie était l’invitée de la Rencontre de la Résilience du 12 mars dernier, qui a eu lieu à l’ESC Clermont. Elle y a présenté le principe des zones humides, l’action du CEN et l’importance de ces dispositifs naturels dans la préservation de la ressource en eau.

Comme la technologie est souvent mesquine, l’enregistreur audio n’a pas fonctionné ce jour-là et nous n’avions pas pu obtenir de podcast. Il fallait donc rééquilibrer la balance du destin par une interview en bonne et due forme.

En outre, le sujet abordé m’avait semblé à la fois capital … et largement sous-estimé, preuve en est du faible nombre de spectateurs ce jour-là.

Pourtant, notre territoire possède de nombreuses zones humides. Et la Limagne était un ancien marécage, drainé et asséché pour y laisser place (notamment) à des exploitations agricoles. Sans revenir au temps des Gaulois, ne peut-on pas redonner un vrai rôle aux zones humides dans le cadre de la lutte contre la raréfaction de la ressource hydrique ?

Les propos de Lucie le Corguillé, ci-dessous, permettent de faire le point sur l’action du Conservatoire des Espaces Naturels d’Auvergne en faveur de ces écosystèmes bien spécifiques, et de leur potentiel environnemental et même socio-économique.

Damien

Les principaux points à retenir

  1. Le CEN Auvergne a pour principe que l’établissement d’activités humaines compatibles avec la préservation de l’environnement est possible. Pour ce faire, il développe une politique d’acquisition foncière mais aussi de montage de projet et de recherche de financements, en lien avec ses compétences d’ingénierie écologique.
  2. Lucie le Corguillé est notamment chargée de mission « zones humides » : elle peut accompagner les propriétaires concernés pour optimiser la gestion de ces écosystèmes et les préserver. Cela peut passer par des actions concrètes, parfois simples. L’objectif est en particulier d’apporter du « génie écologique » pour valoriser ou restaurer la biodiversité d’un site.
  3. D’autres partenaires travaillent sur cette thématiques des zones humides dans le département, comme le PNR des Volcans d’Auvergne avec les zones « Natura 2000 », ou encore le Conseil Départemental avec les « Espaces Naturels Sensibles ».
  4. Le CEN approche les sites selon leur écosystème : eaux stagnantes ou courantes, zones sèches, forêts … qui souvent sont entremêlés et interdépendants. La question de l’eau, en particulier, devient un sujet d’inquiétude réel, notamment à cause de pratiques délétères en amont des sources – liées à l’entretien des routes comme à l’agriculture.
  5. Pourtant, les zones humides doivent impérativement être préservées et même restaurées : elles purifient et stockent naturellement l’eau, elles tempèrent les crues, elles hébergent une biodiversité capitale, et elles permettent certaines activités comme le pâturage tout en participant aux paysages. Ce sont des alternatives naturelles aux réservoirs d’eau artificiels.
  6. Enfin, le CEN travaille également sur les eaux « courantes » avec les rivières – notamment l’Allier. Il coordonne une meilleure gestion des enrochements, parfois avec une renaturation des berges. Il peut aussi participer à des opérations de reméandrage, pour recréer des zones humides et ralentir le cours de l’eau.

L’intervenante : Lucie le Corguillé

Chargée de missions zones humides au Conservatoire d’Espaces Naturels d’Auvergne (CEN)


De formation universitaire en sciences naturelles et environnementales, Lucie a travaillé pour plusieurs collectivités locales, ainsi qu’à la LPO. Elle est aujourd’hui, et depuis 17 ans, chargée de mission au sein du Conservatoire d’Espaces Naturels d’Auvergne (CEN).

Ses actions portent sur plusieurs axes : les « zones humides » bien sûr (incluant la co-animation de la « cellule d’assistance technique zones humides« ), mais aussi les sujets environnementaux territoire proche de Clermont (développement de projets avec les communes) et enfin la valorisation du patrimoine géologique local.

Contacter Lucie par e-mail : lucie.lecorguille@cen-auvergne.fr

Crédit photo : CEN Auvergne (DR)

La structure : CEN Auvergne

Association dédiée aux actions de protection et de restauration des écosystèmes naturels locaux


Le CEN Auvergne est une association fondée en 1989. Elle compte en 2022 400 adhérents, 40 collaborateurs et de nombreux bénévoles, répartis à travers plusieurs antennes sur le Puy-de-Dôme, le Cantal et la Haute-Loire (l’Allier ayant son propre CEN départemental). Son siège est à Mozac, près de Riom.

Historiquement, le CEN était consacré à l’achat de terres agricoles en vue de sauvegarder divers écosystèmes naturels qui s’y trouvaient : zones humides (tourbières, marécages …), eaux courantes (rivières), forêts, zones sèches … c’est pourquoi son budget est public à 90%.

Aujourd’hui, au-delà de l’achat de sites à préserver, le CEN accompagne les politiques publiques dans une logique de préservation de la biodiversité, par ses compétences à la fois techniques (ingénieurs écologues) et de montage de projet (recherche de financement). Enfin, il déploie plusieurs dispositifs de sensibilisation auprès du grand public comme des réseaux de professionnels.

Le CEN Auvergne fonctionne en réseau avec 5 autres CEN sur la grande région Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi qu’avec les 22 CEN nationaux. Son but est toujours de travailler avec les acteurs locaux, et de mettre en place des activités socio-économiques compatibles avec la préservation à long terme de l’environnement.

Voir le site web du CEN Auvergne


Information sur notre prochain événement

Le Conservatoire d’Espaces Naturels (CEN) d’Auvergne existe depuis 31 ans. Comment sa mission de protection de la nature a-t-elle évoluée ?

En 1989, lors de notre création, le postulat de départ était de dire : pour protéger la nature, il faut devenir propriétaire des sites, à la manière du Conservatoire du Littoral [créé en 1975]. (…) Puis, on a évolué en mettant à disposition toute notre connaissance de “génie écologique” et de préservation des sites au service des acteurs publics du territoire, afin de démultiplier nos actions. 

Le postulat de départ était de dire : pour protéger la nature, il faut devenir propriétaire des sites.

En effet, on ne pourra pas devenir propriétaire de [tous les espaces à protéger], et ce n’est même pas une fin en soi. Nous préférons parfois modifier la gestion et l’utilisation des sites, même s’ils ne nous appartiennent pas. Ces deux modalités s’additionnent dans la pratique. 

Avec presque quarante collaborateurs sur trois départements, vous avez une politique de fonctionnement et d’investissement ambitieuse. Quel est votre modèle de financement ?

Nous bénéficions de beaucoup d’aides publiques – notre budget en dépend à 90%. Mais nous fonctionnons par projets : à chaque fois, on va chercher des subventions auprès de l’Etat, des collectivités, de l’Europe, des agences de l’eau … 

[Du coup,] nous nous sommes progressivement formés à ce type de gestion. Et, aujourd’hui, le CEN ne comporte pas que des ingénieurs écologues : nous savons aussi monter des projets et trouver des financements. Ce sont ces compétences que nous mettons à disposition des acteurs locaux.

Les bénévoles et les salariés du CEN Auvergne, lors de l’AG de 2017 à Massiac / Crédit photo : CEN Auvergne (DR)

Comment décririez-vous votre mode d’interaction avec ces acteurs du territoire : priorité à l’environnement ? Ou plutôt recherche d’un compromis ?

Nous voulons vraiment travailler avec ces partenaires : agriculteurs, élus, etc. Pour nous, le but est de mettre en place des activités humaines compatibles avec la préservation environnementale. Parfois, ça ne fonctionne pas, parce que nous ne trouvons pas l’acteur local qui sera porteur du projet avec nous. A l’inverse, quand il y a par exemple une demande d’un agriculteur de s’installer sur un site tout en préservant la biodiversité du milieu, c’est tout bénéfice.

Quels sont les services pratiques que vous proposez à ces acteurs ?

La “cellule d’assistance technique zones humides” [à laquelle je participe] nous permet de consacrer du temps aux propriétaires et gestionnaires de zones humides, pour les aider à voir ce qui pourrait être amélioré, et de là proposer des actions concrètes, de type amélioration simple ou travaux. Et on peut accompagner les propriétaires ou les gestionnaires, notamment en allant chercher des financements. 

Dans le cadre de l’assistance technique « zones humides », le CEN a ici suivi les travaux de réaménagement d’un point d’abreuvement en amont d’une zone humide, dans le Cantal / Crédit photo : CEN Auvergne (DR)

A titre d’exemple, nous pouvons travailler en direct avec des agriculteurs, soit pour conserver ou réintroduire l’activité pastorale sur certains sites – ce qui permettra de maintenir et développer une certaine flore et faune (…) Il s’agit vraiment d’une forme de “génie écologique”.

Enfin, on peut emmener des agriculteurs ou des élus sur d’autres territoires pour leur montrer ce qui se fait ailleurs. Le réseau des CEN [6 dans la Grande Région, 22 en France] nous permet de faire cette veille. Mais c’est surtout capital de faire dialoguer les gens entre eux : quand un élu parle à un autre élu, ils se comprennent beaucoup mieux [que si l’information venait de nous].

Quels sont vos partenaires institutionnels principaux dans le département du Puy-de-Dôme, pour la préservation des espaces naturels ?

Le PNR des Volcans d’Auvergne gère certains espaces à écosystème subalpin, notamment via les zones Natura 2000. Idem avec le Conseil Départemental qui a développé sa politique des « espaces naturels sensibles”. Ce dernier devient alors propriétaire direct de terrains, comme récemment avec le lac de Servière, et travaille également avec des collectivités qui veulent protéger les sites. 

Heureusement que ces partenaires sont présents, car nous ne pourrions pas gérer toutes les zones humides du territoire ! Et nos actions se complètent bien.

Le lac de Servières, dernière acquisition du Conseil Départemental dans le cadre des Espaces Naturels Sensibles / Crédit photo : BDenis (Wikimedia Commons / CC BY SA 3.0)

Présentez-nous votre logique de fonctionnement …

Nous avons des entrées par milieux naturels, par écosystèmes : les milieux aquatiques par exemple, dont les eaux stagnantes – mares, tourbières, zones humides – et les eaux courantes – l’ensemble des cours d’eau. Nous travaillons également sur la thématique des forêts. (…) En particulier, nous souhaitons protéger des forêts anciennes pour les laisser évoluer. Enfin, la dernière catégorie concerne les écosystèmes de zones sèches.

Nous avons des entrées par milieux naturels, par écosystèmes.

Quand on travaille sur un site en tant que tel, il peut y avoir plusieurs écosystèmes présents : une forêt, une zone humide, une rivière qui traverse … il y a souvent plusieurs milieux qui se croisent et qui sont interdépendants. 

Dans ces écosystèmes, nous pouvons avoir des actions [en biodiversité] sur des espèces cibles, soit celles qui sont directement en danger, soit des espèces “parapluies”, dont la protection aidera de nombreuses autres espèces sur le même milieu.

Les zones humides sont d’importants réservoirs de biodiversité / Crédit photo : CEN Auvergne (DR)

Néanmoins, l’eau est un enjeu transversal et sans doute le plus urgent selon vous …

Je suis convaincue que l’eau est un bien commun, partagé par un maximum d’êtres vivants, dont les humains. Mais aussi par tout un cortège faunistique et floristique : sans eau, pas de vie !

Dans le cadre de l’urgence climatique et des enjeux de transition, l’eau est donc devenue un vrai dénominateur commun. Je pense d’ailleurs que tout le monde a conscience de son importance, et voit à son échelle les changements récents. (…) La sécheresse de 2003 a [d’ailleurs] été le déclencheur de ce constat : des ressources en herbe qui diminuent, des sources qui se tarissent … 

Lire l’entretien : « Jean-Pierre Wauquier parie sur l’eau, modèle d’éducation et de coopération interculturelle »

Les constats de la raréfaction de l’eau sont donc partagés … mais pas forcément les causes de ces changements, et les solutions à mettre en place. Un peu à la manière du réchauffement climatique.

Sur quelles causes de l’assèchement peut-on aujourd’hui travailler ?

Il y a la sécheresse climatique, mais aussi la gestion sur les “têtes de bassins versants” – toutes les zones de sources qui alimentent les ruisseaux. Là, de nombreuses pratiques ont eu un impact négatif sur la durée : drainage, captage de sources, travaux routiers qui coupent des zones humides, travaux forestiers avec drainage… toutes ces actions se sont intensifiées depuis les années 50, et ont contribué à la situation actuelle.

Vous êtes spécialisée dans la protection des zones humides. Quel peut être leur rôle face au dérèglement climatique ?

Les zones humides ont un rôle capital d’épuration de l’eau, de rétention en période de crue, sans parler de l’hébergement de la biodiversité ou de l’utilisation économique – pâturage notamment.

Les zones humides peuvent faire office de réservoir naturel d’eau / Crédit photo : CEN Auvergne (DR)

Au fond, pourquoi ne pas revoir nos modes de pratique plutôt que de favoriser des solutions à court terme ? C’est un peu une logique de sobriété : si on constate qu’il y a moins d’eau disponible et qu’on en consomme toujours autant, il faut se demander comment mieux la valoriser et la partager. 

Il faut déjà travailler sur nos pratiques et notre consommation, puis favoriser l’utilisation des eaux de surface disponibles sur le territoire, notamment dans les zones humides, avant de faire des captages ou d’autres aménagements type bassines. 

Comment agissez-vous directement sur les zones humides du territoire ?

C’est très difficile de reconstituer une zone humide : on travaille plutôt sur des restaurations ou de l’entretien. La restauration, cela nous fait intervenir par exemple sur des zones humides plantées de sapins. Nous retirons les arbres, rebouchons les fossés et laissons s’exprimer la zone humide plus librement. 

Pourquoi ne pas revoir nos modes de pratique plutôt que de favoriser des solutions à court terme ?

Parfois, notre action est plus simple, en protégeant par une délimitation pour interdire l’accès aux bêtes de pâture ou aux randonneurs.

Il y a aussi des solutions très simples qui ne sont pas toujours appliquées. Par exemple, il y a de vieux captages débouchant dans des bacs d’abreuvement qui débordent, sans aucun aménagement. Avant de capter de l’eau ailleurs, on peut donc déjà aménager l’existant ! Ainsi, quand les bêtes s’abreuvent directement au cours d’eau, il est relativement facile d’installer des “descentes” pour que les animaux ne piétinent pas, ne fassent pas tomber de la terre ou des matières fécales dans l’eau … 

Exemple de travail de l’équipe du CEN sur la biodiversité : recherche de fourmi hôte du papillon Azuré des mouillères, inféodés au milieu humide, dans le marais du Cassan (Cantal) en 2015 / Crédit photo : CEN Auvergne (DR)

Vous intervenez également sur les cours d’eau du département …

En effet, notre action sur les “eaux courantes” porte beaucoup sur la rivière Allier. Un de mes collègues a répertorié les enrochements sur une grand partie de la rivière, en différenciant ceux qui sont encore utiles et ceux qui sont obsolètes – protection de maisons ou de routes qui n’existent plus. Nous étudions alors la possibilité d’effacement de ces enrochements, travaillons avec l’intervention d’entreprises de BTP, et on laisse ensuite la rivière refaire sa vie. 

Notre action sur les “eaux courantes” porte beaucoup sur la rivière Allier.

Il s’agit d’une action de renaturation typique : on agit sur la dynamique fluviale. En effet, un enrochement empêche le cours d’eau de “grignoter” ses berges. Mais l’énergie de l’eau doit bien être dépensée : elle se fait alors au niveau du lit de la rivière, et abaissera le niveau de la nappe alluviale. Ainsi, quand on retire un enrochement, on permet de sauvegarder cette nappe, et d’avoir un impact positif en termes de biodiversité, car les milieux annexes de la rivière peuvent ainsi se reconstituer.

Lire l’entretien : Pour François Rage, « l’organisation urbaine doit intégrer les questions de transition »

Un autre type d’action sur les cours d’eau consiste dans le reméandrage : de quoi s’agit-il ?

Le principe est qu’une rivière, naturellement, fait des méandres. Cependant, lors des réaménagements fonciers ou de la réattribution de parcelles des années 60-70 où tout devait être au cordeau, ces cours d’eau ont été “taillés droit” et les méandres ont été effacés.

Les méandres de la Sioule, vers Queuille. Sur les plus petites rivières, le méandrage naturel est très souvent associé à l’apparition de zones humides / Crédit photo : Alexandre Chassignon (Wikimedia Commons, CC BY SA 4.0)

Aujourd’hui, tant pour gérer les problématiques d’inondation que pour favoriser un écoulement naturel, de nombreux reméandrages ont été réalisés, et sont d’ailleurs encore prévus. L’impact est que l’eau s’écoule moins vite, peut davantage s’épancher et souvent recréer une zone humide. 

Ces opérations sont plutôt pratiquées par les techniciens de rivière sur les territoires. Sur la Veyre, par exemple, c’est le syndicat mixte local qui est en charge de ce gros travail. (…) Le CEN peut intervenir ponctuellement quand nous travaillons sur certains sites, comme actuellement au sein d’un marais dans le Cantal dont la restauration implique du reméandrage.

Pour aller plus loin (liens proposés par Lucie) :
Comprendre – le Centre de ressources sur les zones humides
ou bien le Pôle-relais Zones Humides – Mares et Vallées Alluviales
Agir – adhérer au CEN !
bien sûr
mais aussi donner son avis pour la consultation du SDAGE Loire-Bretagne
Information sur notre prochain événement

Propos recueillis le 13 avril 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Lucie. Crédit photo de Une : CEN Auvergne (DR)