Marie-Laure Potec : « poser les contraintes, accompagner vers les solutions »

La directrice d’Urby à Clermont revient sur son approche « pionnière » en termes de logistique urbaine douce, sur son intérêt pour les start-up et sur l’enjeu de la ville apaisée.


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Pourquoi cet article ?

Je vous propose de traiter toutes les deux semaines un sujet précis autour de la résilience territoriale, en lien avec une grande thématique. Plus concrètement, intéressons-nous pour début novembre à la question de la mobilité – à l’occasion d’Orbimob – avec le sujet de la ville apaisée.

L’entretien proposé ici avec Marie-Laure est donc le premier d’une série d’articles variés qui exploreront, de manière non exhaustive (mais tout de même détaillée !) la question des transports dans la ville de demain.

Damien

L’intervenante : Marie-Laure Potec

Après plusieurs années au sein du groupe la Poste, Marie-Laure a pris la direction de l’antenne clermontoise de la filiale dédiée à la logistique urbaine, Urby.

Pour contacter Marie-Laure par e-mail : marie-laure.potec@urby.fr
La structure : Urby Clermont-Ferrand

Urby est une société proposant des services de logistique urbaine – comme du stockage et de la livraison – reposant sur la mutualisation et l’optimisation. Elle mise notamment sur la mobilité douce. Ses principaux actionnaires sont le Groupe la Poste et la Banque des Territoires.

A Clermont, Urby compte 12 collaborateurs aujourd’hui, et réalise 80% de ses livraisons avec des véhicules « propres » (électricité, hydrogène, gz naturel) – pour un total d’environ 180 livraisons par jour. Son activité a démarré en 2019. Marie-Laure Potec en est la directrice générale.

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Quelle est l’importance du “dernier kilomètre” dans l’enjeu des transports urbains ?

D’une manière générale, la question du transport, c’est autant la mobilité des personnes que celle des biens. La route représente 30% des émissions de CO2.

Avec Urby, on traite le sujet du “dernier kilomètre” : c’est le trajet que fait le livreur qui remettra le colis à l’acheteur. Cet acteur entrera de façon répétitive en ville, et aura les plus grosses contraintes, aussi bien logistiques – circuler, se garer – qu’économiques. C’est donc le maillon le plus cher de toute la chaîne de valeur du transport.

Et quels sont, selon toi, les axes d’amélioration ?

Notre première piste est dans la mutualisation : regrouper les marchandises en un point en dehors de la ville pour optimiser les tournées et livrer en une fois [plutôt que de multiplier les petits déplacements]. Pour y parvenir, c’est juste une question d’organisation, qui – dans l’absolu – ne coûte rien. Et on sait le faire !

Le « dernier kilomètre », c’est le maillon le plus cher de toute la chaîne de valeur du transport.

Hélas, c’est difficile parce que ça n’intéresse pas tout le monde. On est ici sur des vraies valeurs, écologiques ou d’impact sur la ville, mais elles ne sont pas trop partagées. Les transporteurs ont l’habitude d’avoir leur chauffeur qui va livrer leur propre marchandise. Pourtant, c’est rageant, car ça ne coûte pas plus cher [de mutualiser], et c’est tout sauf “punitif” ! 

Parce qu il se situe souvent en pleine ville, le dernier kilomètre est le maillon le plus complexe, coûteux et environnementalement impactant de la chaîne du transport / Crédit photo : Freepik

A terme, l’objectif est donc de trouver un nouveau modèle. Peut-être que, demain, tout le monde ne rentrera plus en ville avec ses camions, et que ceux qui [ne peuvent le faire] confieront à un tiers les livraisons, pour un prix similaire. Le but n’est pas de faire sortir des acteurs du marché mais de trouver une solution vertueuse et acceptable pour tout le monde.

Urby se positionne sur ce secteur du “dernier kilomètre”, avec un angle environnemental revendiqué. Quelle est ta stratégie ?

Les hypothèses de bases d’Urby, posées en 2014, sont les suivantes : tout d’abord, l’augmentation du volume de marchandise qui va circuler en ville, avec des taux de croissance de 10 à 15% selon le développement du e-commerce ; ensuite, un besoin à terme de réduire fortement la pollution atmosphérique, et de gérer un “effet ciseau” entre les attentes de la population et l’activité économique locale. Enfin, une question d’attractivité des centre-villes, qui commençaient à être désertés. 

Hélas, la mutualisation n’intéresse pas tout le monde.

Dans ce cadre, la population, l’activité, l’attractivité sont des boosters de volume de livraison : comment faire pour gérer cela sans impacter davantage – et sans pour autant faire dans la décroissance à tout crin ?

Comment concrétises-tu cette approche de la mobilité et de la logistique ?

Notre flotte a évolué dans cet esprit : on a aujourd’hui trois vélo-cargos VAE qui peuvent emporter jusqu’à 150 kg, un Kangoo à hydrogène, qui emporte 300 kg et se charge sur la station Michelin, et un véhicule qui roule au gaz naturel, en partenariat avec Véolia – car nous n’avons pas encore de station de recharge à Clermont. Enfin, on a quelques poids lourds thermiques classiques, mais on travaille à leur passage au gaz.

Urby a notamment misé sur le transport à vélo électrique, qui permet de desservir de manière « douce » l ensemble de Clermont / Crédit photo : éditeur

Tu es en “avance de phase” sur l’engagement écologique, ce qui n’est pas sans coût ni impact économique. Comment arrives-tu à équilibrer finances et respect de l’environnement ?

Je le fais parce que j’ai la possibilité de me projeter à 5 ans. Mon actionnaire – le Groupe la Poste – a cette vision, et il nous voit comme un nouvel entrant. Nous avons été créés [à Clermont] en 2018, et c’est plus facile que pour un acteur qui est là depuis 30 ans sur le territoire. Nous, nous n’avons pas eu à “débâtir” un modèle !

C’est comme la mise en place de la nouvelle réglementation sur les carburants, comme dire qu’on va arrêter de livrer avec les vieux camions. La collectivité pourrait prendre des mesures sur la diminution des émissions de CO2 en ville, sans surcoût pour elle, car certains acteurs de la logistique peuvent faire cet investissement et ont même commencé à le faire. Certains y sont même prêts – éventuellement en étant accompagnés – et les collectivités ont des mécanismes pour ça. Nous, nous avons démarré parce qu’on a le soutien de notre actionnaire principal.

Sur le long terme, comment se fera la transition écologique dans le secteur de la logistique urbaine ?

Je parierai plus sur les évolutions d’usage et de comportements que de technologie. Mais c’est beaucoup plus dur : il faut être capable de rassurer sur le côté indolore du changement. Or, c’est très difficile aujourd’hui. Les gens – notamment dans le monde économique – ont perdu leurs repères et sont désorientés, et donc très inquiets pour l’avenir à court terme. 

Je parierai plus sur les évolutions d’usage et de comportements que de technologie.

Après le [premier …] confinement, j’avais l’impression que les gens avaient pris du recul sur la notion d’urgence et de vitesse … et finalement, non. On est revenu sur un rythme habituel, et le facteur temps est aussi important qu’avant. Je pense même qu’en temps de crise, les individualités ressortent encore plus, notamment dans leur côté négatif. Et la “vague verte” des consciences – pas politiques mais personnelles – est en train de mourir sur la plage. Je me souviens des manifs des jeunes, il y avait une vraie prise de conscience, mais l’urgence sanitaire l’a balayé assez vite

Les livreurs en vélo d Urby sont capables de transporter des charges telles qu un frigo / Crédit photo : Urby

Tu insistes donc sur la nécessaire “valeur économique” de l’écologie ….

Pourquoi cet équilibre est compliqué ? Sans doute parce que l’écologie n’est pas contrainte, parce qu’elle n’a pas de temporalité. C’est difficile de la projeter à 1 an, 10 ans, 20 ans … et aussi parce qu’elle ne répond pas à un besoin économique. L’engagement pour l’environnement, tu le prends pour des raisons éthiques, ou de conviction personnelle, mais pas pour être plus performant, compétitif ou rentable.

L’engagement pour l’environnement, tu le prends pour des raisons éthiques, ou de conviction personnelle, mais pas pour être plus performant, compétitif ou rentable.

Pour moi, on ne peut donc que faire des petits pas. Qui aura le courage de faire un virage très net, potentiellement douloureux ? Personne ! Heureusement, je suis convaincue qu’on sera portés par la nouvelle génération, qui est native développement durable.

En effet, tu travailles avec plusieurs start-ups du territoire, ou appelées à s’y installer. Comment as-tu fait le lien avec elles ?

Ce que j’admire dans les fondateurs des start-up avec lesquelles je travaille, c’est qu’ils ne se posent pas la question [du développement durable]. Pour eux, c’est naturel. Moi, j’ai encore une approche à l’ancienne, je me demande ce que je gagne, ce que je perds … 

Du coup, [travailler avec eux] me permet d’appréhender des mécanismes intellectuels qui me sortent de mon quotidien. J’aime me faire surprendre, sortir de ma zone de confort ! Ça se passe par des opportunités, dans le cadre de l’économie circulaire notamment.

Pour moi, on ne peut donc que faire des petits pas. Qui aura le courage de faire un virage très net, potentiellement douloureux ? Personne !

Capillum, par exemple, je les ai vus à l’occasion d’un concours organisé par le Valtom. Yesitis également, rencontrés au Bivouac il y a quelques temps. Mais des réseaux plus “classiques” comme la CPME ou les DCF sont intéressants. 

Tu es fan de Capillum …

Avec Capillum, on travaille ensemble depuis 2 ans. Ils se basent sur le principe suivant : le cheveu est oléophile – il absorbe les huiles, jusqu’à son propre poids en huiles – et hydrophobe – il rejette l’eau. On l’a vu lors de la marée noire sur l’île Maurice : en faisant des boudins flottants anti-pollution, ils ont lancé une énorme collecte nationale de cheveux. 

Ainsi, dans tous les Urby de France, on collecte les chutes de cheveux. On en a 1,5 tonnes [dans notre entrepôt] à Carnot ! L’objectif est d’arriver à une masse critique suffisante pour répondre aux besoins en dépollution.

James et Clément, co-fondateurs charismatiques de Capillum, présentent en vidéo leur start-up à En Vrai

Au-delà de l’intérêt économique, qu’est-ce qui t’a plu dans le projet Capillum ?

C’est d’abord la personnalité des deux fondateurs [James Taylor et Clément Baldellou]. Ils ont un peu plus de 20 ans, sont potes, mais surtout très complémentaires : ils sont capables de monter un projet avec des compétences très variées et très larges. Ça force mon admiration ! 

Travailler avec des start-ups me permet d’appréhender des mécanismes intellectuels qui me sortent de mon quotidien.

On a ici l’exemple d’une génération de chefs d’entreprise très en avance. Leur projet est un peu fou, très ambitieux, mais ils ont la capacité à pivoter, à s’adapter et à avancer coûte que coûte. Enfin, leur élément natif, c’est l’économie circulaire : les cheveux, c’était une ressource extraordinaire mais pas du tout valorisée.

As-tu un autre exemple de start-up que tu suis et que tu soutiens ?

Fraichy, c’est une start-up de Montpellier qui se positionne sur le développement du commerce de proximité et la mise en place de services de livraison mutualisés. L’intérêt c’est qu’ils ont un système d’information très pro, et qu’ils gèrent la traçabilité, avec un système d’étiquettes très simples pour les commerçants. 

C’est tout sauf une usine à gaz, les prix sont raisonnables, le modèle économique est réaliste. Surtout, ils permettent d’avoir un accès facilité aux commerçants de centre-ville, en mutualisant la livraison. C’est un vrai projet de territoire. Ils ont ouvert à Montpellier, Toulouse … et maintenant Clermont. Nous sommes la troisième ville en France. J’en suis très fière !

J’ai donc été emballée par le projet, et je les ai aidés à référencer les commerçants locaux comme Durif, le Buron, Nivesse … Côté logistique, on a monté un système de badges NFC scannables par les livreurs, avec Yesitis, pour prouver que la chaîne du froid n’a pas été rompue. J’adore qu’on puisse construire des nouvelles offres ensemble, en mode prototype, pour le territoire. On apporte de la vraie valeur, et c’est de la techno au service du quotidien.

Urby profite de la récente station de recharge en hydrogène installée à Clermont, avec son Kangoo à hydrogène / Crédit photo : Urby

Reprenons de la hauteur … comment abordes-tu l’enjeu de la “ville apaisée” qui est d’actualité à Clermont ?

Pour moi, dans la “ville apaisée”, on n’entend pas beaucoup la logistique. Ça me parle bien sûr, mais ce n’est pas une notion qui est évidente.

Peut-être que la clé, c’est la temporalité. Comment on peut décaler les horaires … Exemple : les gamins rentrent tous à l’école à 8h à l’école. Et la ville est embouteillée, bruyante, polluante. Si on étalait mieux l’heure de la rentrée du matin pour éviter cela? Et si on faisait de même pour les horaires de travail ? Cela peut être une piste intéressante, même si, à terme, il faut tendre à moins utiliser sa voiture.

Comment faut-il traiter le sujet avec les différentes parties prenantes ?

Il ne faut pas opposer vélo, voiture ou camion, mais penser les choses autrement. Si on ne travaille qu’à coups de massue, sans vision globale, on n’y arrivera pas ! Par exemple, la ville apaisée, c’est aussi moins de bruit. Mais si les camions ne livrent plus le jour, ils le feront la nuit, et ça créera d’autres nuisances. Quand il faut avoir une vision globale, on ne peut pas dire “là un peu moins”, “là un peu plus” …

Peut-être que la clé de la ville apaisée, c’est la temporalité. Comment on peut décaler les horaires …

Il faut donc éviter de traiter les choses en silos. Parce qu’il va falloir faire des concessions, décider ensemble de ce qu’on accepte ou pas, et savoir ce pour quoi on fait des compromis. Peut-être qu’il faut repenser le partage de la voirie en prenant en compte les besoins de tout le monde, et sans mettre des contraintes fortes pour les uns afin d’arranger les autres.

Urby participe à de nombreuses actions de sensibilisation sur la place publique, ou lors des actions telles que la Journée sans voiture / Crédit photo : Urby

En tant qu’acteur économique, imagines-tu une manière concrète de procéder ?

Pour qu’on commence à dialoguer, il faut poser les contraintes. On ne peut pas travailler sur la base d’un fonctionnement idéal. Le monde économique est plus capable de travailler en réaction qu’en anticipation collective. C’est donc une logique de problème / anticipation. Par exemple – et c’est le rôle du politique – dire que dans 6 mois, on ne pourra plus entrer en ville avec un véhicule thermique. Dans ce cas, le monde économique sera capable de trouver des solutions ! 

Pour qu’on commence à dialoguer, il faut poser les contraintes. On ne peut pas travailler sur la base d’un fonctionnement idéal.

Mais, pour l’instant, nous n’avons pas ces jalons. Notamment sur la place de la voiture, personne ne s’implique car ce n’est pas encore un “caillou dans la chaussure”. Or, je pense qu’il faut mettre ce caillou dans nos chaussures. Et il n’y a qu’un acteur politique qui puisse le faire, par la réglementation. Ainsi, Clermont fait partie des 15 villes qui souhaitaient mettre en place une ZFE [Zone à Faible Emission] d’ici fin 2020 : à suivre. Mais cela peut aller plus loin, et déclencher une réflexion collective.

La clé c’est donc de poser les contraintes mais aussi d’accompagner pour trouver les solutions. C’est la seule manière de provoquer la prise de conscience, le changement … et la prise de risque.

Pour aller plus loin :
Le site d’Urby France

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Propos recueillis le 7 octobre 2020, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigés par Marie-Laure. Crédit photo de Une : éditeur