Avec Rurener, “l’énergie est un prisme d’entrée sur le développement rural”

Relier les territoires ruraux à l’Europe autour de la résilience énergétique, c’est le pari de l’association Rurener. Elle agit principalement par des projets collaboratifs et favorisant le mix énergétique.


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Pourquoi cet article ?

Nous avions lancé en février 2020 un groupe de travail informel à Epicentre, sur les questions de transition écologique et sociale en Auvergne. Parmi les participants récurrents se trouvait Théo Durand, coworker et salarié de Rurener.

Je me suis ainsi familiarisé avec les enjeux et les objectifs de cette association qui mise sur le lien entre les acteurs et, de manière surprenante au début, sur une résilience énergétique à l’échelle européenne.

Le travail de Théo et de Céline, qui est coordinatrice européenne, au sein de Rurener, méritait largement d’être mis en valeur, pour parler des enjeux du mix énergétique local mais aussi pour insister sur notre dépendance avec des « territoires » plus grands – Europe, monde – qui doit rester à l’esprit.

L’intervenante : Céline Seince

De formation en anthropologie, à Berkeley en Californie, Céline s’est orientée sur les enjeux sociétaux des choix énergétiques. Elle a ensuite suivi un master à Paris sur le développement des territoires.

Selon elle, « l’énergie concilie des enjeux sociaux et techniques. C’est un angle transversal et très intéressant pour aborder les territoires et la durabilité.« 

Aujourd’hui, Céline est coordinatrice européenne de Rurener.

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L’intervenant : Théo Durand

Amoureux de la nature, Théo a été motivé pour suivre une formation lié aux enjeux environnementaux, à travers un BTS agricole en protection et gestion espaces naturels.

Il résume sa position ainsi : « Je me suis rendu compte que des îlots de verdure ne suffiraient pas. Je me suis alors concentré sur l’éco-conception, dans la gestion de déchets en entreprise. » Il a ensuite élargi le spectre en direction du développement des territoires, via un master universitaire, avec une spécialisation sur les territoires ruraux – en énergie et en agriculture à tous les niveaux.

Aujourd’hui, Théo est manager de projets chez Rurener.

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La structure : Rurener

Rurener est une association née à Clermont-Ferrand en 2008, dans le cadre d’un projet européen coordonné par Macéo. L’objectif initial était de « structurer un réseau de communes rurales en Europe qui voulaient atteindre l’autonomie énergétique.« 

En 2019, Rurener rassemble un peu moins de 800 communes dans le réseau, parfois en intercommunalités : en France, Espagne, Portugal, Belgique , Hongrie, Chypre, Grèce … ses projets, comme l’initiative COLEOPTER, sont tous à dimension européenne. Ils mettent en lien les acteurs des territoires ruraux entre eux, et avec l’Europe, sur les questions de résilience énergétique.

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Pour vous, la résilience est à la fois locale … et européenne. Comment articulez-vous les deux niveaux ?

Théo : la résilience consiste à surmonter des difficultés et à s’adapter au contexte. Aujourd’hui, les importations d’énergies fossiles sont clairement une faiblesse pour les territoires. La production locale permet de lever ces menaces. L’enjeu est [donc] de travailler sur une énergie disponible près de chez soi – à proximité, mais [aussi] en Europe, une résilience “macro” assurée en partie par une production locale. 

L’enjeu est de travailler sur une énergie disponible près de chez soi – à proximité, mais aussi en Europe.

Et les projets européens peuvent ouvrir des pistes sur ces sujets ! Dans la coopération intra-européenne, on a des tendances [différentes], des pays avec plus d’expériences dans certains domaines… Par exemple, certains pays ont davantage progressé sur le solaire. (…) Les consortiums permettent de partager ces innovations.

Quelles sont les différences que vous observez sur la question énergétique en Europe ?

Céline : la stratégie énergétique d’un pays repose sur des choix politiques, permettant le développement d’énergies renouvelables, ou de sortir de certaines [sources] d’énergies. En Belgique par exemple, de nombreuses aides d’État ont été tellement incitatives [sur le renouvelable] qu’elles ne sont pas soutenables. Autre exemple : en Allemagne, il y a tellement d’unités de méthanisation qu’il n’y a plus de ressources pour alimenter en intrants. Il faut donc aller les chercher à des dizaines ou des centaines de kilomètres !

Cela montre [cependant] que l’impulsion politique peut mettre en place des changements importants. Mais cela montre aussi qu’il faut anticiper sur des sujets comme la compétitivité agricole : quand c’est plus rentable de remplir son méthaniseur que de nourrir les gens … ce sont des vraies questions qu’il faut se poser en amont des stratégies énergétiques.

Lire l’entretien avec Philippe Métais de GRDF sur l’enjeu de la méthanisation pour la résilience énergétique locale.

Rurener travaille avec des territoires ruraux. Pourquoi sont-ils particulièrement intéressants dans le cadre de la résilience énergétique ?

C : On s’est rendu compte que les territoires ruraux sont vraiment un terrain d’étude intéressant du point de vue du mix énergétique. On a les énergies renouvelables, la ressource agricole … et il y a une ouverture d’esprit au principe du mix.

Quand on parle de renouvelable, [les énergies solaires ou éoliennes] ne sont pas disponibles tout le temps. Il y a donc un enjeu de diversification des sources, de complémentarité des territoires, du stockage de l’énergie … Avoir un mix énergétique permet d’être plus résilient. Ce qui est considéré comme une faiblesse (traitement des déchets agricoles) peut même devenir une ressource (méthanisation).

On s’est rendu compte que les territoires ruraux sont vraiment un terrain d’étude intéressant du point de vue du mix énergétique.

T : L’énergie, c’est toute une chaîne. Il faut la produire en amont, avec un dispositif spécifique (panneau solaire, éolienne, unité de méthanisation, barrage, nucléaire …) qui doit lui-même être fabriqué grâce à de l’énergie (énergie grise). En fin de vie il faut aussi penser à son recyclage, ce qui consomme aussi de l’énergie … 

Exemple à proximité de Clermont : Combrailles Durables est une coopérative favorisant la production « d’énergie citoyenne », en faveur d’une résilience énergétique locale bien entendu / Crédit photo : Combrailles Durables

Comment voyez-vous la question de la fragilité des réseaux de distribution d’énergie ?

C : La plupart des réseaux électriques en Europe [fonctionnent] avec quelques points d’injection et une distribution large. C’est très différent [d’un système décentralisé composé de] plein de petites unités de production parsemées sur le territoire, qui vont produire plus ou moins en même temps et injecter de l’énergie dans le réseau. Cela pose la question de l’équilibre du réseau, source de beaucoup de tensions [en France] entre Enedis et les porteurs de projets locaux.

Un pylône électrique dans les Vosges. Le réseau électrique reste tributaire de ces structures fragiles en cas d’événements climatiques extrêmes / Crédit photo : 0x010C (Wikimedia Commons, CC BY SA 4.0)

Quel est selon vous l’angle adopté par les territoires ruraux sur la transition écologique et sociale ?

C : Elle prend deux formes principales : volonté de se saisir des risques et de les maîtriser en local. [C’est] un enjeu commun, qui dépasse l’énergie. Pour Rurener, l’énergie est un prisme d’entrée sur le développement rural car elle touche à de nombreux sujets : mobilité, alimentation …

L’objectif de l’autonomie est de produire suffisamment pour couvrir ses besoins, en considérant les échanges avec les territoires environnants. Ce n’est donc pas s’enfermer tous dans notre propre bulle, ce qui est illusoire et très peu intéressant puisque chacun a des ressources complémentaires [par rapport aux] autres.

Comment se positionnent les élus locaux vis-à-vis des citoyens et de l’Europe ?

T : En milieu rural, où l’agriculture est très présente, on se rend compte de l’impact des sécheresses, de l’appauvrissement des sols … Il en va de même pour les tempêtes de neige qui peuvent couper l’électricité … tout cela pousse à agir. Cela fait partie du prisme qu’ont les élus et les acteurs locaux. 

L’objectif de l’autonomie est de produire suffisamment pour couvrir ses besoins, en considérant les échanges avec les territoires environnants.

Cette prise de conscience (…) progresse [aussi] en haut lieu, par exemple avec l’obligation pour chaque État de se doter d’un plan énergie climat, PCAET. [Au global], les élus sont poussés à changer par le “bas” (les habitants) et le “haut” (l’Europe). 

Enfin, il y a [la vision] à court terme, c’est ce qu’on met en place maintenant. [Et] à long terme – ce qu’on encourage les territoires à adopter – qui dépasse le mandat électoral.

C : Nous avons la vision des élus avec lesquels on travaille, et qui pensent qu’il faut agir maintenant, sans quoi les impacts futurs seront bien plus importants que ce que l’on vit aujourd’hui. Il y a bien chez eux une conscience que les crises vont s’accentuer – énergétique, sanitaire … – mais tous n’ont pas la même connaissance des outils existants et des priorités sur les différents territoires.

Quel est, dans ce cadre, le rôle de Rurener ?

C : Rurener fait le lien entre le “micro” et le “macro”.

[L’association] existe depuis 2008. C’était, à l’origine, un projet européen sur 3 ans, porté par Macéo. Son objectif : structurer un réseau de communes rurales en Europe qui voulaient atteindre l’autonomie énergétique.

En 2019, on avait un peu moins de 800 communes dans le réseau, parfois en intercommunalités : en France, Espagne, Portugal, Belgique, Hongrie, Chypre, Grèce … l’idée est d’avoir cette dimension européenne, capitale dès le début du projet Rurener. 

Délégation de Rurener au Parlement Européen. L’objectif de l’association est de faire le lien entre UE et territoires / Crédit photo : Rurener (DR)

Comment concrétisez-vous ce lien entre les territoires et l’Europe ?

T : Il y a cette volonté d’agir, mais aussi la notion financière : comment faire émerger des projets concrets dans l’énergie ? [Les territoires ruraux] sont des communes qui ont relativement peu de moyens financiers par rapport aux “villes”, donc ils sont d’autant plus intéressés pour identifier des pistes d’optimisation. A travers notre réseau, on est capable d’apporter cela grâce à la promotion de la coopération européenne.

C : on ne créée pas des dispositifs de financement, mais on permet à des territoires de travailler ensemble et de faire financer des projets par l’Europe. Notre action est de coordonner le montage de projets qui demandent du travail et des RH spécialisées. On a cette expérience de facilitateur, notamment si les projets sont en anglais, ou s’il y a des consortiums à [mettre en place].

Rurener organise des « rencontres inspirantes », comme cette visite d’usine de production de granulés en Belgique avec des élus / Crédit photo : Rurener (DR)

Quels autres leviers de financement utilisez-vous ?

C :Il existe beaucoup de montages de projets et de modèles différents, particulièrement dans les énergies renouvelables. Là, une grande variété d’investisseurs sont prêts à participer – notamment des fonds d’investissement – ce qui apporte un levier pour débloquer le montage de ces projets. Par exemple dans le solaire, l’investissement initial n’est pas facile à débloquer, même si l’exploitation apporte la viabilité (selon la taille des installations).

On permet à des territoires de travailler ensemble et de faire financer des projets par l’Europe

On connaît d’autres outils (…) comme du financement participatif, et on peut mettre en lien les acteurs des territoires avec des gens dont c’est le métier. [Cela dit,] nous n’avons pas de réseau particulier avec les banques.

Et quid du rôle des grands industriels de l’énergie dans ces montages financiers ?

T : L’Etat et l’Europe poussent de plus en plus aux partenariats public-privé. On a par exemple des projets locaux financés par Total. Je ne suis ni pour ni contre, mais c’est une réalité. [Et] c’est important de savoir que cette voie existe aussi.

On a besoin des grands industriels de l’énergie et gestionnaires de réseaux.

On a besoin des grands industriels de l’énergie et gestionnaires de réseaux. Par exemple, Enedis doit être mis autour de la table quand on parle énergies renouvelables en local. Ces acteurs ne bloquent pas pour le plaisir de bloquer, mais ils sont liés à beaucoup d’enjeux. Idem pour les Régions, pour voir l’articulation avec les schémas régionaux notamment.

Vous visez également des projets fortement collaboratifs. Quelle est votre méthodologie ?

T : On travaille beaucoup avec les collectivités et les élus, mais on développe de plus en plus la construction de projets avec d’autres acteurs. Actuellement, nous sommes sur un projet lié à la rénovation énergétique des bâtiments publics baptisé COLEOPTER [Concertation Locale pour l’Optimisation des Politiques Territoriales pour l’Energie Rurale]. Cette dimension innovante doit émerger avec les citoyens.

Par exemple, on [travaille sur] un gymnase au Portugal. [Pour y parvenir,] on réunit les [parties prenantes] – les usagers, les prestataires de la rénovation – en groupes d’intérêt, on recueille les besoins de chacun par rapport aux bâtiments. Surtout au niveau des usages : comment le bâtiment peut-il être plus “utile” par la suite ? En parallèle de ce recueil de besoins, un spécialiste de BIM traduit ces attentes sous forme 3D, ce qui est une base utilisable par un architecte.

Échange entre partenaires de COLEOPTER lors de la visite du gymnase à Povoa de Lanhoso au Portugal (Janvier 2020) / Crédit photo : Rurener (DR)

C : En Creuse, nous travaillons sur deux centres de loisirs, et nous lions la rénovation à des projets pédagogiques pour utiliser ces bâtiments démonstrateurs afin de sensibiliser les enfants qui vont y rester. Et, en Espagne, nous avons un ancien centre de loisirs dont l’usage est à réinventer en faveur des associations locales. Il y a ici une vraie réflexion avec les acteurs du territoire.

Qu’apporte l’échelle européenne de ce projet COLEOPTER?

C : Avec ces différentes échelles, on compare les résultats, mais aussi le niveau d’implication. C’est une approche que Rurener a proposé, que l’on utilise en général sur les projets de coopération – quand il faut identifier des besoins autour d’une thématique avant de le construire. Faire en sorte que le projet ait du sens, et pas que pour une instance sur le territoire. Surtout quand les budgets sont significatifs.

Faire en sorte que le projet ait du sens, et pas que pour une instance sur le territoire.

[Par exemple,] n’est-ce pas limité de faire juste une rénovation, même si l’intérêt énergétique est là ? Dans le cadre de COLEOPTER, l’idée est que le bâtiment soit efficace mais que les usagers l’utilisent aussi de façon efficace ! Par exemple sans chauffer à fond avec les fenêtres ouvertes. Donc, ça permet de sensibiliser les usagers aux enjeux de l’efficacité énergétique, dans le bâtiment et jusqu’à chez eux. D’où l’intérêt de ces bâtiments publics, qui vont naturellement toucher beaucoup de monde.

Les partenaires du projet COLEOPTER devant le bâtiment démonstrateur à Carthagène en Espagne, lors de la réunion de lancement du projet (Octobre 2019) / Crédit photo : Rurener (DR)

On parle souvent des blocages locaux autour des projets énergétiques, comme les problèmes de voisinage. Comment parvenez-vous à les dépasser ?

T : On l’a vu avec les Gilets Jaunes : nos attentes de la démocratie sont différentes d’il y a 20 ans, quand c’était très “descendant” depuis l’élu. Aujourd’hui, les gens s’impliquent, et cela enrichit les projets, et en facilitera le déroulement – ce sont souvent des projets de longue haleine. Et ça change tout ! 

La crise des Gilets Jaunes a été le révélateur d’une demande de relationnel politique-citoyen moins descendant / Crédit photo : kriss_toff (Wikimedia Commons CC BY SA 2.0)

C : COLEOPTER table sur la mise en dialogue des acteurs locaux. C’est un moyen très intéressant pour éviter les blocages complets. Ces actions de blocage proviennent souvent de l’incompréhension des enjeux, d’une confiance qui a été brisée. Plus que sur le projet lui-même ! Il y a énormément d’enjeux sociaux ou sociétaux, pas toujours pris en compte dans une approche purement technique.

Cela apporte de la valeur pour les citoyens, mais aussi pour les décideurs locaux …

C : Avoir une approche plus participative, cela permet plus d’écoute mutuelle, une meilleure compréhension des enjeux. Notamment pour les élus ! Les gens ne se rendent pas toujours compte des enjeux qui pèsent sur leurs élus. Cela permet de clarifier cela, et aussi – pour les élus – de mieux comprendre les réactions des [citoyens], les émotions suscitées par ces projets … 

Ces actions de blocage proviennent souvent de l’incompréhension des enjeux, d’une confiance qui a été brisée.

Quand tout est mis sur la table, on peut voir comment monter le projet afin de prendre en compte toutes les questions, de toutes les considérer. Ca ne veut pas dire que toutes les attentes seront satisfaites à 100%, mais au moins que toutes les craintes auront été considérées et que le projet ne sera pas “passé en force”.

De l’autre côté du spectre, vous essayez d’influencer les politiques énergétiques européennes. Comment se positionne Rurener à ce sujet ?

T : L’intérêt de l’Europe, au-delà des financements, est d’orienter les politiques des pays entre eux, de concrétiser des objectifs, et d’atteindre une masse critique. On le voit, si l’Europe devient innovante en énergie, ce sera une impulsion au niveau mondial. 

C : C’est [donc] une partie de notre travail : faire remonter la vision des territoires, et leurs besoins, pour orienter la politique très “macro” de l’Europe. Notre rôle est [ici] de faciliter le positionnement des territoires ruraux dans ce cadre, pour que les outils et innovations développées puissent servir à tous et changer d’échelle.

La présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, présente sa vision devant le Parlement Européen. Elle y a porté le Green New Deal. / Crédit photo : Parlement Européen (Wikimedia Commons, CC BY 4.0)

L’enjeu énergétique et même de transition écologique, au niveau européen, s’incarne désormais dans le Green New Deal. Qu’en pensez-vous ?

T : Les trois objectifs du Green New Deal [GND] sont : atteindre la neutralité carbone en 2050 ; relier l’économie à la notion de ressources ; (…) équilibrer l’Europe en termes de développement. La volonté européenne est donc de construire un nouveau modèle économique, ou d’y participer. (…) Le plan de relance européen est [pour l’instant] évalué à un emprunt de 750 milliards d’Euros. 

Ce qui va être important, c’est que plusieurs pays ont des ambitions différentes [par rapport au] GND : la Suède ou la Finlande sont en avance, la Pologne ou la République Tchèque en retard … le vrai défi de la relance sera de la centrer sur ce GND comme étant le meilleur outil possible. Du coup, on rebâtit une économie plus résilience, on saisit “l’opportunité” de la crise.

Vous pointez plusieurs indices qui laissent à penser que le GND sera difficile à déployer …

T : Prend-on la voie de la décroissance, ou au contraire va-t-on en croissance avec de la technologie ? Avec le GND, on est clairement dans la croissance, mais avec une programmation budgétaire pro-développement durable.

Le vrai défi de la relance sera de la centrer sur ce Green New Deal comme étant le meilleur outil possible.

La moitié [du GND] sera prise en charge par l’UE, et le reste est laissé à l’investissement privé. En d’autres termes, il y a rattachement au système thermo-industriel, et cela [crée de l’incertitude.] [D’ailleurs,] plusieurs secteurs ont demandé des délais, notamment l’automobile et l’aéronautique.

Mais on a aussi une scission entre les volontés d’unité européenne, par exemple l’Allemagne qui ne voulait pas payer pour les autres – cela serait en train de changer, avec une mutualisation de la dette contractée. A confirmer toutefois …

L’usine de méthanisation Méthamoly, dans les monts du Lyonnais. En Allemagne, le choix de la méthanisation a modifié les équilibres économiques agricoles / Crédit photo : Frédérique Berthe (DR)

Enfin, le GND ne représenterait que 20% du budget nécessaire pour acter la transition énergétique – c’est la Commission qui le dit ! Et cela signifie qu’il y une grosse partie qui dépendra des citoyens, des collectivités et des entreprises, [de toute façon].

Comment Rurener peut-il participer à faire avancer la cause de la transition énergétique en Europe ?

C : Notre rôle est de faciliter le positionnement des territoires ruraux dans ce cadre, pour que les outils et innovations développés puissent servir à tous en Europe. (…) C’est capital ici d’avoir de la crédibilité pour mobiliser les autres acteurs – les citoyens, les entreprises … Dans les dernières années, on a vu un vrai changement de paradigme. On n’a d’ailleurs jamais eu autant de listes écologistes, au niveau européen. Cela va dans le bon sens !

Notre rôle est de faciliter le positionnement des territoires ruraux pour que les outils et innovations développés puissent servir à tous en Europe.

[Cependant,] si les ambitions sont affichées mais que, dans les faits, tout est réduit ou reporté, le message n’est pas du tout le même. La crédibilité en pâtit. [Autrement dit,] le système sera-t-il trop lourd et écrasera les ambitions, au profit de la croissance “business as usual” ? Le changement se fera dans tous les cas au niveau des territoires.

T : Et ça peut fonctionner ! [L’Union Européenne] avait ambitionné de baisser de 20% ses émissions en 2020, par rapport à 1990 … objectif atteint en 2016 ! [Nous restons pourtant] en retard sur les renouvelables ou l’efficacité énergétique, même si ça varie beaucoup d’un pays à un autre – la Suède est à 50% de renouvelable, les Pays-Bas moins de 10%. C’est pour cela qu’il faut une volonté politique forte à tous les échelons pour que chaque pays européen soit en mesure de produire, de partager et de consommer des énergies renouvelables.

Pour aller plus loin :
voir la présentation « Horizon2020 » des axes du Green New Deal

Propos recueillis le 25 mai 2020, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigés par Céline et Théo. Crédit photo de Une : nico.lefeb (Wikimedia Commons, CC BY 3.0)