Nicolas Duracka : “On est obligé de changer de logiciel, et ce n’est pas facile !”

Spécialiste des questions de résilience territoriale, Nicolas nous propose une analyse de la crise sanitaire par l’angle de l’innovation sociale et de la recherche & développement.


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Le contexte de l’entretien

En tant que vice-président d’Epicentre Factory, je suis proche des initiatives qui y sont nées. Le CISCA en fait partie, et j’avais déjà pu interviewer Nicolas Duracka dans le cadre de son lancement, pour le Connecteur.

Depuis, le CISCA a développé ses partenariats – avec les acteurs publics notamment – et s’est étoffé. Il a aussi fortement contribué à l’obtention du label French Impact par Clermont. Son existence est d’autant plus pertinente qu’il travaille sur les questions de résilience territoriale.

C’est pour faire le point sur ce sujet, avec un angle recherche/développement, que je me suis rapproché de Nicolas pour cet entretien.

Damien

L’intervenant : Nicolas Duracka

Chercheur associé au laboratoire Communication et Société de l’UCA ; responsable scientifique du CISCA


Nicolas se définit principalement comme chercheur en sciences de la communication. « Je m’intéresse aux processus d’innovation de manière générale, et plus spécifiquement à l’innovation sociale » précise-t-il, en insistant sur les formes d’interaction – et donc de communication – entre les acteurs de ce domaine. Autrement dit, comment faire dialoguer différents acteurs de l’innovation sociale ?

Il distingue alors la « com’ » – un « processus de circulation de l’information qui vise à séduire » – de la communication, comparée à une forme de traduction. « La communication nécessite fréquence et intensité des relations interpersonnelles » estime-t-il. Nicolas a donc travaillé longuement sur ces processus, dits « praxéologiques » (liés à l’action), qu’il a dégagés sous forme de modèle de communication pour les collectifs hétérogènes, « acceptant l’incertitude et la production d’un résultat inimaginable au départ »

De formation de base en géomorphologie (master obtenu en 2008), Nicolas est aussi l’auteur d’une thèse présentée en 2016 intitulée « L’innovation sociale chez les acteurs de l’économie sociale et solidaire en Auvergne : une approche communicationnelle ». Par ce biais, il s’est notamment rapproché du chercheur Clermontois Eric Dacheux. Par la suite, il a travaillé au sein de l’institut Godin, spécialisé dans la R&D et le transfert en sciences humaines et sociales, au sein duquel il a travaillé sur plusieurs outils pratiques tels que des boussoles d’innovation sociétale.

Chercheur associé au laboratoire Communications & Sociétés de l’UCA, Nicolas Duracka est aujourd’hui le responsable scientifique du CISCA depuis 2021, après en avoir assuré la direction. En 2020, et particulièrement dans le cadre de la pandémie Covid-19, il travaille sur les questions de résilience des systèmes complexes. Face aux enjeux environnementaux et sociétaux, il a choisi d’orienter le travail du CISCA sur la résilience du territoire en initiant un dispositif d’accompagnement des acteurs locaux, qui a pris la forme fin 2021 du « Programme Transitions et Résiliences« .

Contacter Nicolas par courrier électronique : nicolas.duracka@cisca.fr

Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie

La structure : le CISCA

Centre de recherche, de développement et de transfert en innovations sociales, principalement dédié aux questions de résilience territoriale sur le Puy-de-Dôme


Créé à l’interface des collectivités territoriales, des acteurs socio-économiques du territoire clermontois élargi, et de la recherche académique, le CISCA se consacre à la question de la transformation sociale et sociétale. Son but : « construire des interfaces » entre les acteurs du territoire, notamment en jouant un rôle de « traducteur » permettant l’élaboration de stratégies communes.

Son mode d’action consiste à accompagner les acteurs territoriaux par le transfert de connaissances ou de compétences (en somme de l’existant à déployer) et/ou de la recherche et le développement (autrement dit de la production de connaissances et d’outils d’ingénieries appliqués).

Depuis 2019, à l’initiative notamment de Clermont Métropole, le CISCA déploye progressivement un dispositif de construction de la résilience territoriale. L’objectif est d’accompagner, par le Programme de R&D Transitions et Résiliences (de 3 ans) les collectivités et EPCI du territoire à faire dialoguer acteurs publics et privés (dont les entreprises) dans une logique de prise en compte de l’urgence environnementale et de définition d’une stratégie pragmatique et collective de résilience.

Ce programme de trois ans est précédé d’un « pré-programme » de 6 à 9 mois conçu pour introduire le sujet de la résilience auprès des acteurs des collectivités concernées – élus et techniciens en priorité.

En février 2022, le CISCA comporte six salariés pour un budget de fonctionnement de 300 000 €, principalement assuré par les cotisations des adhérents. Son C.A. est structuré notamment autour de trois co-présidents : Mathias Bernard (UCA) qui représente les acteurs de la recherche, Marion Canalès (Clermont Métropole) pour les collectivités et Jean-Luc Berlot (Sens9) pour les acteurs socio-économiques. Il compte 23 adhérents, 10 thèses en cours et 30 projets de recherche-action.

Visiter le site web du CISCA
Ecrire un mail au CISCA : coordination@cisca.fr


Tu travailles actuellement sur les enjeux de résilience territoriale. Peux-tu nous en donner une définition ?

La résilience est la capacité d’un écosystème, ou un système complexe, à absorber la catastrophe. Quand il se passe un événement hasardeux (difficilement prévisible) qui déstabilise fortement le système, la résilience permet d’absorber ce choc et de retrouver un équilibre pour revivre d’une manière à peu près normale. 

Dans ce sens, le système néolibéral est conservateur : à chaque choc, il va revenir à la situation initiale en accélérant le processus qui l’a mis en danger. La vraie résilience, au contraire, intègre les enseignements de la catastrophe pour être moins vulnérable. 

Il faut donc pratiquer un “pas de côté” : on est obligé lors de la catastrophe de changer de logiciel, et ce n’est pas facile ! C’est dur de se dire que la sécurité est dans la manière de vivre l’incertitude, la déstabilisation comme quelque chose de finalement positif. A l’inverse, plus on est conservateur et arc-bouté sur nos logiques anciennes, plus on sera vulnérable.

Comment analyses-tu la crise sanitaire du Covid-19 ?

Je n’utilise pas le terme de crise, ce n’est pas la situation. La crise est une déstabilisation d’une situation initiale, mais après la crise, on y revient. Or, aujourd’hui, je veux être très clair : ce n’est pas envisageable. On ne peut pas revenir à la situation initiale ! 

C’est dur de se dire que la sécurité est dans la manière de vivre l’incertitude, la déstabilisation comme quelque chose de finalement positif.

Je parlerai plus de catastrophe : dans un système complexe, des boucles de rétroaction stabilisent le système. Autrement dit, des processus répétitifs qui mette le système en boucle de répétition pour le préserver dans son état initial.

Un camion sort d’une zone de feu de forêt en Australie. Les incendies qui ont ravagé l’île-continent en 2019 étaient de l’ordre de la catastrophe climatique / Crédit photo : Murray Foubister (Wikimedia Commons CC BY SA 2.0)

Aujourd’hui, un événement imprévu – la pandémie – vient déstabiliser le système, et provoquer des perturbations irréversibles dans ses boucles. Or, dans le fonctionnement des systèmes complexes nous savons que la perturbation des boucles de rétroaction a tendance à réagir par une tendance au retour à l’état initial, ce que l’on nomme le principe homéostasique.

Mais aujourd’hui il ne faut surtout pas qu’une homéostasie se mette en place car on reviendra à un système extrêmement vulnérable et mortifère !

Quelles sont justement les leçons à tirer de cette période ?

Le système néolibéral dans lequel nous vivons est complètement déstabilisé par la catastrophe actuelle. Comme tout système, il sera tenté de pratiquer l’homéostasie pour revenir à son état initial. Un certain nombre d’acteurs sont peut-être dépassés aujourd’hui mais sont convaincus que le retour à la “normale” est la meilleure solution, parce que c’est pour eux un principe de sécurité idéologique – bien détaillé par Boris Cyrulnik.

Or, ce n’est pas souhaitable. Les acteurs qui viseront à revenir à une situation initiale pourraient être jugé par l’histoire comme des criminels. Tout simplement, d’un point de vue humain, social et économique, ce serait criminel de ne pas faire l’effort intellectuel d’être en résistance par rapport à l’homéostasie.

Hannah Arendt a très bien décrit ce principe à la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec les dirigeants nazis, et plus précisément sa description du procès de Adolf Eichmann à Jerusalem en 1961 et 1962. Elle décrit alors que l’atrocité nazi ne vient pas seulement de son penseur, mais aussi de la médiocrité de tous les petits fonctionnaires de ce système. Elle parle alors de “banalité du mal”.

Eichmann lors de son procès à Jérusalem en 1961. Le concept de « banalité du mal » a été formalisé par Hannah Arendt à cette occasion / Domaine public

[Selon le même principe], les managers du libéralisme ont [depuis longtemps] mis en place un système atroce, non pas par conviction profonde, mais par un principe de réponse idéologique à la situation : ils le faisaient automatiquement, sans se poser de question.

Aujourd’hui, les acteurs néo-libéraux vont faire de même. Ce sera criminel, mais malgré eux ! Or, l’histoire risque de les juger aussi violemment que nous avons jugé les nazis. En effet, si les régimes autoritaires ont menacé profondément l’existence d’une partie de la population, les néo-libéraux aujourd’hui menacent l’Humanité entière.

Que peut-on alors faire pour éviter ce simple “retour en arrière” ?

Je ne crois pas à la “révolution” dans le sens d’un changement radical et soudain. Notre réalité est co-construite et les changements sociaux sont incrémentaux. Dès lors, il faut accepter que le changement ne peut se faire que dans un dialogue entre conservateurs et progressistes dans lequel le bien commun l’emporte.

Il faut accepter que le changement ne peut se faire que dans un dialogue entre conservateurs et progressistes dans lequel le bien commun l’emporte.

Ainsi, [la solution consiste à] accompagner les dirigeants (politiques et économiques) dans les postures de changement. Je conceptualise le moment où l’on va revenir à un stade où l’on sera au seuil de la “normalité” (la situation initiale). Alors, il va y avoir une fenêtre de tir avec la potentialité de voir advenir le changement. Mais il faudra bien le provoquer, le “saisir” ! Cela ne va pas venir tout seul.

Sur quelle approche théorique te bases-tu ?

Il y a une théorie en “quatre R” que je partage avec Edgar Morin, Arthur Keller et d’autres, que j’adapte à mon approche [en quatre points] :

  • Résilience : ce qui n’a pas été fait jusque-là. Nos décideurs politiques et socio-économiques n’ont pas pris conscience de l’importance d’analyser la vulnérabilité de nos systèmes et d’imaginer leur résilience. Il faut donc se demander quels systèmes de résilience il faut mettre en place pour être préparés à affronter les catastrophes à venir. [Pour cela, il est nécessaire de] travailler à la bonne échelle et de mettre en place les expérimentations de manière urgente.
  • Reliance : pour faire vivre des systèmes résilients, on doit appliquer de la solidarité, de la coopération – et non plus de la compétition. Mais on doit aussi faire dialoguer l’ancienne réalité avec l’émergence de la nouvelle. On ne peut pas aujourd’hui projeter la situation de demain en faisant fi de la réalité d’hier ! Il faut les faire dialoguer, c’est capital. Et c’est là que les sciences sociales sont très importantes : elles doivent comprendre la manière de déverrouiller les “sécurités idéologiques”.
  • Résistance : il faut être vigilant à l’homéostasie du système. Inévitablement, les acteurs institutionnels, mais aussi tous les individus, nous y compris, risquons d’être portés vers l’homéostasie. Et il faudra y résister, en particulier les décideurs. Je pense même que les décideurs seront a posteriori jugés selon leur capacité à avoir résisté à l’homéostasie. J’en appelle vraiment à l’intelligence des acteurs territoriaux.
  • Recherche et Développement : afin de sensibiliser ces acteurs, il faudra [mettre en place] quelque chose de très rigoureux, de très sécurisant pour montrer comment se projeter. Il faudra donc proposer aux acteurs décisionnaires des modus operandi, des méthodologies pour mettre ces acteurs dans les meilleures dispositions pour réaliser les trois premiers “R”. Le CISCA a été créé pour cela, clairement ! Et il y a déjà une discussion forte engagée, il faut qu’elle s’accélère, avec une démarche très rigoureuse de Recherche et Développement : quelque chose de documenté, accompagné.

Comment l’action du CISCA peut-elle “accélérer” dans ce cadre ?

Dans notre périmètre du Clermont élargi, les acteurs institutionnels à l’origine du CISCA – la présidence de la Métropole notamment, et un certain nombre d’élus et de techniciens – sont conscients de la nécessité de ce travail, et l’ont engagé de manière concrète. Même s’il manque encore une décision politique forte, je compte sur eux à ce sujet ! 

Un « Comité d’Orientation Territorial » (COT) organisé par Nicolas et l’équipe du CISCA. Plusieurs acteurs de diverses origines sur le territoire y sont conviés pour réfléchir ensemble aux enjeux de résilience / Crédit photo : CISCA

Au-delà, on a cinq ou six communes sur le Puy-de-Dôme qui sont engagées dans cette démarche, avec la volonté de faire dans les prochaines années des études comparatives à des échelles différentes. Pour déterminer les modes d’actions du quartier à la métropole, en passant par le village, la ville … on attend que la période électorale un peu floue se termine pour que ces acteurs déjà engagés franchissent le pas. 

Actuellement, l’équipe du CISCA passe beaucoup de temps pour leur apporter des éléments pragmatiques, opérationnels et très utilisables. Mais nous sensibilisons aussi qu’il y a, au-delà du temps court de l’opérationnalité et des choses à faire rapidement, le temps long de l’expérimentation et de la recherche sur ce qu’on ne connaît pas encore.

C’est le périmètre local, la proximité, qui est le niveau sur lequel tu travailles …

L’échelon territorial me semble le plus pertinent en termes de résilience territoriale. Parce que 75% de nos capacités d’action se font à l’échelle locale. D’un point de vue technique, on sait rendre résilient un territoire.

Pour être plus précis, nous savons qu’une communauté trop restreinte n’est résiliente que sur un temps limité (quelques mois) car, au-delà, elle a besoin de ressources extérieures. Mais nous savons aussi qu’une échelle plus vaste rend le système de résilience trop complexe et potentiellement vulnérable car nous ne savons pas appréhender la complexité ainsi.

La bonne échelle est celle d’un bassin de vie.

Dès lors, la bonne échelle est celle d’un bassin de vie, idéalement un spectre territoriale découpant une métropole comme Clermont en espace liant le centre de l’agglomération, la périphérie et la ruralité. C’est ça la bonne échelle !

Autour de la métropole clermontoise, beaucoup de zones rurales comme ici la Comté et le sud de la Limagne … comment bien les intégrer dans une démarche de résilience ? / Crédit photo : éditeur.

Et l’innovation technique n’est pas en lien avec le sujet. Le vrai enjeu, c’est la capacité de transformation comportementale et sociale, ce qui se passe dans la tête des habitants d’un territoire et surtout entre eux, dans leurs discussions et leurs interactions. Et c’est éminemment lié à la confiance, les relations, leur présence dans un maillage dense et fort … qui rend les outils techniques plus efficients. 

Inévitablement, les acteurs institutionnels, mais aussi tous les individus, nous y compris, risquons d’être portés vers l’homéostasie.

La question est donc de comment créer ou densifier ce maillage social. Voilà la pertinence du territoire : les êtres humains vivent dans un territoire, pas au niveau national. Pour moi, on habite ici à Clermont, à Riom, à Thiers, dans les Combrailles … c’est ce que Guy Di Meo, géographe très connu, a conceptualisé comme les “territoires vécus”, nos espaces de vie, ce qu’on connaît, auxquels on s’identifie, qu’on côtoie, qu’on traverse, dont on utilise les ressources … et cela est historique. Les territoires vécus existent depuis des millénaires !

Nous arrivons progressivement à la sortie du confinement. Quelle sera la meilleure stratégie à adopter, selon toi ?

Le processus de prise de conscience va être accéléré. Ce qui pouvait être diffus, incrémental, va arriver en pic : quand on sortira de la situation d’urgence, la fenêtre temporelle nous poussera à une réaction rapide.

Je suis partisan de dire que le CISCA a un rôle extrêmement fort à jouer à ce moment. J’en appelle aux acteurs territoriaux à rentrer en relation avec nous à ce moment – et quand ce sera le moment – pour que l’on soit dans cette coopération efficiente.

Atelier participatif organisé par le CISCA à Epicentre Factory, avec l’incubateur Cocoshaker. Nicolas est debout, au centre / Crédit photo : CISCA

[Plus globalement,] la meilleure stratégie [face à une pandémie de ce type] consiste à avoir une stratégie dialogique, celle du “marteau et de la danse” :

  • le marteau permet de taper très fort et très vite : confinement, séparation, distanciation stricte …
  • la danse permet, une fois que le marteau a frappé et que le taux de contamination est acceptable, de “danser” autour de ce taux acceptable. Dans notre cas, cela va sans doute durer 18 mois ou plus.

En France, on a eu un marteau qui a tapé moins fort qu’en Asie par exemple : on va donc mettre plus de temps à arriver à une situation de “danse”, et elle sera sans doute plus difficile à gérer et plus longue.

Pour [le CISCA], je ne suis pas sûr qu’on ait d’opportunité de travail sereine avant sans doute une grosse année. Mais à voir s’il y a des hasards heureux. En tout état de cause, nous serons prêts au début de l’été. Ensuite, à voir le temps qu’on aura pour travailler avec les acteurs.

Pour résumer, quels sont les principaux facteurs de résilience d’un territoire ?

Les facteurs de fragilité de la société thermo-industrielle, issus de l’idéologie libérale, sont systémiques. C’est à dire qu’ils sont multiples et interconnectés, ce qui les rend d’autant plus vulnérable lorsque l’un de ces éléments flanche. Néanmoins, je vois plusieurs points de fragilité :

1. Le mode de production de la pensée. Nous avons, depuis la rationalisation de la pensée issue de la philosophie des Lumières eu cette atroce tendance à simplifier, mutiler, découper les réalités du monde pour en faire des prismes de spécialistes. Or, la réalité est reliée, complexe, dialogique. Et si la pensée libérale glorifie la mutilation et la simplification dans ces grandes écoles et ses grandes institutions, il nous faut impérativement trouver un mode d’apprentissage du monde et de vie qui soit engagé dans la complexité car c’est notre seul salut. Et c’est urgent !

Je suis partisan de dire que le CISCA a un rôle extrêmement fort à jouer à ce moment.

2. Le technicisme, qui est l’enfant de la pensée simplifiante. Il est issue du dogme de la mutilation et du scientisme qui pousse à penser la majorité des acteurs pris dans le dogme techniciste à croire en la salvation par la machine, par la découverte de nouvelles techniques, de nouveaux procédés, plaçant ainsi le « scientifique » en laboratoire comme le nouveau héros des temps modernes. Or, ce technicisme nous coupe inexorablement de notre lien à la Terre mère, à nos ressources intérieures, mais aussi aux sciences sociales qui sont plus qualitatives, plus subtiles, plus fines et qui répondent moins à l’injonction du chiffre magique. Le salut viendra de notre acceptation de la réalité du monde non pas comme une donnée objective et quantifiée mais bien comme une construction qualitative, issue de la coopération entre les Hommes et la nature.

3. Le managérialisme, autre point clé de notre faiblesse. Cette idée qui nous pousse à croire que l’on peut tout maîtriser, diriger, manager. Nous voudrions pouvoir faire de l’Homme et de la nature une chose docile. Or, nous savons depuis les années 50, notamment grâce à des physiciens comme Boltzman, que l’ordre du monde est régit par un principe premier, celui du hazard [le hasard, et plus globalement la “propension”, les inclinaisons d’une entité en direction d’une autre]. C’est le hazard qui produit les rencontres et qui façonne le monde physique, et donc inexorablement le monde social.

C’est une loi qui n’a pour l’instant nullement été mise en défaut et qui s’applique de plus en plus à la lumière des événements catastrophiques (perturbants) que nous vivons. En effet, qui aurait pu prévoir (et donc manager) l’éclosion du virus dans un marché de Huan ? Très peu de gens en dehors de virologue comme le professeur Morand qui nous alerte depuis longtemps sur la casse des écosystèmes et la multiplication des points de contacts avec des virus comme celui-ci. pour les autres, l’éclosion de cette pandémie était inimaginable. 

Or, c’est lorsque le risque advient qu’il faut savoir le saisir dans sa complexité et le management n’aide en rien alors, il est souvent plutôt contraignant (il suffit de voir que nous n’aurons pas de solution clinique avant 18 mois car l’instance qui « manage » la santé a des protocoles figés et inflexibles, même dans l’urgence !). Notre salut viendra du rejet du managérialisme au profit de la coopération en système complexe et agile, donc en commune compétence (cf. Proudhon).

Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) peint par Gustave Courbet. Proudhon est une des sources d’inspiration de Nicolas / Domaine public (Musée d’Orsay)

4. Le “meilleur” pour la fin : l’économiscisme ! Cette pensée qui draine toutes les autres et qui nous pousse à penser l’économie que par le prisme du marché. Il suffit de voir l’intervention de ces derniers jours du ministre de l’économie  Bruno Lemaire qui appelle un “capitalisme vert” de ces vœux, ou l’affolement des financiers pour voir que cette pensée du tout marché est mortifère. Elle nous a conduite dans le mur et nous y conduira à nouveau très vite. Or, je le rappelle, l’économie à été pendant des siècles régie par des principes de réciprocité, de coopération, de mutualisme. Le marché n’est arrivé qu’il y a moins de deux siècles : une goutte d’eau dans la temporalité humaine.

Le marché doit être maintenant dénoncé comme le principal facteur d’aggravation de la crise systémique.

Alors, même si le marché c’est imposé à une vitesse incroyable renforçant l’idéologie capitaliste, il doit être maintenant dénoncé comme le principal facteur d’aggravation de la crise systémique et donc combattu avec force. Dès lors, il nous faudra revoir nos principes de solidarité et nos modalités d’économie, notamment en songeant sérieusement à la mise en place d’un revenu universel d’existence afin de dégonfler le marché du travail précarisant et vulnérabilisant au profit d’activités sociales émancipatrices.

Pour aller plus loin : le site du CISCA

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Propos recueillis le 24 mars 2020, mis à jour le 14 avril, réorganisés pour plus de clarté puis relus et corrigés par Nicolas. Photo de Une fournie par Nicolas.